Le transport du glucose
La glycolyse est initiée par le transport du glucose du milieu extracellulaire vers le cytoplasme par les transporteurs du glucose exprimés à la surface de la cellule. GLUT1 (SLC2A1) catalyse l’étape limitante dans l’approvisionnement des cellules de la rétine en glucose, un carburant essentiel pour ces cellules dans les conditions normales (Xue et al., 2021).
L’absorption de glucose est catalysée par un transfert bidirectionnel de type facilité (ne consommant pas d’énergie) du glucose à travers la membrane cellulaire par les transporteurs de la famille GLUT dans le sens du gradient de concentration du glucose, de la plus élevée vers la plus faible. Ce transport équilibré du glucose est souvent appelé diffusion facilitée car il est à plusieurs niveaux beaucoup plus rapide que la diffusion du glucose à travers une bicouche lipidique artificielle. GLUT1 est une glycoprotéine membranaire comprenant 12 domaines transmembranaires (DT) avec un site unique de N-glycosylation (N45). GLUT1 a des extrémités N-terminal et C-terminal cytoplasmiques, une longue boucle cytoplasmique reliant les domaines transmembranaires 6 et 7, une longue extrémité C-terminale (Figure 18A).
Malgré son hydrophobicité, GLUT1 est accessible aux solvants aqueux. En effet, huit des douze domaines transmembranaires de GLUT1 sont hydrophiles, ce qui suggère que GLUT1 présente un canal central rempli d’eau par lequel le glucose transite. GLUT1 est sans aucun doute l’une des protéines de transport membranaire les plus étudiées. La structure, le mécanisme et la cinétique de transport de cette protéine ont fait l’objet de plusieurs centaines d’études menées au cours des dernières décennies (Mueckler and Thorens, 2013). Malgré cette attention, et même si une structure tridimensionnelle a été récemment proposée sur la base de la structure du cristal d’un homologue bactérien de GLUT1 (Sun et al., 2012), la compréhension complète de la façon dont cette protéine transporte le glucose à travers les bicouches lipidiques est toujours à l’étude (Carruthers et al., 2009; Gonzalez-Resines et al., 2021; Lloyd et al., 2017;
Lloyd et al., 2018). Dans la rétine, la direction du flux du glucose n’est pas régulée par la distribution cellulaire de son transporteur puisque GLUT1 est exprimé par toutes les types cellulaires rétiniens, y compris l’EPR (Ait-Ali et al., 2015) (Figure 18B). Il existe théoriquement trois manières d’accélérer l’absorption du glucose sans modifier son expression, sa stabilité ou son transfert de GLUT1 à la surface cellulaire.
La glycolyse
L’étape suivante est une réaction irréversible : la conversion du glucose en glucose-6- phosphate (G6P), catalysée par l’enzyme hexokinase nécessite l’ATP en tant que donneur d’un groupe phosphoryle à haute énergie (Camacho et al., 2019) (Figure 19). La phosphorylation du groupe hydroxyle en C6 du glucose donne un dérivé chargé négativement dont le groupe phosphate sera utilisé pour produire de l’ATP à partir de l’adénosine diphosphate (ADP) plus loin dans la glycolyse (Figure 20). La phosphorylation du glucose empêche également le glucose de ressortir de la cellule. La réaction est régulée négativement par son produit, le G6P qui inhibe l’hexokinase de manière allostérique (Gregoriou et al., 1983). Dans les voies métaboliques, les enzymes catalysant des réactions essentiellement irréversibles sont des paliers de contrôle du flux métabolique. Dans la glycolyse, les réactions catalysées par l’hexokinase, la phosphofructokinase et la pyruvate kinase sont quasiment irréversibles ; par conséquent, ces enzymes ont un rôle régulateur de la vitesse à laquelle la glycolyse opère. Leur activité est régulée par la liaison réversible avec des effecteurs allostériques ou par des modifications covalentes post-traductionnelles (Stryer et al., 2003). Alors que l’hexokinase est inhibée par le G6P, la phosphofructokinase (PFK) est inhibée par le phosphoénolpyruvate (PEP), l’ATP et activée par le fructose-2,6-biphosphate (F26BP) et l’AMP. La pyruvate kinase (PK) est inhibée par l’ATP et activée par le fructose-1,6-biphosphate (F16BP). Un autre aspect du contrôle, est le recyclage du nicotinamide adénine dinucléotide sous forme réduite (NADH) produit à partir du NAD+, sa forme oxydée. Ce cycle comprend la production de NADH par la glycéraldéhyde- 3-phosphate déshydrogénase (GAPDH) et sa consommation par la lactate déshydrogénase (LDH) dans le cas de la glycolyse aérobie, qui implique le métabolisme du pyruvate en lactate.
