Nourrir l’homme malade quels enjeux éthiques

 Nourrir l’homme malade quels enjeux éthiques

Le cas de Monsieur Johnson

Monsieur J, âgé de 46 ans, présente une maladie chronique, la maladie de Crohn. Il a été hospitalisé pour une sténose intestinale, qui cause des douleurs abdominales et une diminution de l’alimentation. Il a été programmé pour une résection de l’intestin grêle. Il présente une perte récente de poids de 76 à 68 kg et sa taille est de 1.72 m. L’équipe de nutrition est consultée pour des conseils sur la nutrition préopératoire pour rétablir les déficits, afin d’optimiser l’état du patient avant l’opération et de stabiliser son poids. L’indication de la nutrition artificielle a été présentée car le patient a perdu 10 % de son poids corporel et présente un risque de dénutrition sévère. Cela peut augmenter son risque de complications postopératoires. Une semaine de nutrition préopératoire peut réduire ces risques. Un cathéter veineux central est inséré. Le patient a été placé sous nutrition parentérale centrale pendant au moins une semaine en préopératoire et quelques jours après l’opération, (la nutrition par voie périphérique n’était pas possible). En raison de la sténose et de la douleur, la voie orale ou entérale n’était pas envisageable. Le patient reçoit une nutrition parentérale complète conformément au protocole. Il est fondé sur les résultats de la mesure des besoins énergétiques par calorimétrie indirecte, multipliée par un facteur de 1,3. Les apports en protéine sont estimés à 1.2 – 1.5 g/kg/jour. M. Johnson est autorisé à boire des liquides, en plus de la nutrition parentérale, mais la douleur l’empêche de boire. Après l’opération (résection de 60 cm de jéjunum), le patient développe un iléus paralytique2 . La nutrition parentérale est poursuivie jusqu’à ce que l’iléus soit résolu. La nutrition entérale a commencé dès que les résidus gastriques ont diminué et elle est progressivement ! Cas disponible sur LLL thème No 11.1 : « Organisation of a Nutritional Support Team » 2 Iléus paralytique : occlusion intestinale due à une paralysie ou arrêt plus ou moins complet du transit intestinale alors qu’il n’existe pas d’obstacle matériel. Nourrir l’homme malade quels enjeux éthiques « ‘&! augmentée. Huit jours après la résection intestinale, la nutrition parentérale est arrêtée. La nutrition entérale est administrée durant la nuit (1500 kcal, 60 g de protéines) jusqu’à ce que la prise orale soit suffisante. Deux semaines après l’opération, le patient est sorti de l’hôpital et s’alimente par voie orale. Il sera suivi par la diététicienne du département de gastro-entérologie. Il n’a pas perdu davantage de poids au cours de l’hospitalisation. L’objectif est qu’il reprenne du poids jusqu’à atteindre le poids qu’il avait avant sa maladie.

Le problème éthique

Aujourd’hui, il est possible de fournir les besoins en nutriments à tous les malades par divers moyens et dans différentes situations cliniques. Il est également possible de moduler les réponses immunitaire et inflammatoire chez les patients grâce aux immunonutriments associés à la nutrition. Les patients qui bénéficient de cette technique définie comme technique de « soutien »1 ou « support nutritionnel »2 sont ceux qui sont atteints de maladies aiguës ou chroniques, nécessitant des soins de réanimation, des soins de suite ou de convalescence et, cela, en excluant le fait que le malade soit capable ou non de décider. Cela concerne un contexte particulier que nous avons défini dans la première partie de la thèse, qui est celui de la « nutrition clinique ». Cela ne signifie aucunement qu’il s’agit là de la seule application des principes et des théories de la nutrition dans le domaine de la « clinique ». Il s’agit d’une discipline résultant de l’interaction entre la nutrition et la médecine, ce qui a permis l’évolution technique et conceptuelle de la notion de « nutriment ». Le lieu de cette « clinique » est l’hôpital, l’institution de santé, mais cela a également du sens dans la vie de la personne malade en dehors des établissements de santé. Cette discipline si particulière est subjective puis qu’elle implique la relation entre le patient et le médecin. Elle n’exclut pas d’autres acteurs, comme on le voit avec l’industrie pharmaceutique qui est très présente. Cette conception de la nutrition clinique et donc la manière actuelle de nourrir l’homme malade posent dans la pratique clinique de nouveaux défis éthiques que nous allons à présent examiner. Le cas de monsieur J. permet d’aborder une situation particulière et fréquente en médecine : une complication d’une maladie chronique (la maladie de Crohn) qui nécessite une intervention chirurgicale d’urgence. Cette complication ne permet pas une alimentation orale, ce qui conduit à l’adoption d’une alimentation par voie artificielle. Le patient a eu recours à la nutrition parentérale et entérale avant de reprendre une alimentation orale. L’objectif principal du support nutritionnel est celui de nourrir l’homme malade. Nourrir au plan biologique signifie donner au corps les besoins en nutriments nécessaires pour maintenir les fonctions organiques de la personne, reconstituer sa masse et ses tissus corporels et enfin assurer sa vie. Nourrir de manière artificielle implique que les soignants doivent intervenir afin de subvenir aux besoins en nutriments d’autrui. Nourrir de manière « naturelle » à l’hôpital implique également la participation de plusieurs soignants : le médecin dans la prescription du régime, l’aidesoignant qui amène le plateau, l’infirmier ou diététicienne qui vérifient la consommation du repas, etc. Dans ce contexte, une question fondamentale se pose : nourrir l’homme malade constitue-t-il un acte thérapeutique ou un soin de support ? Autrement-dit, s’agit-il de guérir ou de soutenir une fonction vitale ou de confort ? Pour répondre à cette question, nous allons d’abord montrer qu’il existe une tension constante entre ces deux conceptions du support nutritionnel dans la pratique de la nutrition clinique. Nous définirons ensuite ce qu’on appelle le « soin » et préciserons ce qu’impliquent pour le malade et pour le soignant un « soin thérapeutique » et un « soin de support». 

La nutrition artificielle, entre soin et thérapeutique

La nutrition entérale (NE), les suppléments nutritionnels oraux (SNO) et la nutrition parentérale (NP) correspondent à la technique connue aujourd’hui comme « nutrition artificielle » et à son application intitulée « support nutritionnel»1 . Nous avons étudié, dans la première partie, le statut épistémologique de cette pratique et avons constaté qu’elle est au centre de la pratique de la nutrition clinique. Cette discipline s’est constituée à partir de l’intégration des théories et des notions de la médecine et de la nutrition, en particulier de la transformation de la notion de nutriment. En effet, l’utilisation des nutriments s’est transformée de manière essentielle au XXème siècle. Les nutriments ne concernent plus seulement un régime alimentaire administré par la voie orale, mais ils renvoient aussi à l’alimentation artificielle. Cette voie artificielle implique un geste invasif, à savoir les poses d’un cathéter dans la voie parentérale ou intraveineuse et d’une sonde (naso- gastrique ou de gastrostomie) pour la voie entérale. Ce qui est significatif ici, c’est l’idée que l’adjectif « artificiel » ne fait plus uniquement référence à une propriété des aliments, mais à la méthode particulière d’administration des aliments. Les nutriments (macro et micronutriments) administrés par voie artificielle sont obtenus après une production et une mise en forme industrielles. Du point de vue réglementaire et épistémologique, force est de reconnaître la fusion entre la notion de nutriment et celle de médicament. 

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