Le droit applicable aux cessions de titres

Les règles de conflit de lois du Règlement Rome I 

Le Règlement impose, nous venons de le voir, un principe d’autonomie de la volonté dans la détermination de la loi applicable au contrat. Ainsi il faut d’abord regarder dans le contrat si les parties ont choisi la loi applicable. A défaut de choix par les parties, le Règlement Rome I résout les conflits de lois selon les règles suivantes. L’article 4 du Règlement énumère, pour huit types de contrats, une règle de rattachement précise. En procédant de la sorte, le législateur européen a entendu remédier aux difficultés liées à la détermination de la prestation caractéristique et aux divergences d’interprétation existant entre les juridictions des États membres. Pour les contrats qui ne sont pas visés par l’énumération de l’article 4, la règle de rattachement est celle de la « prestation caractéristique ». Cette règle de rattachement est celle applicable aux contrats de cession de titres.

Le Règlement Rome I distingue deux types de contrats pour lesquels le critère de la « prestation caractéristique » est applicable : les contrats de prestation de services et les contrats de vente de biens. Les contrats de transfert de titres constituent des contrats de vente de biens au sens du Règlement Rome I . En effet, la notion de « vente de biens » doit recevoir la même interprétation que celle retenue pour la définition de la « vente de marchandises » de l’article 5 du Règlement Bruxelles I relatif aux conflits de juridiction. A défaut de choix de la loi applicable, le Règlement précise donc, que les contrats de cession de titres sont régis par « la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle »  . Ainsi, un contrat par lequel un actionnaire allemand vendrait des titres d’une société allemande, à un acquéreur français, se verrait appliquer la loi allemande à défaut de choix de loi par les parties.

La règle se corse dès lors que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays. En effet, l’article 4.3 du Règlement dispose que « lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux §1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique » . Le juge peut ainsi écarter la loi de la nationalité du vendeur au profit de la loi du pays avec lequel le contrat est étroitement lié . C’est le critère de « proximité ». C’est ainsi qu’un contrat de cession de titres conclu en Allemagne, ayant pour objet des titres d’une société française, entre un vendeur allemand et un vendeur français pourra se voir appliquer la loi allemande. Il revient alors au juge d’apprécier souverainement si une loi doit être écartée ou pas. La Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que les juges du fond disposaient d’un pouvoir souverain d’appréciation pour juger de la proximité de la loi par rapport au contrat. Ainsi, un contrat de cession de titres conclu en Allemagne, entre un vendeur allemand et un vendeur français pourra se voir appliquer soit la loi française, soit la loi allemande selon le juge saisi. Le juge saisi se fonde sur des critères objectifs tels que l’économie du contrat afin de déterminer le pays ayant les liens les plus proches avec le contrat. Pour autant, l’appréciation du juge peut diverger d’un État à l’autre et engendrer des solutions différentes pour des cas similaires.

La prise en compte des lois de police dans la détermination de la loi applicable au contrat

L’article 9.1 du Règlement Rome I définit la loi de police comme « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat ». L’exposé des motifs précise que la notion de loi de police se distingue de celle de « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » et devrait être interprétée de manière plus restrictive. A ce titre, le Règlement distingue les lois de police étrangères et celles du for. L’article 9.3 du Règlement prévoit qu’il pourra être donné effet aux lois de police de l’État dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, à la condition que ces lois de police rendent l’exécution du contrat illégale. L’appréciation de l’illégalité du contrat appartient au juge . En outre, s’il existe dans l’État du for une loi impérative qui se veut applicable, elle l’emporte sur la loi étrangère ayant le même caractère, ou sur toute autre loi applicable au contrat en vertu du Règlement. C’est le cas par exemple des règles en matière d’entente ou de pratiques restrictives .

Les dispositions du Règlement s’appliquent aussi aux conditions de validité au fond et en la forme du contrat. En ce qui concerne le fond, c’est la loi déterminée par les articles 4 à 6 du Règlement qui s’applique. En ce qui concerne la forme du contrat, la solution retenue est classique : application alternative de la loi du fond et de la loi du lieu de conclusion de l’acte. Il suffit que l’acte soit valable selon l’une de ces deux lois pour que soient écartées les causes de nullité en la forme de l’autre loi. Ainsi, lorsqu’un contrat a été conclu entre des parties de nationalités différentes, il faut qu’il remplisse soit les conditions de forme de la loi qui le régit au fond, soit celles de la loi nationale de l’une des parties pour être valable. Par ailleurs, lorsque le contrat est conclu par un représentant, la loi nationale de ce dernier doit être prise en considération .

Le domaine d’application de la loi désignée par le Règlement Rome I

Tout d’abord, la compétence de la loi du contrat s’impose en matière d’interprétation. Comme les juges du fond tirent leurs pouvoirs d’interprètes de la lex fori, c’est aussi celle-ci qui indiquera les possibilités de contrôle de cette interprétation par les Cours suprêmes. La loi du contrat et de la lex fori s’appliqueront donc simultanément . Il se peut, en outre, qu’elles constituent la même loi, si le juge saisi applique sa propre loi. Par ailleurs, l’article 12.1, b) du Règlement Rome I dispose que la lex contractus régit aussi « l’exécution des obligations qu’il engendre » . Cette formulation générale se réfère à l’ensemble des conditions suivant lesquelles la prestation caractéristique doit être exécutée, et inclue les conséquences que la loi ou le contrat font découler de l’inexécution d’une obligation contractuelle, l’évaluation du dommage et les possibles restitutions. Cette précision a soulevé certaines difficultés car l’évaluation du dommage pouvait être considérée comme une question de fait liée aux conditions économiques et sociales d’un pays, et qui ne devait pas être couverte par la convention. C’est pourquoi à titre de compromis, les textes ne visent que les règles de droit. Les questions de fait concernant l’évaluation des dommages continueront à relever du juge saisi . Pour autant, la compétence de la loi contractuelle en matière d’inexécution des obligations ne permet pas au juge d’outrepasser les limites des pouvoirs qui lui sont attribués par sa loi de procédure. Ainsi, par exemple, le juge devra refuser sa compétence si la loi de procédure lui interdit de prendre une telle mesure.

Table des matières

Introduction
I. La détermination de la loi applicable au transfert de titres en application du Règlement Rome I
A. Le principe d’autonomie de la volonté
1. Le fondement du principe d’autonomie de la volonté
2. Le domaine d’application du Règlement Rome I
3. Le champ d’application du Règlement Rome I
B. L’application subsidiaire des règles de conflit de lois en cas d’absence de choix d’une lex contractus
1. Les règles de conflit de lois du Règlement Rome I
2. La prise en compte des lois de police dans la détermination de la loi applicable au contrat
3. Le domaine d’application de la loi désignée par le Règlement Rome I
II. Les éléments déterminant le choix des parties
A. Les critères subjectifs
1. Le choix d’un régime fiscal attractif
2. Le choix d’un régime contractuel sécurisé
3. Le choix d’un droit de la concurrence protecteur
B. Les restrictions au choix des parties
1. L’étude des contrats « Sharia compatible »
2. La négociation contractuelle russe
3. L’éminence de la lex societatis
Conclusion

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