Les objets d’art forain des écoles française et belge dans la collection des Pavillons de Bercy à Paris

Les objets d’art forain des écoles française et belge dans la collection des Pavillons de Bercy à Paris

Une courte histoire de la fête, les prémisses de la fête foraine Belle-Époque

Il est important de rappeler que nous considèrerons dans ce devoir la trentaine d’années qui se sont déroulées de 1880 à 1914, puisqu’elles ont constitué les années durant lesquelles la fête foraine s’est le plus développée tant sur le point technologique, qu’esthétique. Bien que profondément novatrices dans la seconde partie du XIXème siècle, les fêtes foraines sont toutefois l’expression d’un héritage ancien qu’il convient d’expliquer. 1. La fête foraine : un héritage ancien. Il est d’usage dans les ouvrages concernant l’histoire de la fête foraine de placer ses origines dans le sillage des fêtes du Moyen-Âge organisées à partir du Xème siècle. Ces fêtes avaient pour but à l’époque de célébrer certains saints comme « Saint Denis, Saint Germain, Saint Lazare ainsi que Saint Ambroise »2 et étaient les premières manifestations à faire correspondre le ludique au mercantile comme le feront plus tard les fêtes foraines. A la tradition du commerce s’ajoute au Moyen-Âge celle du spectacle puisque les saltimbanques organisent déjà de petites représentations sur le champ de foire ; il s’agit de spectacles de jongleurs ou de marionnettes, de représentations théâtrales et musicales ainsi que de démonstrations de domptage. On voit également apparaître les premiers entresorts3 ainsi que certains jeux de hasard et d’adresse davantage développés à l’apogée des fêtes foraines. Au XVème siècle, la Renaissance marque un tournant décisif pour les fêtes populaires puisque le spectacle occupe de plus en plus de place au sein des manifestations, et qu’elles n’ont plus réellement de valeur religieuse ou marchande. Au XVIIème siècle, les manifestations festives les plus connues sont la plupart du temps réservées à la noblesse (ex : Fête du Carrousel, Le Plaisir de l’Île Enchantée4 ), il ne s’agit donc plus de fêtes populaires. Au même moment les joutes chevaleresques sont interdites et la noblesse, friande de ce type de manifestations, trouve une parade pour organiser des joutes d’une autre sorte ; le jeu de bagues ou course de bagues est alors inventé. Il s’agit d’une course où des cavaliers juchés sur leurs montures lancées au galop doivent faire preuve d’adresse en attrapant, à l’aide d’une lance ou d’une épée, des anneaux placés au sommet d’une potence. Au  Entresort (déf.) : baraque foraine à l’intérieur de laquelle le public canalisé se déplace de façon continue pour contempler un spectacle fixe ; phénomènes, animaux exotiques, cires anatomiques ou maquettes en entrant d’un côté pour ressortir de l’autre. 4 BERNARD Frédéric, Les fêtes célèbres, (v.2), Paris, Hachette, 1878. 9 XVIIIème siècle, le succès du jeu de bagues engendre la création d’un manège à son effigie, on invente alors une sorte de tourniquet à chevaux de bois sur lesquels pouvaient monter les cavaliers afin d’attraper des anneaux suspendus. Le manège du jeu de bagues (fig.1) annonce les prémisses des célèbres carrousels des fêtes foraines Belle-Époque. Toutefois, au XVIIIème siècle les manèges de jeu de bagues sont installés « dans les jardins publics, Folies et Tivolis (jardins idylliques agrémentés d’attractions) »5 alors essentiellement fréquentés par la noblesse. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, les saltimbanques s’emparent de cette invention et se mettent à concevoir des manèges de jeu de bagues pour le champ de foire. On assiste alors à une première vulgarisation des loisirs mondains, puisque les manèges ne sont plus seulement réservés à la noblesse et à la bourgeoisie. Durant tout le XVIIIème et au début du XIXème siècle on ne remarque pas de transformation majeure dans le déroulement des fêtes. Elles restent en quelques sortes ancrées dans la tradition puisqu’elles sont organisées selon le rythme des récoltes de l’année. De plus, jeux de hasard, d’adresse et entresorts font encore partie intégrante de ce type de manifestations. La Révolution industrielle, particulièrement foisonnante au milieu du XIXème siècle implique certains changements dans la tenue des fêtes, l’essor industriel pousse les populations des campagnes à s’installer en ville ce qui permet un développement accru des manifestations foraines. Auparavant réservée à la bourgeoisie, les fêtes foraines du XIXème siècle s’ouvrent aux ouvriers et artisans. En 1848, le carrousel de chevaux de bois est inventé et l’apparition de nouvelles attractions confère aux fêtes et foires, qui au départ avait un but marchand, une nouvelle dimension, celle de l’amusement et du ludique. Si Diderot avait déjà développé au XVIIIème siècle la notion de loisir dans son Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers en la définissant comme étant « le temps vide que nos devoirs nous laissent », celle-ci a davantage de résonnance avec le développement des manèges et donc d’une nouvelle société des loisirs au milieu du XIXème siècle. L’apparition du premier grand magasin en 1852, relève définitivement la fête foraine de sa fonction commerçante. En 1870, les manèges changent de dimensions et atteignent parfois des diamètres de 12 mètres, cette nouvelle dynamique est notamment influencée par les Expositions universelles européennes pour lesquelles se multiplient des pavillons itinérants de plus en plus monumentaux. A l’approche des années 1880 les nouvelles inventions se multiplient et permettent à la fête foraine de prendre une forme tout à fait différente. 