Il a été proposé que l’effet Warburg soit rendu nécessaire par le fait que le taux de NADH produit par GAPDH ne soit pas entièrement équilibré par la régénération du NAD+ par LDH (Dai et al., 2016). Néanmoins, à ce jour, et malgré de nombreuses études, l’avantage éventuel de la glycolyse aérobie est toujours un sujet ardemment débattu (Rigoulet et al., 2020). Comme les cellules cancéreuses, les photorécepteurs expriment des niveaux prépondérants de l’isoforme M2 de la pyruvate kinase (PKM2) et de l’isoforme A de LDH (LDHA) (Chinchore et al., 2017; Rajala, 2020). Ces isoformes sont généralement associées à la glycolyse aérobie par les cellules cancéreuses et par d’autres types cellulaires en prolifération. La plupart des cellules cancéreuses métabolisent de grandes quantités de glucose sécrété ensuite sous forme de lactate, même en présence d’oxygène. Ce métabolisme particulier est apparu à l’origine comme un gaspillage étant donné la faible production d’ATP par la glycolyse par rapport à la phosphorylation oxydative. La glycolyse aérobie produit principalement des métabolites glucidiques essentiels à la prolifération cellulaire et est compensé par une augmentation spectaculaire de l’absorption du glucose par les cellules cancéreuses. Ce phénomène est utilisé en clinique pour visualiser les tumeurs par tomographie par émission du positons 2-fluoro-6-désoxyglucose. Des résultats récents indiquent que pour les cellules cancéreuses, la redirection du glucose vers la glycolyse aérobie n’est pas une conséquence de l’activation de proto-oncogènes ou de l’inactivation de gènes suppresseurs de tumeur mais la première étape d’une séries d’étapes dans la tumorigenèse. Ceci est illustré par le fait que l’inactivation de la protéine SIRT6, une désacétylase dépendante du NAD, entraîne la transformation cellulaire en redirigeant le métabolisme énergétique vers la glycolyse aérobie indépendamment de tout autre événement génique (Lyssiotis and Cantley, 2012). La désacétylation de l’histone H3 par SIRT6 limite l’expression des gènes codant pour les enzymes glycolytiques.
Le rôle des acides gras
Il est largement admis que chez les mammifères, les acides gras insaturés ne sont pas synthétisés dans la rétine mais proviennent de l’alimentation et transmis par la circulation sanguine (SanGiovanni and Chew, 2005). Les gènes codant des enzymes clés pour la biosynthèse de novo des acides gras insaturés comme le précurseur de l’acide docosahexaénoique : DHA; l’acide α-linolénique, sont absents dans les génomes des mammifères, qui sont dépourvus de gènes codant des enzymes portant une activité de désaturation delta-12 et delta-15.
Dans le réticulum endoplasmique, ces acides gras essentiels alimentaires, tels que α-linolénique et autres précurseurs C18 sont désaturés (CC> C = C) par des désaturases d’acides gras (FADS1- 3) et allongés (ajout de 2 unités carbones) par des élongases d’acides gras à longue chaîne (ELOVL2 et ELOVL5) pour produire du DHA (C3H6O3) et d’autres AGPI, Acides Gras polyinsaturés (Guillou et al., 2010). L’enzyme FADS2, liée à la membrane, est localisée dans le réticulum endoplasmique où elle catalyse la désaturation initiale d’acides gras C18 de l’EPR et des cellules photoréceptrices (Lee et al., 2016; Simon et al., 2016; Wang and Anderson, 1993). En réponse au stress oxydant ou pendant la phagocytose du segment externe des photorécepteurs, les cellules de l’EPR convertissent le DHA en neuroprotectine D1 (NPD1), une molécule d’acide gras qui inhibe l’apoptose (Bazan et al., 2010; Marcheselli et al., 2010).
