Variations climatiques interannuelles à interdécennales dans le Pacifique Tropical telles qu’enregistrées par les traceurs géochimiques

Variations climatiques interannuelles à interdécennales dans le Pacifique Tropical telles qu’enregistrées par les traceurs géochimiques

LA CLIMATOLOGIE ET LA PALEOCLIMATOLOGIE 

 Climat, bilan radiatif et effet de serre 

Etymologiquement, climat (Klima en grec) désigne l’inclinaison du rayonnement solaire qui arrive sur terre. Le climat peut être défini comme l’état moyen de l’atmosphère résultant de la succession de différentes conditions météorologiques pendant une longue période dans une région donnée (Encyclopedia-Universalis 2000). Ce sont donc les caractères statistiques du temps, moyennes et écarts à la moyenne qui définissent les climats (Jousseaume 1993). Par abus de langage, cette définition est étendue à l’océan. C’est le bilan radiatif qui gouverne, au premier ordre, la répartition des climats terrestres (Trompette 2000; Ruddiman 2001). La quantité d’énergie transmise au sol étant maximale au niveau de l’équateur et diminuant en allant vers les pôles, un déficit énergétique est ainsi crée (en moyenne l’équateur reçoit deux fois et demi plus d’énergie solaire que les Pôles). Annuellement, ce déficit est estimé à 100 W.m-2 (Jousseaume 1993; Beer et al. 2000; Ruddiman 2001). La planète répartit cette énergie sous forme d’énergie radiative, thermique et mécanique grâce à des systèmes complexes de circulations océaniques et atmosphériques. Les échanges de chaleur (sous forme sensible et latente3 ) et la dynamique du couple océanatmosphére jouent un rôle clé dans l’établissement de zones climatiques sur Terre. L’océan est donc chauffé en surface par les rayons solaires qui pénètrent jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de profondeur. L’action combinée des rayons du soleil, des échanges thermiques et des mouvements mécaniques crée des courants superficiels. Ceux-ci transportent de la chaleur de la zone intertropicale vers les zones polaires. L’apparition des premières traces de vie4 dans l’océan, il y a près de 3,55 milliards d’années avec notamment le phénomène biologique de photosynthèse a eu une influence sur la composition chimique de l’atmosphère. C’est dans les premiers océans que s’est fixé le gaz carbonique atmosphérique sous forme de carbonate de calcium (CaCO3) et qu’on a assisté à la 3 La chaleur sensible est exportée par les masses d’air chaudes et les courants marins ; la chaleur latente, elle, est exportée uniquement par évaporation et transport de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. 4 Il est à ce sujet intéressant de noter que les stromatolites, les premières structures organisées se sont fixés dés le Protérozoïque en structures « accumulées », les premiers récifs coralliens datent, eux, d’environ 2 milliards d’années :Wood, R. (1999). Reef evolution. 21 production d’oxygène (Encrenaz 2000). Si l’on en croit la théorie de Gaïa (Lovelock 1979), des phénomènes de rétroactions (feedback) existent et il y a « concertation » de la biologie et de la géochimie atmosphérique afin de donner à la terre des conditions climatiques « viables ». Des millions d’années d’évolution ont permis l’aboutissement de la composition atmosphérique telle que nous la connaissons. L’effet de serre5 permet une augmentation de température d’environ 28°C, rendant la température globale moyenne de 15°C, au lieu des -13°C attendus (Jousseaume 1993; Ducroux et al. 2004). Il existe donc une relation intime entre l’évolution de la planète, et de la vie qui y règne, et le climat terrestre. 

