Études en matière de l’innovation
L’intérêt de l’enquête CIS en l’étude de l’innovation
Compte tenu de la difficulté de mesurer l’innovation due à sa nature complexe et hétérogène (EVANGELISTA R. et al., 1997 ; LELARGE C., 2009), des données concrètes et homogènes étaient nécessaires pour permettre l’élaboration de politiques d’innovation à l’échelle européenne. Il était donc intéressant de disposer d’indicateurs directs des innovations effectivement introduites par les entreprises, d’où l’intérêt de l’enquête communautaire sur l’innovation, inspirée des principes du manuel d’Oslo.
L’intérêt des enquêtes Innovation est qu’elle a pour vocation de décrire avec précision les différentes dimensions de l’activité d’innovation des entreprises au niveau européen. Elle sert à remédier aux manques auxquelles font face les entreprises et les autorités en matière de mesure de ce processus. La plupart des études menées antérieurement n’utilisait pas des indicateurs de mesure conçus et précis de l’innovation et ciblait des échantillons d’entreprises par pays ou secteurs d’activité.
D’après CRISCOULO C. et al., (2005), le point fort qui distingue les données CIS est qu’elles présentent des mesures directes, pour un registre complet d’inputs et outputs de l’innovation .En ce sens que la somme des indicateurs constituant ses volets fournit beaucoup plus d’informations que ne pourrait le faire chaque élément mis en œuvre seul (EUROSTAT, 2012)..
La CIS fournit des définitions détaillées sur les différents types d’innovations (produits, procédés, innovations organisationnelles ou de marketing). Elle permet aussi d’identifier les sources d’informations pour l’innovation ainsi que la nature des dépenses utilisées par les entreprises pour innover. De même, elle procure des informations sur les entreprises qui innovent par le biais d’investissements en R&D et celles qui utilisent des sources externes d’information pour l’innovation.
Mais il ne faut pas nier les inconvénients que peut révéler cette enquête par rapport à la subjectivité des réponses. En effet, les questions sont en la plupart qualitatives et subjectives et les entreprises sont interpellées directement sur leur aptitude à innover.
En plus, un autre désavantage se présente, il concerne la difficulté de comparer les tendances des entreprises en matière d’innovation à l’échelle temporelle. Cela est provoqué par la différence entre les échantillons ciblées par les diverses vagues de cette enquête. Nous devons rappeler que ces enquêtes n’ont pas été menées à intervalles réguliers et qu’ils ne couvrent pas le même échantillon d’entreprises.
Notre analyse fait appel à l’enquête CIS2010 puisqu’elle nous permet en premier temps de pallier les difficultés de mesure de l’innovation et elle constitue une valeur ajoutée à l’étude des facteurs internes et externes stimulant l’innovation puisqu’elle contient un nouveau volet qui concerne la créativité et les compétences. Ce qui permet de compléter les résultats des études basées sur les anciennes CIS et qui ont examiné l’effet de ces facteurs sur la propension à innover.
Une vue d’ensemble de recherches existants sur les facteurs déterminants l’innovation et la coopération pour innover
Signalé précédemment, les informations fournies par l’enquête communautaire sur l’innovation ont été le stimulant du développement des études empiriques en matière des déterminants de l’innovation et de la coopération pour innover.
C’est à partir des années 90, que les déterminants de l’innovation et les accords de coopération pour l’innovation sont devenus le centre de l’attention théorique et empirique (CARAYOL N., 2003 ; BUISSON et al., 2012).
Il ne s’agit pas ici de donner une description exhaustive des analyses menées sur les facteurs déterminants la propension à innover et à coopérer pour l’innovation.
En effet, il existe un article nouveau de MAIRESSE et MOHNEN (2010) qui détaille les travaux conduites depuis les années 1990 et portant sur les facteurs déterminant la propension des entreprises à innover. D’après (BUISSON et al., Ibid.), cet article résume de multiples travaux tels que (HOLLENSTEIN, H. (1996), BLUNDELL, R., GRIFFITH, R. et VAN REENEN, J. (1999), MAIRESSE, J., MOHNEN, P. (2002 et 2005) RAYMOND, W. et al., (2007), etc.).
