Les tendances sectorielles l’après crise à nos jours (2005 -2011) 

L’après crise à nos jours (2005 -2011)

Depuis la fin de la crise, la logique de la MVA s’est imposée dans l’ensemble du secteur. Nous allons maintenant aborder les répercussions de cette logique sur le secteur et sur le fonctionnement de France Télécom, de 2005 à nos jours. Dans un premier temps, nous analyserons les changements opérés au niveau sectoriel durant cette période. Nous présenterons, ensuite, les orientations stratégiques de France Télécom de 2005 à 2008 et mettrons en perspective les transformations intervenues au niveau de son dispositif RSE officiel (III.4.1). Dans un second temps, nous nous centrerons uniquement sur les évolutions de France Télécom et de son dispositif RSE officiel, depuis 2009. En 2009, tandis que l’entreprise annonce le lancement de son troisième plan stratégique, la médiatisation de la «vague» de suicides dont la filiale française Opérations France (OPF) est le théâtre, va la mener à revoir ses positions. Nous présenterons alors les nouvelles orientations de l’entreprise, mais de façon concise, car notre investigation dans l’entreprise s’est terminée en 2009 (III.4.2)

Les télécommunication et France Télécom après la crise (2005 – 2008)

Au niveau sectoriel, nous mettrons en évidence que depuis 2005, le secteur des télécommunications se développe dans les mêmes conditions qu’avant la crise. Nous verrons aussi que la perception des opérateurs historiques européens du rapport « DD, SP et profitabilité » a évolué (III.4.1.1). Nous soulignerons, ensuite, que durant cette période, il s’est agi pour France Télécom d’instituer le modèle actionnarial dans ses pratiques quotidiennes. Nous présenterons le second plan stratégique, Nouvelle Expérience des Télécommunications (Next) qui poursuit cet objectif. Il s’étend sur la période 2005-2008 (III.4.1.2) Nous analyserons, enfin, les moyens déployés par l’entreprise, entre 2005 et 2008, pour que le dispositif RSE officiel se renforce et se systématise (III.4.1.3). 

Les tendances sectorielles l’après crise à nos jours (2005 -2011) 

Nous présentons donc les tendances générales du secteur, durant la période 2005 à nos jours, le déroulement de la seconde phase du Sommet mondial pour une société de l’information et l’évolution du rapport des logiques DD, SP, recherche de profitabilité dans la perception des acteurs de la communauté des télécommunications, en particulier, des opérateurs historiques européens. La téléphonie mobile est désormais l’activité phare du secteur. Selon les estimations de l’UIT, depuis 2009, 4,6 milliards d’individus sont abonnés au téléphone mobile et 67 % de la population mondiale est équipée d’un téléphone portable (Communiqué de presse de l’UIT, 06 octobre 2009)84. Ces estimations positionnent le téléphone mobile à la deuxième place des technologies personnelles les plus utilisées au monde, derrière le téléviseur (4,9 milliards) et loin devant le PC (1,9 milliard). Les usages liés aux divers services de télécommunications qui concernent la vie économique, sociale, culturelle, continuent à se développer dans les pays occidentaux (services médicaux, développement des réseaux sociaux comme facebook, etc.) et les pays émergents sont fortement demandeurs de ce type de services. La taille du marché asiatique des télécommunications dépasse depuis 2007 celle de l’Europe et les marchés de l’Inde et de l’Afrique sont en progression constante depuis le début des années 2000. Le renforcement de la logique de MVA continue de concerner particulièrement les opérateurs historiques européens, désormais, tous privatisés. Il s’ensuit une accélération de leur processus de transformation de gestionnaires de réseaux en fournisseurs de contenus multimédias et de services innovants et interactifs, peu compatible avec le caractère de bien public des télécommunications. Dans le même temps se développent des stratégies de convergences des services, des marques, des modes d’organisation pour profiter pleinement des opportunités liées au maillage des technologies. Ces réorientations stratégiques ont des effets négatifs sur l’emploi dans les bassins européens. Elles entraînent, en effet, de nombreuses restructurations au sein du réseau des fournisseurs et sous traitants d’équipements qui ont dû constamment revoir à la baisse les prix de leurs fournitures en faisant jouer les économies d’échelles (Faure et alii, 2007, p. 9). Dans ce contexte, l’ambition de lutte contre la fracture numérique portée par le Sommet Mondial pour une Société de l’Information, peine à s’instituer. La deuxième phase du 84 http://www.itu.int/newsroom/press_releases/2009/39-fr.html 207 Sommet s’est bien tenue en 2005 à Tunis et 19 000 participants y ont participé. L’objectif de parvenir à un accord sur la gouvernance de l’Internet, les mécanismes de financement de lutte contre la fracture numérique, le suivi et la mise en œuvre des différents documents de Genève (déclaration de principe et plan d’action) n’a que partiellement été atteint. A l’issue du SMSI, des engagements ont été à nouveau formulés, un accord commun a été établi pour créer un forum sur la gouvernance de l’Internet et un examen d’ensemble de la mise en œuvre des conclusions du SMSI a été prévu en 2015. Au moins trois éléments mènent à douter de la volonté (affichée) des acteurs privés/publics à s’engager pleinement dans la lutte contre la fracture numérique : le Sommet a fait l’objet d’une faible médiatisation ; les financements publics attribués à l’UIT pour mettre en œuvre et coordonner le déroulement du plan d’action pour la lutte contre la fracture numérique, sont dérisoires compte tenu de l’ampleur de la tâche et de l’avis des experts, une lutte efficace contre cette fracture, nécessite de reconnaître le spectre des fréquences et les orbites satellitaires comme relevant des biens publics mondiaux (Fullsack, 2005, p. 361). Or, ce point de vue n’est pas partagé à l’UIT, lequel segmente ce spectre en bandes de fréquences vendables et attribue ces orbites satellitaires contre rétribution (Benamrane et alii, 2005, p. 11-18). Au niveau européen, le cadre juridique du service universel n’a pas connu d’évolution. En revanche, la montée en puissance de la logique du DD permet aux responsables de ce service et aux citoyens européens qui le défendent, de rappeler la place essentielle des TIC dans la lutte contre l’exclusion sociale, économique et territoriale. Ce discours du Directeur des Affaires Publiques de France Télécom illustre bien ce point : « Le service universel a été défini à l’époque où nos services du haut débit étaient balbutiants, voire inexistants. Le problème c’était le téléphone fixe donc aujourd’hui la question est de voir pour le haut débit, l’accès au mobile […]. On sait bien que l’Europe n’est pas fanatique du service public, du service universel qui est un truc de «ces arriérés de français étatistes ». Mais en même temps, dans le vocable bruxellois, il y a des termes à la mode qui veulent finalement dire à peu près la même chose, qui ne sont pas aussi fortement connotés que le Service Universel ou Public.

C’est Electronic health pour tout ce qui touche la santé, E-accesibility pour ce qui concerne les services dédiés aux personnes handicapées […], E-inclusion qui est justement un peu cette notion de service public, de service universel…l’enjeu concerne l’accès des TIC à l’ensemble de la population, y compris ceux qui sont économiquement défavorisés, ou 208 qui sont dans des territoires ruraux éloignés. Donc je pense que la France, si elle veut conserver et développer son service universel, elle a intérêt de l’habiller, d’habiller son discours du bon langage : parler de E-inclusion, et là à Bruxelles les portes s’ouvriront…» (Directeur des Affaires publiques de France Télécom, 2007) On voit ici que les stratégies RSE « éclairées », de « cœur de métier » dans le domaine du social, visant à améliorer la situation économique des opérateurs en saisissant le DD et le SP comme opportunités d’innovation et de rationalisation productives, gagnent du terrain. En arrière plan de ce discours, on peut en effet comprendre que le déploiement de stratégies de type BOP (Bottom of the Pyramid (Prahalad, 2004)) visant à mettre à la disposition de populations démunies, mais constituant une cible large, des produits ou services de base, peu onéreux, dans les domaines de la téléphonie mobile ou d’Internet, est envisageable. Cette citation met aussi en avant que d’autres cibles peuvent être prises en compte, comme celle des personnes handicapées ou le monde de la santé. 

