Le port de Québec au cœur du trafic maritime transatlantique

Le port de Québec au cœur du trafic maritime transatlantique

Bénéficiant des lois protectionnistes britanniques jusqu’au milieu du XIXe siècle, la province unie du Canada (1841-1867) joue un rôle majeur dans le trafic transatlantique, notamment par l’exportation de bois vers la Grande-Bretagne8 . À ce titre, l’expansion du commerce du bois équarri au XIXe siècle contribue à accroître l’importance de la ville de Québec comme principal port d’expédition. En provenance des quatre coins du territoire, le bois, acheminé par les nombreuses rivières, vient garnir les anses du port pour ensuite être chargé à bord des navires pour son voyage transatlantique. À l’ère de la voile, les horaires des navires sont soumis aux vents favorables et les départs s’effectuent selon les vents et les marées, pendant l’ouverture du fleuve. L’efficacité du système repose sur la régularité de la rotation des navires et sur des lignes maritimes reliant les ports les plus actifs9 . Dans cette partie, nous traiterons du contexte portuaire et de la manière dont le gonflement saisonnier de la population bouleverse le tissu social de la ville

Un dynamisme économique porté par les activités portuaires et la construction navale

Considéré comme l’un des plus importants chantiers navals de l’empire britannique10, le port de la ville de Québec comporte plus d’une trentaine de chantiers où sont construits près de 800 navires de type trois-mâts, dits timber ships, entre 1850 et 1893. Cette industrie connaît son apogée avec le lancement des modèles trois-mâts « carré » et « barque » entre 1845 et 187011. Le Président du Quebec Board of Trade énumère les avantages que présente la ville de Québec dans une pétition adressée au Gouverneur général en 1853 : That Quebec posseses facilities for shipbuilding which it is believed are not equalled by any place on this Continent ; the Country furnished [sic] an abundant and cheap supply of the most suitable timber, and an equally abundant supply of labour, which for at least one half the year, can find no other employment, whilst the other materials required such as iron, copper, cordage, etc. can be imported from mother country at little more than a nominal rate [sic] of freight.12 Le développement de la construction navale à Québec est ainsi favorisé par les intérêts britanniques, l’abondance de bois à bon marché, mais également par la disponibilité d’une main-d’œuvre habile13. Avec la construction navale, une partie de la population ouvrière s’établit à proximité des chantiers. À elle seule, cette industrie permet d’employer chaque année entre 2100 et 2800 ouvriers14. L’importance du port Québec diminue sensiblement dans les années qui suivent la création de la Confédération de 186715. De 1842 à 1870, l’industrie du bois souffre du retrait progressif de la préférence impériale16. Le retrait de Londres dans les affaires coloniales annonce également le départ des troupes britanniques en 1871. À la fin des années 1870, le port de Québec décline en importance. Il se produit deux ralentissements distincts : celui de la construction navale des grands voiliers en bois ainsi que celui du trafic océanique. D’abord, deux changements technologiques expliquent le déclin de la construction navale à Québec : la transition de la voile vers la vapeur et la construction des coques en fer plutôt qu’en bois. Les chantiers navals de Québec axés sur la construction en bois ne s’adaptent pas assez rapidement et deviennent désuets. Selon Marc Vallières, « un virage vers la construction composite ou en fer aurait requis une main-d’œuvre formée aux nouvelles technologies et des investissements importants inaccessibles à une industrie en baisse de rentabilité et déjà peu capitalisée17 ». 

Le gonflement saisonnier de la population

Le fleurissement des activités portuaires amène de profonds changements dans la composition démographique urbaine, notamment en ce qui concerne l’afflux des populations saisonnières. D’abord, la présence des marins explique en grande partie le gonflement de la population citadine pendant la saison de navigation23: près de 20 000 marins font escale dans la ville pour les seules années 1860, 1865 et 1870. La plupart proviennent des Îles britanniques, mais certains sont de l’Europe du Nord24 ou des Baltiques. Tableau 2: Population locale et population de passage à Québec, 1851-187125 Marins Immigrants Soldats en garnison Population sédentaire 1851 17 753 41 076 1 247 42 052 1861 25 310 19 923 – 51 109 1871 18 741 37 020 – 59 699 En plus des marins, la présence de la garnison britannique marque la période à l’étude, puisqu’il s’agit d’une autre population masculine très visible dans la ville26. Ayant choisi de ne pas mettre l’accent sur ce groupe, mentionnons tout de même que leur présence influence la nature des arrestations pour désordre public dans la ville. En plus de présenter en détail les relations entre militaires et civils, la thèse de Lawrence Ostola27 montre que les soldats « were also significant catalysts for disorder in the urban environment, both as the source of it as well the target of it28 ». Les soldats pouvaient être jugés par les tribunaux ordinaires. Quelques causes impliquant des soldats sont identifiées dans notre échantillon, 

mais elles sont moins nombreuses que celles concernant les marins

Il est toutefois intéressant de montrer que certaines populations masculines étrangères étaient très visibles dans la ville et qu’elles tenaient une place importante dans le désordre. L’année 1861 représente l’apogée de la présence de marins dans la ville : près de 25 310 marins transitent ainsi par Québec. Si on considère que ces marins demeurent environ une vingtaine de jours dans la ville avant de repartir en mer et que la saison de navigation est d’environ 215 jours, en moyenne, il y aurait environ 2 000 marins dans le port au même moment29. Considérant que la population résidente de la ville comprend environ 17 000 hommes adultes, la présence de ces marins est très significative et visible30. En plus des marins, les activités portuaires nécessitent une main-d’œuvre moins qualifiée afin de charger et de décharger les navires. Le gonflement démographique de la ville est également influencé par ces populations ouvrières saisonnières (travailleurs saisonniers, débardeurs, journaliers, draveurs, cageux31, etc). En 1871, les activités portuaires permettent d’employer près de 1 766 journaliers32. Cependant, il nous est difficile d’évaluer précisément l’impact numérique de ces travailleurs dans la ville et la part qu’ils peuvent causer au chapitre du désordre public. Les marins sont quant à eux presque tous des « étrangers » qui sont explicitement identifiés par leur métier dans les registres de la prison et du Recorder. Néanmoins, on peut dire qu’implicitement, le travail saisonnier lié au port participe au fait que Québec constitue un centre industriel d’importance à cette époque. Sans compter la présence des travailleurs saisonniers associés aux activités portuaires, la ville de Québec accueille annuellement des milliers de migrants transitant par son port afin de poursuivre leur route plus loin au Haut-Canada ou aux États-Unis.

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