Des études plus récentes ont mis en relief les déterminants de l’innovation. Des unes se sont intéressées d’analyser les déterminants régionaux de l’innovation, d’autres aux déterminants de l’innovation des PME et d’autres à l’influence des déterminants de l’innovation selon les formes d’innovation. On fait référence ici aux travaux de RAHMOUNI M. et YILDIZOGLU (2011), BENOIT et al. (2012), INSEE BRETAGNE (2013).
Au regard de certaines contributions qui seront décrites ci-dessous, notre analyse tient place afin d’étudier le comportement innovant des firmes françaises tout en identifiant les facteurs influençant l’innovation et la coopération pour innover. On cherche ainsi à mettre à jour ces différentes études et les enrichir tout en incluant de nouvelles variables autres que celles utilisées dans celles-ci.
Dans cette lignée, on fait référence aux études faites par FRITSCH M. et LUKAS R. (2001), TETHER B. (2002) et OLOSUTEAN A., 2011).
Dans son analyse, TETHER B. (Ibid.) a cherché à étudier le comportement des entreprises en matière d’innovation et de coopération pour l’innovation. A cet effet, il a appliqué des régressions logistiques simples sur les données de l’enquête communautaire sur l’innovation CIS2 menée au Royaume Uni et couvrant la période 1994 et 1996. Cette enquête portait sur l’innovation de produits et de procédés, ce qui a fait que son analyse a été restreinte aux seules entreprises qui ont innové au sens technologique. Il a employé tout d’abord des régressions logistiques afin d’identifier les entreprises innovantes tout en utilisant des variables en rapport avec la taille, le secteur et l’appartenance à un groupe ou réseau d’enseigne. En introduisant de nouvelles variables se rapportant aux types d’innovations introduits, aux activités de R&D et des freins à l’innovation, il a essayé d’analyser la propension des entreprises à coopérer pour l’innovation avec divers partenaires : clients, concurrents, fournisseurs, universités et organismes publics etc.
Les résultats obtenus affirment que les variables taille, secteur et appartenance à un groupe ont un impact positif sur la propension à innover. De même la propension à coopérer pour l’innovation augmente avec les variables : engagement dans des activités de R&D au niveau interne de manière continue, la nouveauté de l’innovation par rapport au marché et les obstacles rencontrés par les entreprises au niveau coûts financiers et économiques.
Ces effets obtenus sont semblables à ceux résultants du travail de FRITSH et LUCAS (Ibid.). Ces deux auteurs, ont réalisé la même analyse à partir des données de l’enquête CIS2 menée en Allemagne tout en adoptant la même méthodologie que celle décrite précédemment.
Dans ce cadre de recherche, OLOSUTEAN A. (2011) a restreint son travail aux PME françaises. Elle s’est intéressée à expliquer la propension à s’engager dans des activités d’innovation et de coopération pour l’innovation ainsi que les motifs incitant à adopter le choix d’un certain partenaire plutôt qu’un autre à travers les variables taille, secteur, appartenance à un groupe, freins à l’innovation et activités de R&D.
Celle-ci a appliqué des Logits binaires et des Logits ordonnés sur les données de l’enquête Innovation CIS 2004 portant sur la période 2002-2004. Son analyse couvrait les entreprises qui ont innové au sens large puisque dans le questionnaire sur lequel elle s’est basée, les questions de coopération, dépenses pour l’innovation et les freins d’innovation ont été demandées aux entreprises qui ont introduit des innovations de produits, procédés, organisations et marketing. Les principaux résultats obtenus ont montré que la taille, l’intensité technologique du secteur et l’appartenance à un groupe influence la propension à innover. . Alors que la propension à coopérer pour l’innovation varie en fonction de l’appartenance à un groupe et l’engagement dans des activités de R&D.
Inspiré par ces travaux, le principal apport de cette étude est de proposer une analyse économétrique examinant l’effet des facteurs internes et externes sur l’innovation et sur l’activité de coopération pour l’innovation des entreprises française. Plus précisément, ce raisonnement est réalisé en fonction de la taille des firmes, du secteur, l’appartenance à un groupe ou réseau d’enseigne, l’engagement dans des activités de R&D, les compétences etc.
