L’assemblage de l’adresse IP aux normes communautaires et constitutionnelles

NATURALISER L’ACCÈS À INTERNET

L’assemblage de l’adresse IP aux normes communautaires et constitutionnelles

La matérialité de l’adresse IP

L’adressage IP, maillon essentiel du réseau des réseaux. Le courant des Sciences and Technology Studies (STS) affirme depuis les années 80 que les architectures techniques ne sont pas, comme l’a montré pour internet Barbara Van Schewik (2010), de simples artefacts « pertinents seulement pour les ingénieurs » 122 mais performent et sont performées par des dynamiques économiques, politiques, juridiques et sociales. Le courant des STS a souligné, à travers la théorie de l’acteur-réseau (Hård et Jamison (2005), Callon, Latour (2005)), que les préférences et les objectifs humains sont ancrés dans les artefacts techniques. L’agentivité n’est pas propre à l’être humain mais appartient collectivement à une association ou un réseau d’acteurs humains et non-humains où s’entremêlent les agentivités des personnes et des moyens technologiques. La recherche multidisciplinaire récente sur l’Internet a pu faire référence aux travaux de Winner (1980: 121-136) pour analyser les politiques incorporées dans ce medium. Lawrence Lessig (1999), pour sa part, a examiné dans Code is law la manière dont la conception des infrastructures et des services logiciels peut limiter le droit constitutionnel de l’utilisateur à la vie privée et à la liberté d’expression. En dépassant un simple déterminisme technologique, Lessig souligne que les acteurs humains à l’origine du code produisent une interchangeabilité du code avec d’autres formes culturelles de régulations comme le droit, les marchés et les normes sociales. Dans cette perspective et pour mieux saisir un agencement entre un objet technique (l’adresse IP) et une norme juridique de haut niveau (le droit constitutionnel), rappelons en premier lieu dans ce chapitre les principales étapes historiques, les notions fondamentales et les grandes définitions techniques du protocole TCP/IP (Transmission Control Protocol/Internet Protocol) qui sous-tend toutes les transmissions de données numériques sur internet. 122Cité par Musiani et Schafer (2011 : 62-71). 190 Notions essentielles La notion de protocole de communication désigne une spécification d’un ensemble de règles lié à un type de communication particulier. Ces règles permettent à deux machines de communiquer en transformant des données en informations, non seulement en parlant un langage commun mais en s’accordant sur des règles minimales d’émission et de réception des données. Une notion essentielle connexe à celle de protocole de communication est celle de couche de protocole. Le principe d’un protocole de communication est de pouvoir interconnecter deux machines quelles qu’elles soient. Les protocoles sont composés de plusieurs modules effectuant chacun une opération. Ces opérations étant effectuées dans un ordre précis et de manière contiguë, on parle alors d’un modèle en couches. Les données qui transitent dans le réseau sont traitées successivement par chaque couche du protocole en émission comme en réception. Chaque couche du protocole va ajouter un élément d’information aux données sous la forme d’un en-tête aux données transmis à la couche suivante par un principe de concaténation. Sur un plan logique, un modèle en couches permet de séparer le problème en différentes parties selon leur niveau d’abstraction. La transmission des données s’appuie sur le principe cardinal de commutation par paquets. C’est une innovation essentielle bien qu’ancienne qui désigne un processus d’acheminement des données dans lequel les messages sont découpés « en paquets » de petite taille informatique. Chaque paquet est doté d’un en-tête contenant les informations nécessaires à son transit par les nœuds du réseau. Une fois arrivés à destination, les messages sont reconstitués à partir des paquets reçus et des informations des en-têtes. Les paquets peuvent être acheminés selon deux modes : un « circuit virtuel » (un chemin est construit entre le nœud entrant et le nœud sortant, tous les paquets suivant dans l’ordre ce même circuit) ; ou selon le principe du « datagramme » (chaque paquet est traité indépendamment en fonction des ressources de transit disponibles, les paquets arrivent donc dans le désordre et doivent être remis en séquence au moment de leur arrivée au destinataire)