La fête foraine Belle-Époque (1880-1914)

A partir des années 1880, on assiste sur le champ de foire au développement accru d’une architecture propre à la fête. L’architecture foraine se détache des architectures déjà existantes afin de conférer à ces manifestations une esthétique particulière. Espaces privés et espaces publics déterminent le champ de foire : les espaces privés sont constitués par les roulottes et les caravanes tandis que l’espace public est déterminé, lui, par les espaces de passages où les spectateurs peuvent déambuler : il s’agit notamment des manèges, des entresorts et des baraques en tout genre6 . L’essor industriel qui se produit au XIXème siècle voit notamment apparaître le développement de l’électricité ce qui permet aux manèges et baraques de se doter de lumière. La lumière a toute son importance au sein de la fête foraine puisqu’elle délimite, elle aussi, à sa façon, les espaces : les espaces sombres nourrissent l’image de mystère qui se développe autour de la fête foraine tandis que les façades des manèges et des baraques sont puissamment éclairées pour attirer le visiteur7 . L’espace dans lequel déambule le visiteur est pensé en fonction de ces goûts, car bien que l’aspect mercantile de la fête foraine soit peu à peu mis de côté au profit d’un aspect plus ludique, celui-ci n’est pas totalement oublié puisqu’il permet aux forains de vivre de leur activité. La fête foraine se doit d’être résolument moderne à l’affut des modes et des innovations afin d’évoluer en permanence et de ne pas s’enfermer dans des aspects dépassés. La conception des attractions, les décors et les spectacles répondent à des impératifs commerciaux de publicité, ainsi que les parades, les boniments8 ou autres stratégies mises en place pour attirer le public. Le plus souvent, les décors de la fête adoptent des thèmes qui dépaysent le spectateur. Cette ambition de dépaysement du spectateur, développée au travers des fêtes foraines, naît du fait que la société de l’époque, notamment les artisans et ouvriers nouvellement concernés par ces manifestations, subissent de lourdes pressions sociales et économiques. Si l’on a appelé à postériori la fin du XIXème et le début du XXème siècle, Belle-Époque, il faut toutefois nuancer cette idée d’une époque facile à vivre puisqu’elle fut aussi le lieu d’expression d’importantes inégalités sociales, d’une pauvreté ambiante et de conditions de travail difficiles. La fête foraine devient alors, à partir de la fin du XIXème, un lieu d’exutoire pour le spectateur, qui vient se décharger, par l’amusement, de toute la pression qu’il subit au quotidien. A la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle la fête  foraine est principalement réservée aux adultes, ce qui explique d’une certaine façon les connotations sérieuses qui demeurent en fond. La fête foraine s’ouvrira davantage aux enfants lorsque apparaîtra les premières réflexions sur l’éducation. Le rôle de vulgarisation technologique, scientifique, artistique et géographique qu’elle adopte également nous fait aussi prendre conscience que celle-ci était davantage réservée aux adultes. a) Un rôle de vulgarisation pour la fête foraine. La fête foraine Belle-Époque est aussi un lieu de vulgarisation technologique, puisque son développement est notamment dû aux innovations techniques qui surviennent au même moment. L’invention de la machine à vapeur, le développement du gaz ou de l’électricité, comme cité précédemment, interviennent directement dans son processus de développement. Les manèges qui étaient à l’origine activé par la force humaine, puis par des bœufs ou des chevaux sont désormais dotés d’une machine à vapeur qui permet leur fonctionnement ainsi que celui de l’orgue qui vient les animer à la même époque. C’est aussi le moment de l’invention des bielles, des rails, des treuils, des escaliers mobiles ou du plan incliné, etc. Toutes ces innovations ont permis au fil du temps, à la fête foraine, de se doter de nouveaux manèges qui feront le succès de celles-ci : toboggan, looping, water-chute9 , grande-roue, manège aérien à force centrifuge ou à force motrice, cake-walk10, etc. Les grands tournants qui au départ sont animés par des sujets de manèges animaux vont peu à peu se doter de sujets plus modernes en adéquation avec le développement des nouveaux moyens de locomotion : vélocipèdes, bateaux et barques, métro, tramway pour la période qui nous intéresse, plus tard il s’agira des automobiles, des avions, etc. Dans son rôle de vulgarisateur technologique, les fêtes foraines, diffusent des spectacles de panoramas et dioramas, prémisses du cinéma et de la photographie. En 1895, Charles Pathé introduit le cinéma sur les champs de foires. La fête foraine occupe aussi un rôle de vulgarisation scientifique et médicale entretenu par les cabinets de cires anatomiques ainsi que par les entresorts qui exposaient hommes, femmes et animaux considérés comme des aberrations de la nature de par leurs difformités. Ce type d’expositions, ainsi que celles motivées par le développement des grandes expositions coloniales, où l’on exposait des tribus aux coutumes bien différentes de celles développées en Europe, seront 9 Water-chute (déf.) : manège de barques descendants le long d’une chute d’eau 10 Cake-walk (déf.) : L’Exposition universelle de 1900 célébra l’avènement d’un XXème siècle mécanique en proposant aux visiteurs les commodités d’un trottoir roulant long de trois kilomètres. Cette invention était composée de plateaux surélevés animés de vitesses différentes. L’amusement plut aux forains qui en placèrent sur les parcours accidentés du palais du rire, des galeries des glaces ou à l’entrée de grandes attractions. 12 interdites à partir de la fin du XIXème siècle, jugées trop dégradantes. A la Belle-Époque on assiste également au développement des ménageries et notamment des ménageries d’animaux exotiques, résultat des premiers voyages et permettant à nouveau le dépaysement du public. b) L’influence des Expositions universelles. Si l’on a évoqué l’influence des Expositions coloniales dans le développement des fêtes foraines, il y eu d’autres événements qui eurent un retentissement davantage perceptible ; il s’agit des Expositions universelles, à partir du milieu du XIXème siècle. Ces expositions étaient organisées pour témoigner des nouvelles technologies au même moment où les fêtes foraines les utilisaient pour leur développement. La physionomie des Expositions universelles ressemblait pour beaucoup à celle des fêtes foraines qui dans une même dynamique s’organisaient autour de pavillons ou baraques visant à attirer le public à l’intérieur. A la BelleÉpoque, les Expositions universelles témoignent de la création de pavillons de plus en plus grands qui vont considérablement influencer la construction des carrousels-salon, ou pavillons de la fête, présents sur le champ de foire. On aura l’occasion par la suite de revenir sur ces architectures monumentales. L’influence de l’Exposition universelle de 1900 sur la fête foraine est probablement la plus perceptible puisque c’est lors de cette événement que l’on va ériger pour la première fois en France la grande-roue (fig.2), manège emblématique des fêtes foraines Belle-Époque. De plus, le Pavillon de l’électricité (fig.3) érigé pour l’occasion va profondément marquer la production foraine puisque c’est sur le même modèle que sera construit les façades des carrousels-salon qui vont se développer à la même période, et notamment celle du Carrousel-Salon Demeyer (fig.4). L’avènement de l’électricité célébré lors de l’Exposition universelle de 1900 n’est pas sans rappeler l’importance que celle-ci aura pour l’évolution de la fête foraine, comme on a pu l’expliquer plus haut. Après avoir évoqué le rôle et la physionomie des fêtes foraines à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, ainsi que les influences qu’elles ont subi, il est nécessaire de voir comment cela s’est exprimé concrètement au travers de l’étude des écoles de production foraine française et belge.