Les photorécepteurs expriment également une élongase spécifique, ELOV4, qui est responsable de la synthèse d’AGPI à très longue chaîne (AGPI-TLC) (C28 à C40, le nombre de carbones) qui sont enrichis dans la rétine et le sperme (McMahon and Kedzierski, 2010).
L’existence de mutations non-sens dans le gène ELOVL4 déclenchant une forme juvénile et autosomique dominante de dégénérescence maculaire, la dystrophie maculaire de type Stargardt (STGD3), caractérisée par une perte de vision centrale et périphérique à un âge précoce (deuxième décade de vie), a initié l’intérêt pour les AGPI-TLC dans la rétine (Zhang et al., 2001b). La protéine mutante a un effet dominant négatif sur la localisation d’ELOVL4 mais également sur son activité enzymatique (Logan et al., 2013). Les AGPI-TLC rétiniens sont incorporés à la phosphatidylcholine dans les membranes des segments externes des photorécepteurs où ils participent à la courbure du disque et à la fluidité de la membrane des disques (Agbaga et al., 2008). De manière surprenante, la suppression du gène Elovl4 dans les cônes chez la souris n’affecte pas leur fonction, ce qui suggère que la protéine mutante forme des agrégats toxiques responsables des symptômes cliniques ; une transmission dominante liée à un gain de fonction (Bennett et al., 2014a; Kuny et al., 2015). La fonction des AGPI-TLC dans les photorécepteurs est encore controversée mais il semble probable qu’ils jouent un rôle supplémentaire dans l’organisation de la connectivité synaptique entre les photorécepteurs et les interneurones, les cellules bipolaires (Bennett et al., 2014b) plus récemment, il a été démontré que les AGPI-TLC sont convertis enzymatiquement en composés « élovanoïdes » qui semblent fournir des signaux paracrines qui favorisent la survie des photorécepteurs et des neurones (Deak et al., 2019). Les acides gras essentiels, parmi lesquels le DHA (C3H6O3) et l’acide α-linolénique (C18H30O2) sont des molécules hydrophobes transportées par l’albumine sérique du foie vers la face basale de l’EPR où elles sont transférées aux photorécepteurs du côté apical (Figure 22). Deux molécules distinctes sont impliquées dans le transport du DHA à travers le RPE, la protéine MFSD2A et le récepteur 1 de l’adiponectine (ADIPOR1) (Nguyen et al., 2014; Rice et al., 2015; Wong et al., 2016). MFSD2A est un transporteur typique à 12 domaines transmembranaires (Cater et al., 2021), tandis qu’ADIPOR1 est un récepteur atypique à 7 domaines transmembranaires de l’adiponectine, une hormone essentielle sécrétée par les adipocytes qui régule le métabolisme du glucose et des acides gras. L’adiponectine circule à des niveaux élevés dans le plasma humain, entre 5 et 30 mg/ml, où elle représente 0,01% des protéines plasmatiques totales (Diez and Iglesias, 2003). Les mécanismes qui lient les deux protéines de transport sont inconnus mais il est remarquable que le DHA augmente la sécrétion d’adiponectine suggérant ainsi que l’adiponectine, par son interaction avec son récepteur ADIPOR1, régule le transport du DHA de la circulation vers l’EPR par le transporteur MFSD2A (Cater et al., 2021; DeClercq et al., 2015). Les segments externes des photorécepteurs sont raccourcis et désorganisés chez la souris Mfsd2a-/-, et chez la souris Adipor1-/- les photorécepteurs dégénèrent (Osada et al., 2021). Le transport des acides gras insolubles de la surface basale vers la surface apicale de l’EPR implique certainement des interactions transitoires avec les protéines de liaison aux acides gras (PLAG) pour permettre la translocation intracellulaire de molécules hydrophobes dans le cytosol aqueux et hydrophile.