Bref historique du protocole TCP/IP

Le protocole TCP/IP est en fait une « pile » de protocoles, puisqu’il associe deux protocoles différents aux opérations complémentaires dont nous proposons de retracer brièvement les principales étapes historiques. En 1969, l’agence américaine DARPA123, rattachée au ministère de la défense, lance un projet expérimental d’étude de technologies de la communication basé sur la commutation de paquets 123Defense Advanced Research Projects Agency, http://www.darpa.mil 192 (ARPANET). Parallèlement en France, en 1972, le projet « Cyclades » basé lui aussi sur cette architecture et l’usage de datagrammes, est initié par Louis Pouzin mais se heurtera à la fin des années 70 à des choix politiques divergents sous la pression de l’opérateur national historique. L’expérience ARPANET est si concluante que les différentes entités rattachées à la DARPA l’utilisent quotidiennement. Elle passe officiellement du statut expérimental au statut opérationnel en 1975. ARPANET ne fonctionne pas encore avec le protocole TCP/IP, les arènes de normalisation des protocoles sont plurielles et hétérogènes, à ceci prêt que chacune d’entre elles a conscience qu’il ne sera pas possible de concevoir des réseaux monopolisés par un seul constructeur et qu’il est indispensable de créer un protocole ouvert capable de connecter toutes sortes de machines hétérogènes sur le plan de leur fonctionnement interne. En 1977, l’Organisation Internationale de Standardisation (ISO) se lance avec enthousiasme dans un vaste programme de normalisation d’interconnexion de systèmes ouverts (OSI : Open Systems Interconnection). L’OSI qui stabilise le principe des protocoles en couches empilables n’est publié qu’en 1984. La visée « babélique » de l’entreprise de l’ISO, sa lenteur, sa complexité et la prolifération de normes transitoires – comme la définition de l’IP en 1978-1981 par Jon Postel – ont abouti à un échec opérationnel. Pendant sa laborieuse conception au sein de comités techniques de l’ISO, la norme TCP/IP est parvenue à s’imposer de facto. Son processus d’innovation, fondamentalement opposé à l’élaboration classique d’une standardisation internationale opérée par les arcanes de l’ISO, s’est construit sur la mise en place par Stephen Crocker en 1969, d’un système original de documentation technique et de réflexion collective : les Requests For Comments. Cette méthode permet une participation large et informelle de collectifs d’ingénieurs à l’élaboration des protocoles. Une démarche souple et réactive, particulièrement adaptée à l’objet technique recherché qui a pu contourner le processus politique de normalisation de l’ISO et pris de vitesse l’effort multilatéral pour produire le protocole TCP/IP. Le milieu universitaire américain (l’Université de Berkeley en tête) et la « National Science Foundation », saisissent l’intérêt majeur de l’interconnexion des réseaux informatiques de recherche par le biais du protocole TCP/IP et allouent d’importants financements à son développement. Dès lors, le protocole TCP/IP a envahi l’intégralité du réseau des réseaux, y compris les réseaux locaux eux-mêmes, en raison de l’intérêt d’utiliser les mêmes protocoles pour l’interconnexion des machines au sein des réseaux locaux et pour l’interconnexion des réseaux locaux entre eux. 193 Pour atteindre ce degré de transparence pour l’utilisateur et acquérir cette robustesse d’utilisation planétaire, le design du protocole TCP/IP s’appuie sur quatre caractéristiques : 1/ il s’agit d’un protocole ouvert dont le code source est disponible gratuitement, développé indépendamment d’une architecture, d’un système d’exploitation, d’une structure commerciale particulière. Il est en outre transportable sur n’importe quel type de plate-forme, 2/ il est indépendant du support physique du réseau et de la technologie utilisée (câble, liaison radio, fibre optique, laser…) 3/ Le mode d’adressage est commun à tous les utilisateurs quelle que soit la plate-forme. Si l’unicité de l’adresse IP est respectée les communications aboutissent 4/ Les protocoles de haut niveau sont standardisés, rendant des développements interopérables sur tous types de machines. Concernant sa structure en couches, le protocole TCP/IP simplifie le protocole OSI en ne comportant que quatre couches au lieu de sept.

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