Modélisation thermomécanique des élastomères : rôle de l’énergie interne 

Premières caractéristiques mécaniques

Incompressibilité

Une des principales caractéristiques des élastomères est de se déformer à volume presque constant.
Il est ainsi très difficile de mesurer une variation de volume lors d’un essai sur une pièce massive.
C’est pourquoi les élastomères sont généralement considérés comme incompressibles. Dans le cas du caoutchouc de notre étude, Chagnon (2003) mesure un module de compressibilité de 231 MPa, alors que le module de cisaillement est de l’ordre de 0.77 MPa. Nous pouvons donc conclure que l’hypothèse d’incompressibilité est réaliste pour notre matériau.
Cependant, une variation de volume peut apparaître suite à des phénomènes de cavitation. Farris (1968) mesure justement ces variations dans un caoutchouc très chargé. Ce phénomène se produit aussi lors d’essais à très grandes déformations ou lors d’essais cycliques. Pour caractériser plus précisément cette variation de volume, il faudrait analyser les phénomènes d’amorçage et de propagation de fissures internes. L’endommagement du matériau pourrait alors être lié à une perte d’incompressibilité (Andrieux et al., 1997; Layouni et al., 2003).
Dès lors, la modélisation de la compressibilité ou de l’incompressibilité requiert une grande attention et doit être justifiée afin de choisir le modèle le plus réaliste. De plus, les contraintes sont fortement liées à l’incompressibilité via le terme de pression. Ainsi, toute étude en contraintes doit se fonder sur une modélisation fine de la pseudo-incompressibilité.

Hyperélasticité

Les élastomères sont remarquables par leur capacité à subir de très grandes déformations. Les déformations à rupture peuvent varier de 300% à 1000% selon le type de caoutchouc étudié. Cette élasticité est aussi fortement non-linéaire. Une loi linéaire approchée est incapable de rendre compte de la variation de la raideur de l’élastomère au cours d’un chargement. Enfin, malgré les grandes déformations subies, les élastomères sont capables de retrouver leur géométrie d’avant chargement presque intégralement. Les déformations résiduelles restent faibles par rapport aux déformations maximales.
Un matériau est dit hyperélastique (Ciarlet, 1986) lorsque les contraintes dérivent d’un potentiel, c’est-à-dire lorsqu’il existe une fonction W, densité d’énergie, telle que Π = ∂W/∂E (voir le chapitre suivant pour le détail des notations).
Nous présentons au chapitre 4 les lois de comportement hyperélastiques classiquement utilisées.
Deux points sont à retenir : les lois de comportement statistiques se basent sur des modèles physiques pour bâtir leur loi de comportement, les modèles phénoménologiques postulent une loi mathématique dont les paramètres sont identifiés expérimentalement.

Matériaux dissipatifs

Les élastomères sont des matériaux dissipatifs : une partie de l’énergie mécanique est dissipée sous forme de chaleur. Lors d’un cycle de sollicitation, une boucle d’hystérèse apparaît par exemple dans un diagramme force-déplacement et l’aire de cette boucle représente l’énergie mécanique dissipée sur ce cycle. Ces propriétés dissipatives sont notamment utilisées dans les structures anti-vibratoires.
La dépendance à la vitesse de sollicitation de la réponse d’un élastomère traduit les phénomènes visqueux. Cette viscosité va affecter les contraintes, et les déphaser vis-à-vis de la déformation : il y aura donc dissipation d’énergie mécanique. Les phénomènes visqueux s’observent aussi lors d’essais avec relaxation ; l’éprouvette est maintenue dans un état de déformation fixé et l’état de contrainte varie avec le temps. Cette viscosité intervient sur plusieurs échelles de temps et nécessite une modélisation fine pour rendre compte précisément de tous les phénomènes rencontrés.

Comportement cyclique

Lors de son utilisation, une structure élastomère est la plupart du temps soumise à une histoire de chargement. Ces chargements peuvent être cycliques, mais sont souvent variables. Or, l’élastomère est un matériau dont les propriétés mécaniques dépendent fortement de l’histoire. Il est donc nécessaire d’étudier le comportement cyclique à travers l’effet Mullins aux premiers cycles, mais aussi à plus grand nombre de cycles pour analyser l’autoéchauffement et l’évolution des effets visqueux.