Table des matières

PREMIÈRE PARTIE – UN CONTEXTE D’EFFERVESCENCE POUR LE MONDE FORAIN
CHAPITRE 1 – UNE COURTE HISTOIRE DE LA FETE, LES PREMISSES DE LA FETE FORAINE BELLE-ÉPOQUE
1. La fête foraine : un héritage ancien
2. La fête foraine Belle-Époque (1880-1914)
a) Un rôle de vulgarisation pour la fête foraine
b) L’influence des Expositions universelles
CHAPITRE 2 – LA PRODUCTION D’OBJETS FORAINS : LES ECOLES FRANÇAISE ET BELGE
1. L’école française : Angers capitale de l’art forain
2. Le savoir-faire des artistes belges
CHAPITRE 3 – LES ATELIERS DE RENOM
1. Les constructeurs de manèges et sujets de manège
a) Gustave Bayol (1859-1931)
b) Alexandre Devos
2. L’industrie des orgues forains
a) La manufacture Limonaire frères (1880-1932)
b) La firme Hooghuys
3. D’autres artistes talentueux
a) Pierre-Marius Coppier (1878 – 1955)
b) Valentin Milot (1865-1937) et Alfred Garcement (1842-1927)
DEUXIÈME PARTIE – VERS UNE ETUDE DES FORMES DE L’ART FORAIN FRANÇAIS ET BELGE : LA COLLECTION DES PAVILLONS DE BERCY A PARIS
CHAPITRE 1 – LES STRUCTURES D’ENVERGURES
1. Les manèges et carrousels
a) Deux manèges de manufactures réputées
b) Décors de manèges et sculptures monumentales
2. Les baraques et carrousels-salon
a) Baraques foraines : un exemple de tir-salon
b) L’Hippo-Palace : un fabuleux témoignage de la grandeur des carrousels-salons
CHAPITRE 2 – LES SUJETS DE MANEGES
1. Animaux et moyens de locomotions : typologie des sujets de manèges
2. Des exemples de sujets de manèges
CHAPITRE 3 – LES ORGUES FORAINS
1. Orgue et orgues forains : de la naissance des orgues de fêtes foraines
2. Des exemples d’orgues forains
CHAPITRE 4 – LES PETITES ATTRACTIONS FORAINES
1. Les jeux à la fête
2. Des exemples de petites attractions foraines
TROISIÈME PARTIE – L’ART FORAIN : LE DIFFICILE CHEMINEMENT VERS LA RECONNAISSANCE DES COLLECTIONS
CHAPITRE 1 – VALORISATION ET COMMUNICATION DES COLLECTIONS
1. Les objets valorisés par leur exposition
a) La démarche de Jean Paul Favand
b) Une scénographie particulière
c) Un important travail de conservation et de restauration
2. Vers une communication de la collection
a) Les visites
b) Des événements organisés autour de la collection
c) Un guide en construction
CHAPITRE 2 – LE DEFI POUR LA RECONNAISSANCE D’UN PATRIMOINE EN PERIL
1. De grandes distinctions pour l’art forain
2. La culture foraine au patrimoine immatériel de l’UNESCO
CHAPITRE 3 – LES ARTS FORAINS ET LE MARCHE DE L’ART : PREMIERE APPROCHE
1. Une multitude de ventes : comment connaître la véritable valeur des pièces ?
2. Le secteur de l’imitation un secteur à succès

projet fin d'etudeTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *