Les processus du transport réactif à l’échelle porale

À partir du milieu du vingtième siècle les populations européennes, qui vivaient principalement en zone rurale, se sont concentrées dans les villes. Pour soutenir cette transformation du mode de vie, le développement des activités humaines comme l’agriculture, l’élevage, l’industrie, l’urbanisation, s’est intensifié au point de soumettre l’environnement à une pression anthropique significativement plus forte. En effet il a été remarqué, pendant cette période, que les eaux de surface et souterraines ont été exposées à une contamination à divers polluants et en particuliers aux composés azotés que sont les nitrates. Une origine de cette contamination provient des diverses activités anthropiques se déroulant à proximité de ces eaux : par exemple l’utilisation d’engrais azotés, les déjections animales (Benson et al. 2007 ; Babiker et al., 2004), les rejets des eaux usées, les processus de combustion en émettant des oxydes d’azote, les agents de conservation alimentaire sont autant de sources de pollution qui alimentent la dégradation de la qualité de ces eaux. Cette situation est particulièrement problématique lorsque ces eaux sont utilisées pour l’approvisionnement en eau potable des populations. Ces contaminants qui sont principalement émis en surface subissent trois phénomènes de migration que sont l’évaporation, le ruissèlement et l’infiltration dans les sols. Cette variété de type de transport augmente leur dispersion dans l’environnement et rend leur suivi extrêmement difficile. Notamment en tirant parti de la connexion entre les aquifères et les eaux de surface, ceux-ci peuvent se retrouver en des lieux éloignés de leur lieu d’intrusion.

Ce travail s’inscrit dans le contexte plus générale du transfert de polluant depuis le sol jusqu’à l’intérieur de la zone saturé des aquifères. Ce transfert dépend du polluant et de la nature géologique de l’aquifère. Ici le choix s’est porté sur les nitrates pour leur importance sociétale. Ils peuvent, lors de ce transfert et sous certaines conditions environnementales (l’activité bactérienne, présence d’autres espèces chimiques), se transformer en d’autres éléments azotés comme les nitrites, l’ammoniac, le monoxyde d’azote…. De plus en raison de la stabilité relative de l’ion nitrate, la plupart des substances azotées présentes dans l’environnement ont tendance à se transformer en nitrates et ainsi d’augmenter leur teneur. Ensuite, leur grande solubilité dans l’eau leur permet d’atteindre la zone saturée en eau par lessivage à travers la zone non saturée. Les mécanismes de cette migration dépendent fortement de l’activité biologique (André et al., 2011) et d’autres paramètres tels que la pluviométrie, les propriétés hydrauliques du sol, l’occupation du sol ainsi que le niveau piézométrique de la nappe aquifère (Cameron et al., 1979 ; Sheperd, 1996). Ainsi la réactivité et le transfert des nitrates par infiltration résultent de phénomènes physico-chimiques complexes. D’une part la structure poreuse du sol et du sous-sol détermine grandement les propriétés hydrodynamiques et les temps de transfert des solutés (Feyen et al., 1998) ; et d’autre part la capacité d’échange anionique permet de fixer les ions nitrate (Sposito, 1989). De même, les conditions de saturation jouent un rôle important dans leur transfert et leur réactivité. Les différentes étapes de la migration des nitrates, énoncés dans ce paragraphe, mettent en évidence la complexité des mécanismes régissant leur transfert depuis la surface jusqu’à leur entrée dans la zone saturé, et mériteraient d’être l’objet d’une étude approfondie.

Dans ce travail on décide de se restreindre au suivi des panaches de nitrates au sein de la zone saturée, dans laquelle ils réagissent chimiquement en fonction des propriétés géochimiques de l’aquifère et migrent sur de grandes distances au point de pouvoir contaminer indirectement des eaux saines souterraines et de surface éloignées. La prédiction du transport des nitrates dans la zone saturée répond à trois enjeux sociétaux majeurs. Le premier est d’abord environnemental car ceux-ci sont responsables de l’eutrophisation des milieux aquatiques engendrant une baisse de leur diversité biologique. Le second est sanitaire, dans la mesure où l’approvisionnement en eau potable provient de la zone saturé des aquifères ; il convient de s’assurer de sa qualité afin de se prémunir contre les effets indésirables d’une contamination. Enfin le dernier est économique, d’une part car la protection des ressources en eau permet d’éviter, lors de leur exploitation, le surcoût de la mise en œuvre d’un procédé de dénitrification et d’autre part l’amélioration du suivi des nitrates accroît l’efficacité des procédés de remédiation des eaux contaminées et la baisse de leur coût.