Anisotropie

De nombreux auteurs (Martin Borret, 1998; Chagnon, 2003; Raoult, 2005) ont montré expérimentalement que l’effet Mullins introduisait de l’anisotropie dans le matériau. L’accommodation est présente dans la direction de chargement et ne l’est pas ou peu dans les directions transverses. d Discussion
L’effet Mullins n’est présent que pendant les premiers cycles d’un chargement, voire seulement le premier selon le point de vue adopté. Raoult (2005) a montré que l’exploitation du comportement cyclique était nécessaire pour une analyse en fatigue. En effet, pour des essais de fatigue pilotés en effort ou en déplacement, ce sont les grandeurs en régime stabilisé et non les grandeurs au premier cycle qui permettent de prédire la durée de vie. Nous pouvons voir par exemple sur les figures 1.5 et 1.6 que si les grandeurs au premier cycle sont identiques pour deux essais contrôlés en déplacement et en effort, ces grandeurs sont différentes après accommodation. La description du comportement cyclique sera donc nécessaire dans la suite de nos travaux.
Les figures 1.7 et 1.8 résument les différents aspects de l’effet Mullins sur un matériau dissipatif.
La première courbe illustre l’accommodation et les phénomènes dissipatifs. L’aire assimilée à l’énergie dissipée est très importante à la première charge puis tend à se stabiliser à une valeur plus faible.
L’énergie alors dissipée est en partie due aux effets visqueux. La deuxième figure est une illustration expérimentale des constatations de Mullins sur l’influence du maximum de l’histoire de chargement.

Matériaux standards généralisés

Une loi de comportement est dite thermodynamiquement admissible si elle respecte le second principe, c’est-à-dire si la dissipation est positive ou nulle dans toutes évolutions réelles du système autour d’un état d’équilibre. Cette dissipation peut se mettre sous la forme d’une somme de produits entre les variables thermodynamiques et les forces associées. Afin de construire de façon systématique des lois de comportement thermodynamiquement admissibles, il est possible d’appliquer l’hypothèse de dissipativité normale à toutes les variables dissipatives : un potentiel de dissipation ϕ( ˙ E, ˙ Xi , Q) convexe de ses variables, non négatif et nul à l’origine est donné et détermine les forces thermodynamiques.

Conclusions

Nous avons décrit le formalisme des transformations finies, nécessaire à l’étude des élastomères. Notamment, nous avons rappelé la notion d’objectivité nécessaire dans le cadre des transformations finies à cause des grandes rotations rigidifiantes. L’écriture du second principe de la thermodynamique permet l’obtention des lois de comportement, tandis que le premier principe mène à l’équation de la chaleur. Cette équation fait apparaître de nombreux termes qui devront être analysés lors de la résolution du problème d’autoéchauffement.
Nous avons attiré l’attention du lecteur sur la modélisation de l’incompressibilité. Dans le cas d’un matériau strictement incompressible impliquant la liaison interne det F = 1, l’utilisation d’un multiplicateur de Lagrange permet d’obtenir la loi de comportement thermoélastique à partir du second principe. Dans le cas d’un matériau thermoélastique « incompressible » vérifiant det F = f J (T), il n’est plus possible d’exploiter de la même façon le second principe car une variation infinitésimale de la déformation n’est plus indépendante de la variation de température : l’espace des variables d’état scalaires indépendantes est réduit d’une dimension. À partir de ce constat, il est possible d’exploiter le second principe avec les nouvelles variables d’état et d’obtenir une loi de comportement thermoélastique « incompressible ». Insistons sur le fait que cette loi de comportement n’est pas obtenue à partir d’une loi strictement incompressible en posant simplement det F = f J (T). Toutefois, l’hypothèse de comportement thermoélastique « incompressible » mène à une absurdité physique : l’impossibilité de chauffer un milieu tout en maintenant constant son volume. Il est donc nécessaire qu’un matériau thermiquement dilatable soit compressible ! L’étude de ce type de comportement est présentée dans le prochain chapitre.