Méthodologie et description des variables
Méthodologie et variables utilisées dans l’analyse multivariée
La méthode statistique la plus appropriée pour analyser le comportement des entreprises françaises en innovation et coopération est le modèle Logit (Aldrich et Nelson, 1984 ; Greene, 2000). En effet, la variable à expliquer ici Innovation/Coopération est dichotomique et est définie par deux modalités : Oui/Non (codées 1/0).
Dans le but de simplifier les calculs, les modèles Logit ont été introduits comme des estimations de modèles Probit. De multiples études telle que celle de MORIMUNE (1979) ont démontré que ces deux modèles dichotomiques ne présentent pas assez de différences. Celles-ci affirment aussi qu’elles fournissent des résultats relativement similaires. Cela est du à la proximité des familles de lois logistiques et normales.
Les caractéristiques du modèle Logit sont très efficaces pour l’explication des approximations des paramètres associés aux variables explicatives. La régression logistique permet de mesurer le rapport entre la réalisation d’un évènement (variable expliquée qualitative ou endogène) et les facteurs aptes à l’influencer (variables explicatives ou exogènes). Elle ne consiste pas à modéliser la variable qualitative mais la probabilité que celle-ci se réalise (EL SANHARAWI M. et NAUDET F., 2013). Ceci argumente l’utilisation du modèle Logit dans la littérature sur la performance d’innovation (HUERGO, 2006) ainsi que dans la littérature empirique sur la coopération dans un contexte d’innovation cf. FRITSCH and LUKAS (2001), TETHER (2002), OLOSUTEAN MARTIN A. (2011). A cet effet, nous allons faire référence à des régressions logistiques simples afin d’étudier la propension à innover et à coopérer pour l’innovation dans les entreprises françaises durant la période 2008 et 2010.
Comme cité précédemment, l’organisation du questionnaire CIS2010 présente néanmoins quelques restrictions et affecte le choix du modèle économétrique dans le cadre ou nous souhaitons identifier les déterminants qui influencent la propension à innover et à coopérer pour l’innovation.
L’enquête est élaborée d’une manière que seules les entreprises ayant déclaré avoir introduit des innovations de produit et/ou de procédé sont interrogées sur les activités et dépenses d’innovation ainsi que sur les sources d’information et de coopération. Elle propose un questionnaire d’une douzaine de volets. Le premier volet renvoie aux informations générales de l’entreprise. Les volets 2, 3 et 4 portent sur la mise en œuvre d’innovations de produit, procédé et sur l’engagement ou non de la firme dans des activités d’innovations. Seules les entreprises ayant confirmé avoir introduits des innovations de produits et/ou de procédés sont invitées à répondre aux questions 5, 6, 7, 8, 9 ,10 et 12. Les questions 8 et 9 portent sur les innovations organisationnelles et de marketing et la question 11 est destinée à toutes les entreprises qu’elles soient innovantes ou non. On commence par des régressions logistiques simples (logit binaire) pour identifier les entreprises innovantes (propension à innover). Dans notre modèle, les entreprises innovantes sont celles qui ont introduit au moins une innovation de produits et/ou de procédés. La variable dépendante Innovation est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si l’entreprise a introduit une innovation de produits et/ou de procédés et 0 sinon.
Variables exogènes et conséquences
Variables relatives au profil de l’entreprise
Les variables Taille et secteur ne se rapportent pas directement à l’innovation mais constituent des variables traditionnelles dans les études des activités d’innovation en ce qui est en rapport avec leurs natures et leurs comportements (COHEN, 1995 ; ARUNDEL A. et al., 2008). La plupart des analyses affirment l’hypothèse schumpetérienne (SCHUMPETER J.A., 2013) qui dit que les innovations augmentent d’une manière proportionnelle à la taille de l’entreprise. On retrouve dans la plupart des analyses que la taille et l’innovation sont directement proportionnelles. En effet, la propension à coopérer s’accroit avec la taille de l’entreprise (FRITSCH M.et LUCAS R., 2001 ; TETHER B.,2002 ; OLOSUTEAN A., 2011)
En ce qui concerne la propension à coopérer pour l’innovation, les petites entreprises révèlent un besoin important d’entretenir des accords de coopération avec d’autres partenaires vue qu’elles souffrent d’un manque de ressources internes. De même, les entreprises de grande taille sont également susceptibles de s’engager dans des activités de coopération à cause des bénéfices qui peuvent en résulter. De multiples études ont affirmé que la taille influence positivement la propension à coopérer pour l’innovation (FRITSCH M.et LUCAS R., Ibid. ; TETHER B., Ibid.).
