Quel processus de conception dans une entreprise de services

Quel processus de conception dans une entreprise de services

Les fondements épistémologiques : une démarche de recherche-action

D’après Chris Argyris et Donald Schön (1996), la recherche-action tend à faire évoluer les représentations que les acteurs se construisent pour guider leur action dans l’organisation. Ce rapport entre le chercheur et le terrain observé s’inscrit dans un paradigme constructiviste dont l’objectif est de comprendre les phénomènes observés par et pour l’action. La relation entre la théorie et le terrain observé est généralement inductive et la temporalité des observations est relativement longue, à la fois pour s’assurer que les représentations des acteurs sont correctement appréhendées par le chercheur et pour couvrir l’intégralité du processus d’apparition et d’évolution d’une situation entrepreneuriale.

 Le rapport entre le chercheur et le terrain observé : un paradigme constructiviste

L’objet de la thèse est d’analyser et de comprendre un processus pour lequel il n’existe aucune loi, ni aucune théorie cherchant à l’interpréter ou à construire un modèle pour nourrir l’action. L’objectif n’est donc pas de chercher une loi qui expliquerait une réalité. Il n’est pas non plus de définir une théorie exhaustive et universelle de la conception dans les services, tant les services peuvent être différents, et tant chaque entreprise a ses propres singularités, économiques, marketing ou humaines. Toutefois, certains éléments sont récurrents et peuvent alimenter une théorie qui nourrisse l’action. Cette recherche ne s’inscrit pas dans une approche positiviste qui chercherait à expliquer les phénomènes en recherchant les causes et les relations entre les lois : cette vision déterministe de la nature dont l’objectif est de découvrir les lois de la nature qui régissent le fonctionnement d’une organisation ne paraît pas pertinente. En effet, il n’existe pas une réalité unique qui serait le fondement d’une loi de la nature, mais des réalités multiples qui sont le produit de constructions mentales individuelles ou collectives et qui sont susceptibles d’évoluer au cours du temps. Cette recherche s’inscrit davantage dans une approche constructiviste dans laquelle l’intervention des acteurs au sein de l’organisation permet à la fois de déterminer ces constructions mentales et d’identifier les facteurs potentiels d’évolution. Le but de cette intervention est de construire une théorie intermédiaire ou une théorie nouvelle à partir de l’observation, de la participation, de l’analyse et de la modélisation des activités de l’entreprise. Il s’agit d’abord de comprendre les situations réelles sur le terrain pour ensuite contribuer à la connaissance en développant des théories qui permettront de nourrir l’action à partir de ces représentations du monde : la finalité est de concevoir, d’observer et de modéliser, en utilisant la ruse, l’induction, l’abduction ou la délibération heuristique [David A. (1998)]. Le projet du positivisme est d’expliquer la réalité, celui de l’interprétativisme est de comprendre cette réalité et celui du constructivisme est de la construire. L’objectif de cette approche constructiviste s’inscrit également dans une démarche à visée transformative. Dans la lignée d’Henri Fayol (1916), cette démarche a pour finalité non seulement d’observer, de recueillir et d’interpréter, mais également de produire une interprétation et des connaissances pour proposer « des règles qui, sous l’impulsion du chef, entreront dans la pratique des affaires » [Fayol (1979) p.78]. Il s’agit de préparer une prescription et de nourrir l’action tout en gardant en mémoire que le résultat de la recherche ne peut prétendre à aucune universalité.