Dégagement de chaleur par la cristallisation

Nous avons vu dans les paragraphes précédents que l’augmentation de température était due au travail d’extension transformé en chaleur. Pour les matériaux cristallisables, la cristallisation sous contraintes aux grandes élongations s’accompagne d’un dégagement de chaleur, et la disparition de la phase cristalline provoque l’absorption de chaleur. Ce phénomène se traduit par une non réversibilité de la température en fonction de l’élongation au cours d’un cycle charge-décharge, comme présenté sur la figure 3.7.

Modélisation hyperélastique

L’hyperélasticité ayant été définie au paragraphe 1.2.2, nous étudions dans cette section les lois de comportement, qui se classent en deux grandes familles. La première étudie de façon statistique la disposition des chaînes à l’intérieur du réseau macromoléculaire. Elle permet de remonter par intégration à l’énergie libre du matériau. Ce sont les modèles statistiques. Les modèles phénoménologiques s’appuient eux sur une modélisation du comportement à partir de l’expérience. Des modèles mathématiques plus ou moins complexes sont donc déduits de considérations expérimentales. Nous terminerons par la présentation d’un modèle de comportement cyclique.

Discussion

Les modèles phénoménologiques ont l’avantage d’être souvent disponibles dans les codes de calcul. Si les modèles néo-hookéens ou Mooney-Rivlin représentent une première approximation, les modèles plus complets sont plus représentatifs lorsque les déformations deviennent importantes. Il y a souvent un compromis simplicité/corrélation à trouver. En effet, une des principales difficultés est l’identification des coefficients de ces lois. Plus la loi est complexe, plus les essais doivent être nombreux pour valider ces valeurs caractéristiques. L’unicité de la famille de ces coefficients n’est d’ailleurs pas garantie.
Les modèles à chaînes permettent de relier physiquement le comportement microscopique au comportement macroscopique. Ils conviennent particulièrement pour modéliser l’effet Mullins et l’anisotropie.
Lors de ses travaux de thèse, Raoult (2005) a développé une loi originale permettant de modéliser le comportement stabilisé et a montré les avantages de cette modélisation pour l’analyse en fatigue (voir explication au paragraphe 1.3.1 d). Nous choisissons donc d’utiliser cette loi de comportement.

Comportement en température (cisaillement pur)

Nous avons défini tous les essais de cette campagne. Ils ont été réalisés par Elisabeth OstojaKuczynski et Pierre Charrier2 dans leurs locaux à Carquefou-Nantes (Loire-Atlantique).

Protocole expérimental

Éprouvette et pilotage

Nous avons choisi de réaliser des essais de cisaillement pur pour plusieurs raisons :
– obtention d’une température uniforme avec une éprouvette fine ;
– état de déformation homogène ;
– matériel disponible pour le banc d’essai.
La première raison nous donne le choix entre l’éprouvette haltère (a) et celle de cisaillement pur (c) (F IG . 4.3) car elles sont toutes deux très fines (épaisseur de 2 mm). L’état de déformation est dans chaque cas homogène. L’inconvénient de ces éprouvettes est de ne pas pouvoir faire des essais avec une déformation nulle à l’origine. En effet, l’existence de déformations rémanentes impose une mise en compression de l’éprouvette, qui flamberait alors. Nous avons finalement choisi l’éprouvette de cisaillement pour des raisons de facilité de traitement des mesures.
Le pilotage en déplacement est préféré à celui en effort car la stabilisation de la réponse se fait beaucoup plus rapidement (FIG . 1.5 et 1.6). Pour la gestion des déformations rémanentes lorsqu’on impose une déformation nulle, nous avons choisi de piloter le minimum en effort ou en déformation selon la machine d’essai utilisée. Nous ne pourrons donc jamais obtenir un essai avec une déformation minimale strictement nulle. Quelques essais ont néanmoins été pilotés en effort afin de revenir à effort nul.