France Télécom après la crise 

En 2005, le plan « Ambition France Télécom 2005 » s’est soldé par un succès financier (16,6 milliards de cash flow ont été dégagés contre 15 attendus) et le désendettement a été de 25%. D. Lombard, alors Directeur adjoint du groupe, succède à T. Breton. Sous sa direction, le second plan stratégique de France Télécom (2005-2008) « Nouvelle Expérience des Télécoms » (Next) est lancé pour instituer le modèle actionnarial dans les pratiques quotidiennes de l’entreprise. Le plan Next se décline en plusieurs objectifs, répartis selon les quatre thèmes suivants : chiffre d’affaires et finances ; désendettement ; efficacité et rendement ; ressources humaines. Il prévoit également la mise en place de quatre chantiers de transformation. Le premier concerne la stratégie commerciale de l’entreprise et vise à créer un service client unifié pour l’ensemble de ses offres (téléphonie fixe, téléphonie mobile, Internet, multimédias, etc.). Le second consiste à simplifier et renforcer la stratégie de marque. Le troisième cherche à placer l’innovation au cœur de la stratégie de développement de l’entreprise avec l’aide de la fonction marketing pour diversifier les offres. Enfin, le quatrième a trait au développement d’un réseau de télécommunications, permettant un accès étendu au haut débit, dans les pays à fort potentiel, comme les pays d’Afrique et du Moyen Orient. Ces quatre chantiers sont accompagnés d’un programme spécifique de gestion du personnel, appelé Anticipation et Compétences pour la Transformation (Act). Il vise à accélérer l’adaptation des salariés, notamment des agents fonctionnaires, au nouveau contexte organisationnel de l’entreprise. L’organisation de France Télécom a alors évolué vers une structure matricielle structurée autour de directions métiers (achats, ressources humaines, etc.), de six branches opérationnelles correspondant à des zones géographiques : la France (nommée Opérations France (OPF)), la Pologne, l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Europe du centre et de l’Est (EME) ; l’Asie Pacifique, le Moyen-Orient et l’Afrique (AMEA) ; et d’une branche dédiée au marché des « professionnels » : Orange Business Services (OBS). En 2006, trois divisions dans le domaine des services multimédias sont constituées.

L’une propose une gamme de services liés aux contenus (jeux vidéo, TV, sonneries ou images accessibles grâce au téléphone mobile), l’autre se centre sur la commercialisation d’une offre de produits et services à destination du monde de la santé (le e-santé), et la troisième se consacre à la publicité en ligne. La même année, France Télécom a adopté la marque Orange pour l’ensemble de ses offres toutes activités confondues. Le concept « Orange Labs » est en outre mis en place. Ce concept consiste à fédérer l’ensemble des entités du groupe dédiées à 210 l’innovation, soit 16 centres R&D visant à anticiper les ruptures technologiques et détecter les nouvelles tendances, un Technocentre développant les nouvelles offres que les pays déploient sur leurs marchés ; un Explocentre consistant à développer des concepts nouveaux non matures, un Innovacom correspondant à un fonds d’investissement pour soutenir le développement de start-up innovantes en informatique et télécommunications et Orange vallée, dédié au développement de services innovants ne nécessitant pas d’investissements lourds et détachés du cœur de métier de l’entreprise. L’ancrage de la logique actionnariale dans le management de l’entreprise, s’opère par une révision de l’organisation du travail, en suivant le modèle de la taylorisation au sens d’Alter (2006). Le management gestionnaire se substitue au management traditionnel de l’entreprise dont la légitimité repose encore sur la compétence technique. Dans ce cadre, la mission des managers consiste à diminuer les effectifs des équipes de travail et à optimiser les résultats à court terme. La mise en place de processus destinés à standardiser et harmoniser les pratiques et à veiller à ce que les modes de fonctionnement soient optimisés, est devenue le moteur de la productivité. Le déploiement de ces processus est la mission des directions métiers qui, face à la complexité des situations de travail, ne remplissent que partiellement leur rôle. Les processus suscitent d’importantes frustrations chez les salariés qui doivent les subir. Le principe de base du taylorisme, c’est-à-dire la séparation entre la conception et l’exécution, déployé depuis 1995, est renforcé pour « permettre de faire remonter en centrale le pouvoir de décision et de transformer les différents services en centres d’exécution dont les membres ont besoin de moins de qualification puisqu’il leur suffit de travailler en appliquant un processus défini » (Technologia, 2010, p.7). A cela, s’ajoute une déconnexion grandissante du rapport client/salarié suite à l’application de la stratégie commerciale visant à créer un service client unifié. Cette stratégie a notamment engendré, chez de nombreux salariés, un sentiment d’impuissance à répondre aux besoins du client. Enfin, l’informatisation des processus est également au centre de la production de France Télécom. Cette informatisation a permis d’accroître la visibilité du travail de chacun et donc le contrôle central sur l’activité des équipes.