Le transport réactif des nitrates dans la zone saturée d’un aquifère est gouverné par des processus hydrogéologiques et géochimiques se déroulant à différentes échelles de temps et d’espace. En effet la zone saturée est un milieu poreux pour lequel la description géométrique peut s’établir à trois échelles. L’échelle microscopique, allant du nanomètre au micromètre, et qualifiée d’échelle porale, décrit précisément l’espace porale et sa frontière avec la matrice poreuse dans toute sa complexité géométrique. L’échelle mésoscopique allant du micromètre au centimètre, décrit l’espace porale du milieu comme un assemblage de pores reliés par des liens formant un réseau ; les pores et les liens ont des formes simples (sphères, cylindres,…). Enfin l’échelle macroscopique allant du centimètre au mètre, qualifiée d’échelle de Darcy, considère le milieu comme homogène et fait abstraction des hétérogénéités microscopiques ; c’est à cette échelle qu’est défini le Volume Élémentaire Représentatif (VER) au-delà duquel la loi de Darcy s’applique. La connaissance de ces processus à toutes ces échelles est essentielle pour comprendre et résoudre les problèmes de contamination. La complexité des processus du transport réactif et la difficulté d’acquisition des données de terrain, entraînent que sa compréhension repose principalement sur sa modélisation mathématique et sa résolution numérique. L’utilisation des modèles de transport réactif dans le domaine des géosciences est courante mais présente des limitations au niveau de la détermination des paramètres d’entrée. En effet ces modèles s’expriment en considérant la zone saturée de l’aquifère à l’échelle de Darcy donc comme un milieu homogène, ce qui n’est pas le cas en réalité. Celui-ci présente des hétérogénéités géométriques microscopiques, qui modifient le processus de transport réactif, dont la valeur des paramètres doit rendre compte. Cet écart à la réalité est à l’origine des échecs que rencontrent ces modèles pour prédire le transport réactif, lorsque leurs paramètres sont déterminés en laboratoire. En effet ces derniers sont généralement déterminés à l’aide de systèmes expérimentaux pour lesquels l’hétérogénéité initiale du milieu est perturbée significativement et souvent perdues. Par conséquent ils ne sont pas représentatifs du milieu dans son état naturel. Par exemple, le processus de dispersion, qui est souvent considéré en régime asymptotique, peut être dépendant du temps (Berkowitz et Sher, 1995, 1998) ; de plus la dispersion réelle (sur le terrain) est souvent plus grande que celle obtenue en laboratoire et cet écart tend à augmenter avec la taille du milieu (Gelhar et al., 1992 ; Rajaram et Gelhar, 1995) ce qui pose la question de la détermination du VER. Les hétérogénéités de composition chimique du milieu entraîne une répartition spatiale hétérogène des processus réactifs se déroulant au sein de la structure poreuse de l’aquifère qui peuvent déboucher sur une modification du transport. Par exemple, un processus d’adsorption se faisant à l’équilibre à l’échelle porale, engendre à l’échelle de Darcy un processus d’adsorption cinétique (Espinoza et Valocchi, 1997). Ces exemples montrent que le transport réactif à l’échelle de Darcy dépend fortement de celui au sein de la structure porale du milieu, et qu’il est nécessaire de comprendre ce processus à l’échelle porale.

Par conséquent ce travail s’attache au suivi de la concentration de solutés à l’intérieur de la structure poreuse des aquifères. Ensuite ces informations, sur leur comportement à cette échelle, pourront être utilisées pour corriger la valeur des paramètres des modèles de transport réactif à l’échelle de Darcy et dans le futur développer de nouveaux modèles qui tiennent compte implicitement des hétérogénéités microscopiques du milieu.

L’accession à la microstructure de ces milieux poreux, est rendu possible par l’amélioration des techniques d’imagerie. La microtomographie à rayon X permet d’observer la structure porale d’un milieu à une résolution de quelques microns. Cette description fine permet de résoudre les modèles de transport réactif à l’échelle du pore. Cependant pour que les résultats soient transférable à l’échelle de Darcy, notamment pour le calcul des paramètres des modèles à l’échelle de l’aquifère, il est nécessaire que la taille de l’échantillon soit taille suffisante. Dans ce cas il est illusoire de résoudre le transport réactif à l’échelle porale par les méthodes classiques car le temps de résolution est prohibitif. En effet la complexité géométrique du milieu à cette échelle associée au couplage des processus de transport et de réactivité conduit à un système comportant beaucoup trop de degrés de liberté pour être résolu en un temps raisonnable. Pour contourner ce problème, on modélise l’espace porale du milieu poreux à l’échelle mésoscopique par un réseau de pores, qui en est sa simplification géométrique, mais qui conserve en particulier sa topologie. Cette description permet d’étudier les transferts de masse au sein de la microstructure en tenant compte de la structure interne du milieu. Si cette simplification change la géométrie, elle permet de suivre plus précisément la physique du transport de soluté. En effet sur un tel modèle, la résolution du transport réactif est semi-analytique. Cela permet de réduire drastiquement la taille du système et de diminuer le temps de calcul.