 A l’échelle des temps géologiques 

Le paramètre primordial dans l’étude des climats est la température. Si l’on considère la Figure 1.1, on remarque que la terre a subit de très fortes fluctuations thermiques au cours de son histoire. Figure 1.1 Reconstitution de l’évolution de la température de la surface de la Terre à l’échelle des temps géologiques (Nesme-Ribes and Thuiller 2000). 5 Le nom de l’effet de serre est dû au fait que l’atmosphère se comporte comme la vitre d’une serre en laissant passer le rayonnement solaire incident tout en retenant une partie du rayonnement infrarouge solaire émis par la terre vers l’espace . Le Pléistocène, entre 1,8 et 0,01 millions d’années, entame la période dite Quaternaire dont les caractéristiques géologiques sont la succession des périodes glaciaires/interglaciaires et l’apparition de l’Homme. C’est grâce au travail pionnier des géologues de terrains du 19 éme siècle, notamment suisses, qu’on a pris conscience de l’alternance des périodes glaciaires et interglaciaires. En effet, les alternances de retrait et d’avancement des glaciers laissent des traces multiples (lacs, blocs dits erratiques, stries de roches par action mécanique de rochers pris dans la glace, moraines…(Duplessy 1996)). D’abord controversée, l’idée est petit à petit reconnue, appuyée par des théories astronomiques, (Adhémar notamment) jusqu’à ce que la théorie de Milankovitch, écrite dans les années 1940, fasse référence. Ce mathématicien serbe a en effet postulé que l’origine de la cyclicité climatique millénaire était due à des variations de paramètres orbitaux (excentricité, obliquité et précession astronomique). Cette théorie a, depuis lors, été confirmée par l’analyse de carottes sédimentaires (Hays et al. 1976; Imbrie et al. 1984; Bassinot et al. 1994; Ruddiman 2001 ). De récentes recherches sur les carottes de glace peuvent également être citées. En 2004, la communauté EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica, (EPICA 2004)) a réussi à reconstituer les variations des proportions de Deutérium (isotopes de l’Hydrogène) qui dépendent, entre autres, de la température atmosphérique de cristallisation des précipitations qui forment les glaces en Antarctique. Sur les derniers 740 000 ans que couvre cet enregistrement les périodes des huit derniers cycles glaciaires/interglaciaires prévues par Milankovitch peuvent être observées. Ces recherches sont un exemple marquant de la théorie orbitale des climats sur de longues échelles de temps. 

A l’échelle humaine

 D’un point de vue historique, on se rend compte de l’extrême importance des phénomènes climatiques. Nombres d’historiens du climat ont tenté de corréler d’importants faits de société au climat (Le Roy Ladurie 1967; Acot 2003; Le Roy Ladurie 2004). Par exemple, Grove (Grove 1998) mit en avant la rigueur de l’hiver 1787/1788, suivi par un printemps tardif et humide pour expliquer le mécontentement français à l’origine de la Révolution Française. Depuis la fin du 18 éme siècle, l’espèce humaine semble avoir un impact sur le climat terrestre, en particulier en changeant la concentration des gaz à effet de serre par les diverses 23 activités qu’elle produit : combustion des réserves fossiles, agriculture et changements d’affectation des terres principalement. Les différents rapports du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat, http://www.ipcc.ch/) ont souligné des questions scientifiques de première importance, dont celle de connaître l’ampleur et les répercussions du réchauffement global, largement avéré (Mann et al. 1998; Watson et al. 2001). Déterminer la part de l’homme dans la variabilité naturelle est donc une question d’actualité, à l’heure où l’humanité vit à l’ère de l’Anthropocène6 (Crutzen 2002). Afin de mieux cerner la variabilité climatique actuelle et notamment son évolution future, les scientifiques s’attachent à comprendre la variabilité climatique du passé. En effet, la base de tout travail de prévision est d’être capable de comprendre le climat actuel, mais aussi de reconstruire les climats du passé. Les modélisateurs se servent en effet des synthèses paléoenvironnementales afin de tester leurs modèles dans des conditions différentes de celles du présent (Kohfeld et al. 2000). Pour la compréhension des phénomènes actuels, les efforts consentis par les gouvernements, notamment depuis l’année 1958 (année internationale de la géophysique), permettent des mesures fiables et systématiques, essentiellement atmosphériques mais aussi océaniques (stations automatisées, réseaux de surveillance, satellites). Parallèlement à ces mesures et à ces recherches concernant les dynamiques actuelles, la communauté des paléoclimatologues s’efforce de reconstruire de plus en plus précisément les variations climatiques des derniers millénaires. Le travail du paléoclimatologue à cet égard est double : Améliorer la compréhension des paléoclimats, mais également fournir des bases de données aux modélisateurs afin de pouvoir documenter les conditions environnementales dans le passé. Ces « conditions aux limites » seront utilisées pour simuler l’évolution climatique avec une plus grande précision. Ces reconstructions paléoenvironnementales se font sur différentes échelles de temps, de l’échelle saisonnière à l’échelle du million d’années selon la fréquence des phénomènes que l’on cherche à observer (Figure 1.2). Les travaux portant sur des archives sédimentaires ou glaciaires sont souvent orientés vers de longues échelles temporelles. Par contre, de part la nature intrinsèque de son outil de 6 L’Anthropocéne peut être défini comme la période ayant débuté vers la fin du dix huitième siècle, moment où l’augmentation de la concentration en dioxyde de carbone (CO2) et du méthane (CH4) dans l’atmosphère a été avérée par l’analyse des bulles d’air piégées dans les carottes de glace. Crutzen, P. (2002). « Geology of Mankind. » Nature 415: travail, la paléoclimatologie corallienne se focalise sur des études à courte échelle temporelle, de l’ordre de la dizaine à la centaine d’années (Gagan et al. 2000; Felis et al. 2004; Corrège 2006 ). Figure 1.2 Différentes fréquences des cycles climatiques montrant l’hétérogénéité des échelles de temps qui régissent les variations climatiques (Nesme-Ribes and Thuiller 2000). Les zones tropicales sont importantes au niveau climatique (McGregor et al. 1998). C’est dans ces latitudes que l’excès du bilan radiatif est crée. Ce dernier est le point de départ de la machine climatique, l’origine des principales circulations océaniques et atmosphériques. Nous allons nous intéresser plus particulièrement au plus grand des océans extrêmement important d’un point de vue climatique (Cane 1998): le Pacifique, et à une résolution temporelle comprise entre 0.04 années (15 jours) et quelques centaines d’années.