Il s’ensuit ainsi, tandis que France Télécom se réorganise, une dégradation massive sur le terrain des conditions de travail (surcharge de travail, insatisfaction et mal être au travail, stress, absence de reconnaissance au travail, etc.) (Technologia, 2010, p.7)85 . 85 Cf. Annexe 4 : listes des experts rencontrés et des principales informations secondaires exploitées, p. 339 211 En 2006, les résultats du plan Next sont jugés insuffisants par la Direction et la stratégie de gestion des Ressources Humaines est directement mise en cause. En interne, on parle de « crash programme » 86 pour décrire les nouvelles directives à appliquer au volet social du plan Next, le programme Act. Ces directives se traduisent par un renforcement des mobilités et un accroissement des prévisions du nombre de départs/suppressions d’emplois. En France, le chiffre de 22 000 suppressions d’emplois, d’ici 2008, est annoncé, soit un emploi sur cinq. La réorganisation des centres de la relation clientèle, en fonction de la stratégie du service client unifié, s’est accélérée. Les unités commerciales et techniques locales peu rentables ont été soit fermées, soit regroupées et la politique d’externalisation des métiers de la maintenance et de l’exploitation du réseau intensifiée87. Entre 2006 et 2008, 14 000 mutations, gérées par des espaces Mobilités, aujourd’hui encore actifs, ont été recensées. Les verbatim suivants racontent la façon dont deux agents fonctionnaires, concernés par la politique de mobilités internes, ont vécu la situation : « On me proposait des postes mais je n’avais aucune compétence correspondant aux attentes exprimées. La seule compétence que je me suis trouvée c’était d’avoir des relations avec les gens. Donc un jour, j’ai vu une annonce après avoir fait plus de 100 lettres : je n’ai pas écrit qu’en interne ! J’ai regardé ce que la fonction publique proposait, mais ou j’étais trop gradé ou je n’avais pas les compétences requises. Donc, j’ai vu une annonce à la Direction de l’Ile-de-France. Ils recherchaient des vendeurs débutants pour commencer une carrière, et là je me suis dit : j’ai 40 ans, bah…il faut y aller ! Je ne peux pas rester comme ça toute ma vie à ne rien faire ! » (Directeur (2) de boutique de vente du groupe France Télécom, fonctionnaire, 2008). « Je reçois des mails de l’espace Mobilité…ils ont dû voir que j’étais fonctionnaire (rire), vieille fonctionnaire ! On m’envoie des propositions pour aller dans la fonction publique. Je les regarde sans plus, je n’ai pas envie de partir de France Télécom. Je connais des gens qui se sentent traqués…

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