La modélisation sur réseau de pores du transport réactif s’est popularisée car elle s’est avérée efficace pour suivre l’évolution d’un soluté au sein d’un milieu poreux et pour le calcul de ses paramètres macroscopiques. Néanmoins on assiste à une multiplication de modèles spécifiques sans lien apparent, non hiérarchisés, pour lesquels les domaines de validité ne sont pas clairement définis. Cette diversité provient de l’étape du calcul analytique qui diffère suivant les applications, ce qui complique la comparaison de ces modèles entre eux. Cependant tous sont quasi statiques, il considère que le régime asymptotique est atteint à chaque instant dans le réseau. Cette hypothèse n’est pas nécessairement compatible avec le couplage les processus réactifs pour lesquels les temps caractéristiques d’évolution peuvent être plus petit que ceux du transport. En absence de modèle général transitoire, il n’est pas possible de vérifier la validité de cette hypothèse. Au vu du rôle joué par les hétérogénéités (voir paragraphe précédent) il est opportun de s’assurer de la pertinence des modèles existants. En cas d’invalidation, il est nécessaire de développer un nouveau modèle, captant les mécanismes du transport réactif à l’échelle porale dont l’existence influence significativement ce processus à l’échelle macroscopique.

Le transport réactif dans les milieux poreux est un processus qui met en jeu le transport, les aspects réactifs mais aussi la complexité du milieu poreux. Son étude fait intervenir trois échelles spatiales appelées respectivement microscopique, mésoscopique et macroscopique qui sont liées par la taille caractéristique des hétérogénéités du milieu poreux. L’échelle macroscopique (allant du centimètre au mètre) est d’intérêt pratique dans la mesure où elle permet de simuler ce processus à l’échelle du réservoir géologique ou de l’aquifère à partir des modèles issus de la mécanique des milieux continus. Néanmoins l’expression et la valeur des paramètres d’entrée des modèles macroscopiques de transport réactif sont inconnus à priori car ils représentent des caractéristiques effectives du milieu poreux. Leur détermination nécessite de résoudre le processus à l’échelle microscopique. À cette échelle (de l’ordre du micromètre) les modèles classiques issues de la mécanique des milieux continus s’appliquent, et leurs résolutions permettent de déterminer le champ de concentration au sein de l’espace porale. Ce raisonnement multi-échelle repose sur l’existence d’un modèle macroscopique résultant de la mise à l’échelle d’un modèle défini à l’échelle microscopique. Cette condition est respectée dans le cas où ces deux échelles sont découplées, c’est-à-dire qu’il existe un volume à partir duquel un échantillon de cette taille est statistiquement homogène, et sous l’hypothèse de périodicité du milieu. Cependant celles-ci sont invalidées dans le cas du transport réactif dans la mesure où l’homogénéisation à l’échelle macroscopique est difficile à mettre en œuvre. En effet la non-linéarité des modèles réactifs et les réactions d’interfaces, comme celles de précipitation/dissolution ou l’absorption/désorption couplées à la complexité de l’espace porale à l’échelle microscopique, sont responsables de cet échec et de la non séparabilité de ces deux échelles. Par conséquent pour déterminer les paramètres du modèle macroscopique, il est nécessaire de considérer une échelle mésoscopique faisant le lien, pour laquelle le suivi des caractéristiques morphologiques et topologiques du milieu et les processus locaux réactifs sont explicitement pris en compte dans cette détermination. Ensuite, les paramètres macroscopiques peuvent être calculés numériquement à partir de la connaissance de l’évolution du champ de concentration à l’échelle mésoscopique. Ainsi, à ces trois échelles, correspondent trois types de description de l’espace porale et elles conduisent à trois types de modèles.

Table des matières

Chapitre 1 : Introduction
I.1 Contexte général
I.2 Problématique scientifique
I.3 Objectifs
I.4 Plan du manuscrit
Chapitre 2 : Le transport réactif dans les milieux poreux : Etat de l’art
I Représentation du milieu poreux
II Les processus du transport réactif à l’échelle porale
II.1 Modélisation de l’Ecoulement
II.2 Modélisation du transport de masse
II.3 Modélisation des vitesses réactions
III Processus du transport réactif à l’échelle de Darcy
III.1 Modèle d’écoulement
III.2 Modèle de transport
III.3 Modélisation des vitesses de réactions
IV Transport réactif à l’échelle mésoscopique
V Résolution numérique du transport réactif
V.1 Méthodes de CFD
V.2 Méthodes de Boltzmann sur réseau
V.3 Méthode SPH (Smooth Particle Hydrodynamics )
V.4 Marche aléatoire
V.5 Découpe d’opérateurs du transport réactif (Operator Splitting)
VI Modèles mésoscopiques : approche des réseaux de pores
VI.1 Génération de réseaux de pores par microtomographie
VI.2 Modèles de transport réactif dans les réseaux de pores
VI.3 Conclusion
Chapitre 3 : La modélisation sur réseau de pores
I Définitions
I.1 Morphologie des réseaux de pores
I.2 Topologie des réseaux de pores
I.3 Remarques et précisions
II Méthode de modélisation
II.1 Nature du modèle de transport
II.2 Propriétés mathématiques du système d’équation
II.3 Conservation
II.4 Les variables
II.5 Précision du modèle
II.6 Conclusion
III Méthode de calcul des débits
Conclusion générale

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