Éprouvette

Nous reprenons le shéma de principe proposé par Treloar (1975), en l’adaptant aux capacités du banc (FIG . 4.38). Le système d’attache est composé d’un clip collé puis pressé sur la partie nonutile de l’éprouvette. Des crochets permettent de relier l’éprouvette aux câbles.
Il faut noter l’importance des fentes introduites dans la partie non utile. En effet, ces fentes facilitent la déformation de l’éprouvette près des bords et améliorent grandement l’homogénéité de la déformation. Toutefois, elles introduisent des concentrations de contraintes qui font casser l’éprouvette par fatigue : des départs de fissure sont toujours visibles et la fissuration brutale de l’éprouvette a toujours comme point de départ les cercles de diamètre 1.5 mm. Un compromis a été trouvé pour le rayon de courbure entre la tenue à la fatigue (un rayon plus grand diminue les contraintes) et la déformation utile (diminuer la section augmente la déformation dans la partie non utile). Nous pouvons considérer qu’il existe une zone de l’éprouvette dans laquelle l’état de déformation est quasiment homogène. Cette hypothèse s’appuie sur les photos 4.41 et 4.42 qui montrent l’éprouvette non déformée puis dans un état déformé. Nous avons ainsi choisi un carré de 55 mm de côté, dont les quatre coins coïncident avec quatre cercles blancs, pour mesurer la déformationhomogène dans la partie utile de l’éprouvette

Table des matières

Remerciements 
Notations 
Introduction
I Généralités 
1 Généralités sur les élastomères
1.1 Polymères et élastomères
1.2 Premières caractéristiques mécaniques
1.3 Comportement cyclique
1.4 Cristallisation
1.5 Conclusions
2 Rappels de mécanique
2.1 Le milieu continu
2.2 Formalisme des transformations finies
2.3 Lois de comportement
2.4 Modélisation de l’incompressibilité
2.5 Conclusions
II Comportement thermomécanique cyclique 
3 Modélisation thermomécanique des élastomères
3.1 Thermoélasticité non-linéaire
3.2 Analyse thermodynamique pour la traction uniaxiale
3.3 Écriture générale de l’énergie libre
3.4 Décomposition de la transformation
3.5 Modélisation thermomécanique des élastomères : rôle de l’énergie interne
3.6 Conclusions
4 Comportement cyclique
4.1 Modélisation hyperélastique
4.2 Comportement en température (cisaillement pur)
4.3 Comportement en traction biaxiale
4.4 Conclusions
III Autoéchauffement 
5 Découplage du problème thermomécanique
5.1 L’autoéchauffement dans la littérature
5.2 Analyse du problème thermomécanique .
5.3 Stratégie de résolution adoptée – Loi d’autoéchauffement cyclique
5.4 Conclusions
6 Estimation de l’énergie dissipée
6.1 Interprétations microscopiques de l’énergie dissipée
6.2 État de l’art
6.3 Proposition de mesures énergétiques d’une sollicitation mécanique
6.4 Identification des fonctions de dissipation
6.5 Conclusions
7 Validation des lois d’autoéchauffement
7.1 Loi d’autoéchauffement simplifiée dans le cas variable
7.2 Validation de la loi d’autoéchauffement cyclique dans le cas 1-D
7.3 Validation de la loi d’autoéchauffement variable dans le cas 1-D
7.4 Validation des loi d’autoéchauffement dans le cas multi-D
7.5 Conclusions
IV Fatigue thermomécanique 
8 Introduction au phénomène de fatigue des élastomères
8.1 Approche par propagation de fissure
8.2 Description d’un fond de fissure
8.3 Approche par amorçage de fissure
8.4 Phénomène de renforcement en traction-traction
8.5 Influence de la température
8.6 Dégradations autres que mécaniques – Vieillissement
8.7 Conclusions
9 Proposition d’un modèle de fatigue thermomécanique
9.1 Les grandeurs locales prédictives de la durée de vie
9.2 Essais de fatigue uniaxiale en température
9.3 Prédiction de la durée de vie
9.4 Conclusions
Conclusions générales – Perspectives 
Bibliographie 
Annexes 
A Plans des éprouvettes diabolo
B Démonstrations
B.1 Equations d’équilibre en configuration mixte
B.2 Le second principe en configuration lagrangienne
B.3 Analyse du premier principe
B.4 Formulation générale de l’énergie libre
B.5 Chaleur spécifique fonction de la température
B.6 Non-unicité de la déformation d’un essai équibiaxial
C Comptage Rainflow
C.1 Présentation du comptage Rainflow
D Représentation des essais de caractérisation
E Essais
E.1 Nomenclature des essais

projet fin d'etude

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