La relation entre la théorie et le terrain observé : un raisonnement inductif

Pour identifier et expliquer un processus au sein de l’entreprise, la démarche hypothéticodéductive ne paraît pas appropriée. Cela consisterait à tirer une conséquence (C) à partir d’une règle générale (A) et d’une observation empirique (B) [David A. (1998)]. Dans le cas présent, la règle générale n’est pas connue et le travail de recherche cherche justement à en trouver des fondements. La revue de littérature présentée dans la première partie, même si elle apporte des pistes de recherche et de réflexion, n’est pas suffisante pour avancer des hypothèses qu’il conviendrait alors de vérifier. Les réserves émises par Jean-Claude Moisdon (1981) trouvent ainsi tout leur sens : la régression statistique utilisée dans les approches hypothético-déductives « n’a pas de vertu explicative et ne répond avec quelque assurance que dans une perspective de réfutation » [Moisdon (1981), p.1974]. Jean-Claude Moisdon (1981) explique également que les rationalités révélées par ces investigations coïncident rarement avec celles postulées de l’extérieur, remettant en cause l’énoncé d’hypothèses et justifiant ainsi l’adoption d’une autre démarche. À l’inverse du raisonnement hypothético-déductif, le raisonnement inductif part de l’observation empirique pour établir une règle : avec la permutation BCA, et non ABC du raisonnement hypothético-déductif, elle consiste à trouver une règle générale qui rendrait compte de la conséquence si l’observation empirique était vraie [David A. (1998)]. Telle est la démarche adoptée ici : partir de l’observation des faits au sein d’une entreprise de services, comprendre les logiques d’innovations à l’œuvre et le processus de conception pour proposer des éléments fondateurs à une théorie de la conception dans les services. Là encore, le résultat ne peut prétendre à aucune universalité : sans réfutation pour valider la scientificité d’une théorie, le refus de Karl Popper (1963) d’accorder une supériorité aux théories est légitime. Il est certain que les théories qui sont élaborées dans un raisonnement inductif n’ont qu’un statut provisoire de cadre conceptuel cohérent avec des faits actuels. Les faits actuels doivent d’ailleurs être délimités pour que cette théorie réponde à des facteurs de contingence précis et pertinents.

 La temporalité des observations : une approche longitudinale et généalogique

La pertinence du raisonnement inductif dépend également de la qualité des observations. Pour cela, les travaux doivent s’inscrire dans la durée pour permettre au chercheur de pénétrer au cœur des pratiques des organisations. Ce n’est généralement que progressivement que le chercheur s’insère dans l’organisation et accède à des informations pertinentes. La durée permet de percevoir les évolutions de l’organisation sur le long terme plutôt que d’avoir une photographie instantanée qui ne révèlerait pas les interdépendances temporelles du phénomène et de l’organisation étudiés. Le chercheur a effectivement besoin de temps pour regarder selon plusieurs niveaux d’analyse son objet de recherche au sein de l’entreprise et pour comprendre et expliquer comment le contexte structure l’action et comment l’action en retour structure ce contexte [Aggeri et Hatchuel (1996)]. Ce n’est pas tant la facilité d’accès au terrain que le faible coût de la recherche qui sont les moteurs d’une étude de longue durée sur le terrain : c’est davantage la complexité du phénomène à étudier et celle des enjeux locaux ou nationaux qui structurent le comportement des acteurs au sein de l’organisation. La Poste représente, par exemple, une multitude de métiers, de systèmes de prescriptions, d’offres de services et de logiques professionnelles qu’il importe d’appréhender et de comprendre pour établir une modélisation précise de la situation de gestion étudiée. La durée est d’autant plus importante qu’elle permet au chercheur de se faire une représentation plus large de l’organisation. En effet, le chercheur travaille constamment avec une représentation de l’objet auquel il est confronté [Moisdon (1984)] : la durée permet au chercheur de s’affranchir de son expérience passée, des schémas mentaux ou des attentes qu’il est susceptible de reproduire. Il s’agit certes de faire évoluer ces représentations en fonction des expériences vécues sur le terrain. Mais il s’agit également et surtout de comprendre les constituants essentiels des représentations elles-mêmes [Moisdon (1984)]. Jean-Claude Moisdon (1984) estime ainsi qu’un long travail d’enquête et de reconstitution est nécessaire pour expliquer les mécanismes qui structurent les comportements des agents économiques. Il recommande d’ailleurs au chercheur de s’affranchir en partie de la culture du chiffre : si elle est particulièrement commode pour résumer des situations complexes, elle n’en révèle malheureusement pas tous les constituants.

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