LIMITES INSTITUTIONNELLES DU FINANCEMENT FISCAL

Le développement de la crise des finances publiques, caractérisées par la persistance des déficits publics, a relancé ces dernières années les débats sur l’efficacité de l’intervention de l’État dans l’économie et sur le choix du mode de financement de ces déficits. Dans la littérature économique, le paradigme principal sur la base duquel ce choix repose est celui de l’hypothèse de l’équivalence ricardienne (Ricardo, 1821 ; Barro, 1974 ). Selon cette hypothèse, le choix du mode de financement du déficit public est neutre car il ne change en rien l’impact de l’intervention de l’État dans l’économie, i.e. un effet d’éviction ou une baisse de la consommation et de l’investissement due à la hausse des dépenses publiques, ce qui fait baisser la croissance économique. L’hypothèse de l’équivalence ricardienne dans sa version élargie (Wallace, 1981 ; Villieu, 2010 ; Mucherie, 2012) compare trois modes de financement du déficit, à savoir la fiscalité, la dette publique et le seigneuriage.

Premièrement, la fiscalité concerne les prélèvements obligatoires qui comprennent les impôts et les cotisations sociales. C’est une forme de financement basée sur l’exercice du pouvoir régalien de l’État pour obliger les citoyens à contribuer au financement des biens publics communs (J. M. Maillot, 2012 ). La fiscalité est de ce fait généralement considérée comme le mode de financement le plus approprié de l’intervention de l’État dans l’économie. Une politique de financement basée sur une hausse des prélèvements obligatoires sera considérée comme équivalente à la notion de « financement fiscal » dans le reste de la présente thèse.

Ensuite, le seigneuriage correspond à une politique de financement basée sur la sollicitation de l’intervention des autorités monétaires par le Gouvernement (Mankiw, 2003) . C’est une forme de financement basée sur la création monétaire qui peut être directe ou indirecte (Burda et Wyplosz, 2003) . Le seigneuriage direct consiste à demander des crédits et concours à la Banque Centrale tandis que le seigneuriage indirect passe par les autres intermédiaires financiers et a lieu sur le marché monétaire des titres de créances négociables, son instrument principal étant le bon du Trésor (un titre financier de court terme d’une maturité inférieure à un ou deux ans au maximum et avec un taux d’intérêt généralement faible mais parfois élevé lorsque l’on se trouve en situation d’inversion des taux). Etant donné que le seigneuriage est basé sur la création monétaire, il est également appelé « financement monétaire ».

Enfin, la dette publique regroupe l’ensemble des emprunts contractés par les administrations publiques (l’État, les collectivités et les organismes de sécurité sociale) mais également la partie de la dette privée qui a obtenu la garantie du secteur public (CNUCED, 2009). Elle peut être contractée auprès de différents créanciers qui forment le marché de la dette publique. Ce marché comporte un segment officiel et un segment privé. Sur le segment privé, les conditions d’endettement sont régulées par les mécanismes du marché, i.e. par la régulation concurrentielle tandis que sur le segment public, la logique contractuelle prime, ce qui signifie que les termes de l’opération de prêt sont clairement définis et négociés préalablement et ne peuvent être modifiés unilatéralement (OCDE, 2002) . Comme l’instrument principal de l’endettement public est constitué d’obligations souveraines (titres financiers émis par des entités souveraines telles que l’État ou les collectivités territoriales), il est aussi appelé « financement obligataire ».

Plusieurs travaux ont tenté de vérifier cette hypothèse de l’équivalence ricardienne avec des résultats mitigés (voir Seater, 1993 pour une revue détaillée de la littérature sur ce sujet). En effet, une partie de la littérature la confirme (Kormendi, 1983; Kormendi et Meguire, 1990) alors qu’une autre partie l’infirme, notamment pour le cas des pays en développement (Raut et Virmani, 1990 ; Corbo et Hebbel, 1991 ; Brendt et Triplett, 2008. Dans la présente thèse, on s’inscrit dans cette deuxième catégorie pour montrer que :

-d’une part, l’équivalence ricardienne ne se vérifie pas systématiquement, en d’autres termes, que l’impact du choix du mode de financement du déficit public n’est pas neutre compte-tenu de la différence de nature entre les trois modes de financement évoqués auparavant ;

-d’autre part, la dette publique pourrait être une option plus efficace que les deux autres lorsqu’elle est bien gérée.

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
SECTION I-ÉTUDE COMPARATIVE ENTRE FINANCEMENT FISCAL ET FINANCEMENT OBLIGATAIRE FACE AUX IMPÉRATIFS INSTITUTIONNELS
I-LIMITES INSTITUTIONNELLES DU FINANCEMENT FISCAL
A-CONTRAINTES LIÉES AU PRINCIPE DE SEPARATION DES POUVOIRS
B-CONTRAINTES LIÉES AU PRINCIPE DE CONSENTEMENT ET D’APPROBATION PARLEMENTAIRE
C-CONTRAINTES LIÉES AU PRINCIPE D’ANTÉRIORITÉ DE LA LOI DE FINANCES
D-CONTRAINTES LIÉES AUX CONTRÔLES DU CYCLE BUDGÉTAIRE
E-CONTRAINTES LIÉES AUX IMPÉRATIFS DU CYCLE POLITICO-ÉLECTORAL
II-AVANTAGES INSTITUTIONNELS DU FINANCEMENT OBLIGATAIRE PAR RAPPORT AU FINANCEMENT FISCAL
A-PLUS DE LATITUDE GOUVERNEMENTALE POUR L’ENDETTEMENT PUBLIC
B-APPROBATION DE PRINCIPE ET CONVENTIONNELLE DE LA DETTE PUBLIQUE PAR LE PARLEMENT
C-ASSOUPLISSEMENT DES CONTRAINTES LIÉES AUX CONTRÔLES DU CYCLE BUDGÉTAIRE
D-MEILLEURE PERCEPTION DE LA DETTE PUBLIQUE PAR LES ÉLECTEURS
SECTION II-ÉTUDE COMPARATIVE ENTRE FINANCEMENT MONÉTAIRE ET FINANCEMENT OBLIGATAIRE FACE AUX IMPÉRATIFS INSTITUTIONNELS
I-LIMITES INSTITUTIONNELLES DU FINANCEMENT MONÉTAIRE
A-CONTRAINTES LIEES AUX CONTROLES EXTERNES DU CYCLE BUDGÉTAIRE
B-CONTRAINTES LIÉES À L’INTERDICTION INSTITUTIONNELLE DU SEIGNEURIAGE
C-CONTRAINTES LIÉES AUX IMPÉRATIFS DU CYCLE POLITICO-ÉLECTORAL
D-CONTRAINTES RELATIVES AU PRINCIPE DE SÉPARATION DES POUVOIRS
II-AVANTAGES INSTITUTIONNELS DU FINANCEMENT OBLIGATAIRE PAR RAPPORT AU FINANCEMENT MONÉTAIRE
SECTION III-LIMITES INSTITUTIONNELLES DU FINANCEMENT OBLIGATAIRE
I-CONTRAINTES RELATIVES AU CHOIX DES CRÉANCIERS
A-LIMITES DE L’ENDETTEMENT PUBLIC AUPRÈS DES CRÉANCIERS PRIVÉS
B-LIMITES DE L’ENDETTEMENT PUBLIC AUPRÈS DES CRÉANCIERS OFFICIELS
II-CONTRAINTES RELATIVES AU CONTRÔLE INSTITUTIONNEL
A-CONTRÔLE PARLEMENTAIRE
B-CONTRÔLE JURIDICTIONNEL
CONCLUSION 

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