On ne sait actuellement pas laquelle des 9 protéines PLAG transporte les acides gras à travers l’EPR (Smathers and Petersen, 2011). Les acides gras essentiels, sous la forme de DHA, sont récupérés à partir des membranes des disques apicaux des photorécepteurs et recyclés vers le segment interne des photorécepteurs, puis réincorporés dans les phospholipides des segments externes en renouvellement. Les acides gras recyclés sont transférés de l’EPR vers les photorécepteurs à travers la matrice inter-photorécepteur (MIP), l’espace extracellulaire entre les segments externes des photorécepteurs et l’EPR, et ceci en l’absence d’albumine. La protéine de liaison des rétinoïdes RBP est la protéine la plus abondante dans la MIP et la seule liant les acides gras (Gonzalez-Fernandez, 2003; Gonzalez-Fernandez and Ghosh, 2008). Les chercheurs pensaient originellement qu’IRBP était le transporteur des rétinoïdes (11-cis-rétinal et tout-trans-rétinol) entre l’EPR et les photorécepteurs, en plus de son rôle dans le cycle de la vitamine A (Jacobson et al., 2015a), mais l’étude du phénotype de la souris Irbp-/- a remis en question cette hypothèse (Arno et al., 2015).
L’aiguillage du pyruvate
Revenons maintenant à la glycolyse aérobie. Dans le cytosol, le pyruvate est produit par la glycolyse, qui génère deux molécules d’adénosine triphosphate (ATP) et deux molécules réduites de nicotinamide adénine dinucléotide (NADH) par molécule de glucose. Le pyruvate peut être converti en lactate par la lactate déshydrogénase A (LDHA) ou peut être importé dans les mitochondries pour être oxydé en acétyl coenzymeA (acétyl-CoA) par le complexe pyruvate déshydrogénase (PDC) qui alimente ensuite le cycle de Krebs (phosphorylation oxydative).
L’importation de pyruvate nécessite le passage à travers les deux membranes mitochondriales, la membrane externe et la mitochondriale interne (Figure 25) (Zangari et al., 2020). Le pyruvate traverse la membrane mitochondriale externe pour atteindre l’espace intermembranaire, probablement à travers le grand canal anionique voltage-dépendant (CAVD), relativement non spécifique. Il est ensuite transporté avec un proton à l’intérieur de la mitochondrie par le transporteur de pyruvate mitochondrial (MPC). En 1971, la première l’existence d’un transporteur spécifique pour le pyruvate a fait l’objet d’un débat animé.
L’identité du complexe MPC n’a été révélée qu’en 2012 (Schell and Rutter, 2013). En tant que seul point d’entrée du pyruvate dans la matrice mitochondriale, le MPC joue un rôle crucial dans la coordination des activités glycolytiques et mitochondriales. Le transporteur du pyruvate mitochondrial importe le pyruvate avec un proton (H+) à travers la membrane interne mitochondriale (Taylor, 2017). Dans la plupart des cellules de mammifères, ce transporteur est composé d’un hétéromère de MPC1 et MPC2. Au niveau le plus simpliste pour le cas des photorécepteurs, l’effet Warburg pourrait être décrit comme une perte ou une diminution de la fonction du MPC. Néanmoins, l’inhibition du transporteur du pyruvate mitochondrial par le Zaprinast entraîne une accumulation d’aspartate au détriment du glutamate dans la rétine, ce qui démontre que le maintien des niveaux normaux d’acides aminés dans la rétine repose sur le transport du pyruvate dans les mitochondries (Du et al., 2013). Une délétion spécifique dans larétine de Mpc1 altère la fonction visuelle, diminue la viabilité des photorécepteurs et perturbe la structure des photorécepteurs. Elle augmente aussi la consommation de corps cétoniques produits par la β-oxydation des acides gras (Grenell et al., 2019). L’une des caractéristiques du métabolisme cellulaire est sa plasticité, qui résulte de l’inter-connectivité entre différentes voies métaboliques.