Les entreprises qui viennent de rentrer sur le marché révèlent un plus grand besoin de coopérer puisqu’elles font face à un manque de ressources internes. C’est la raison pour laquelle le fait d’appartenir à un groupe ou à un réseau d’enseigne influence positivement la propension à innover. L’entreprise devient plus innovante puisqu’elle peut accéder facilement à la source des connaissances du groupe grâce aux différentes formes de proximités (OLOSUTEAN A., Ibid.) De l’autre côté, les entreprises appartenant à un groupe peuvent bénéficier de la puissance et l’image du groupe auquel elles appartiennent dans le cadre de la recherche de partenaires pour l’innovation (TETHER B., Ibid.). Ce qui conduit à réfléchir que celles-ci sont plus susceptibles d’avoir des arrangements de coopération en matière d’innovation avec des partenaires extérieurs que sont les entreprises indépendantes.
Nous distinguons aussi entre les entreprises qui appartiennent à un groupe français et celles qui font partie d’un groupe étranger. En effet, les groupes étrangers ont tendance à être plus actives et sont en quête de collaborer avec des partenaires nationaux afin d’harmoniser leurs produits à la spécificité locale (DUSSAUGE et al., 1992. ; TETHER B. 2002)
Nous incluons le secteur dans notre analyse en utilisant une classification simple basée sur l’intensité technologique. On prévoit que les entreprises appartenant à un secteur de haute technologie sont plus innovantes que celles faisant partie d’un secteur de faible technologie ou des services à faible intensité des connaissances. La plupart des études (COHEN W., 1995 ; QUADROS R. et al., 2001) confirment l’influence positive de l’intensité technologique sur la propension à innover. De même, ces entreprises entretiennent des accords de coopération en matière d’innovation afin d’atténuer les risques qui peuvent en découler.
Compétences et créativité
Le fait de détenir des compétences offre à l’entreprise un avantage concurrentiel par rapport à ses concurrents et peut constituer ainsi une source d’innovation. Delà on va tester l’influence des compétences mobilisées en interne ou acquises de l’extérieur sur la propension à innover. La prise en compte des variables compétences et créativité améliore le modèle des déterminants de l’innovation. Celles-ci sont exclues du modèle coopération suite à des problèmes de colinéarité.
A cet effet, on fait référence à la question 11 de l’enquête CIS 2010 : « 11.1 Au cours des années 2008 à 2010, votre entreprise a-t-elle employé en interne des personnes avec les compétences suivantes, ou obtenu ces compétences de sources extérieures à votre entreprise ? » « 11.2 Au cours des années 2008 à 2010, votre entreprise a-t-elle utilisé une ou plusieurs des méthodes suivantes pour stimuler de nouvelle idées / augmenter la créativité du personnel de votre entreprise ? Si c’est le cas, cela a-t-il été efficace ? »
En se basant sur la théorie des ressources et compétences (WENERFELT, 1984 ; PRAHALAD et HAMEL, 1990 ; BARNEY, 1991), les compétences de l’entreprise sont définies sur la base des méthodes de déploiement et de coordination des diverses ressources (AMIT&SCHOEMAKER, 1993). Selon NANDA (1996), il faut différencier entre les ressources tangibles (humaines, financières ou matérielles) et celles intangibles (information, savoir faire et connaissances). Ainsi afin de compléter le manque en compétences constituant le portefeuille de l’entreprise, celles-ci ont recours à de personnels détenant ces compétences. Le manque de ressources humaines possédant des compétences nécessaires à l’entreprise est pénalisant puisqu’elles sont reconnues comme essentielles à l’innovation (FRANÇOIS et al., 1999). Pour faire face à cette lacune, les entreprises sont incitées à acquérir de nouvelles compétences qu’elles ne possèdent pas. Selon TARONDEAU (2002) et ADELBERT et er LOUFRANI- FEDIDA (2010), au delà des compétences innées, les compétences peuvent être acquises de l’externe (faire appel à des travailleurs indépendants, des consultants freelancers, etc.) ou mobilisées en interne à travers l’emploi (le cas des compétences liées au cœur du métier telles que la conception des produits).