Table des matières

REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIERES
TABLE DES FIGURES
PREAMBULE, NOTE A L’INTENTION DES LECTEURS
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 . PROBLEMATIQUE GENERALE DE L’ETUDE
1.1. La climatologie et la paléoclimatologie
1.1.a. Climat, bilan radiatif et effet de serre
1.1.b. A l’échelle des temps géologiques
1.1.c. A l’échelle humaine
1.2. Contexte climatique du Pacifique
1.2.a. Climatologie générale dans l’océan Pacifique
i. Conditions atmosphériques moyennes
ii. Conditions océaniques moyennes
iii. Situation moyenne aux basses latitudes
1.2.b. Variations interannuelles : le phénomène ENSO (El Niño Southern Oscillation)
i. El Niño
ii. La Niña
iii. Répercussions mondiales
iv. Théories oscillatoires expliquant ENSO
1.2.c. Variations interdécennales de type PDO (Pacific Decadal Oscillation)
i. Origine extratropicale et téléconnections atmosphériques
ii. Origine intertropicale
iii. Interactions entre basses latitudes (tropiques) et extra tropiques
1.2.d. Autres phénomènes climatiques
1.3. Zones d’Etudes
1.3.a. Présentation de la Nouvelle-Calédonie
i. La Nouvelle-Calédonie : histoire, géographie et géologie
ii. Présentation des sites d’étude néo calédoniens
Le site de Uitoé
Le site de l’île des Pins
iii. Synthèse
1.3.b. Présentation de l’île de Wallis
i. L’île de Wallis : histoire, géographie et géologie
ii. Climatologie
1.3.c. Deux zones contrastées
1.4. Synthèse du Chapitre 1
CHAPITRE 2 . ETAT DE L’ART, MATERIEL ET METHODES
2.1. Les coraux : triple identité
2.2. Matériel corallien étudié
2.2.a. Description
i. Carotte de Uitoé.
ii. Carottes de l’île des Pins
iii. Carottes de Wallis
2.2.b. Présentation du micro échantillonnage et choix de la résolution d’échantillonnage
i. Présentation du micro échantillonnage
ii. Choix de la résolution d’échantillonnage
Choix de la série de température
Description des données
Méthode de filtrage
iii. Application aux analyses géochimiques
2.2.c. Obtention d’une chronologie relative
i. Comptage des bandes de croissance
ii. SCOPIX
iii. Technique de datation radiométrique : l’U/Th
iv. Chronologie isotopique corallienne
2.3. Analyses géochimiques
2.3.a. Mesures élémentaires
i. Les éléments traces sur les carottes de Nouvelle-Calédonie
ii. Les éléments traces sur les carottes de l’île de Wallis
iii. Procédures analytiques et qualité des données
2.3.b. Les Isotopes Stables
i. Procédure analytique et qualité des données
2.3.c. Choix des éléments mesurés dans chaque carotte
2.4. Quels renseignements deduit on des analyses géochimiques des coraux ?
2.4.a. SST (Sea Surface Temperature)
i. Le paléothemomètre δO
Le cycle marin des isotopes de l’Oxygène
Incorporation des isotopes lors de la squelettogenèse corallienne
ii. Les éléments trace
iii. Limites d’interprétation des méthodes de reconstruction des SST, notamment via le rapport Sr/Ca
2.4.b. SSS (Sea Surface Salinity)
i. ENSO et la salinité
ii. La quête des paléosalinités en paléoclimatologie
iii. Limites d’interprétation des reconstructions des SSS
2.4.c. D’autres traceurs, d’autres applications
i. Le rapport Ba/Ca
ii. Les Isotopes du Carbone
iii. Autres traceurs
iv. Informations « non géochimiques »
2.5. Limites des méthodes
i. Contrôle biologique de la calcification
ii. Diagenèse
iii. Hiatus d’enregistrement, maladies coralliennes
2.6. Synthèse du Chapitre 2
CHAPITRE 3 . CALIBRATION DES TRACEURS GEOCHIMIQUES
3.1. Calibration très haute résolution : relation entre proxies géochimiques et paramètres environnementaux
3.1.a. Présentation et synthèse de l’article 1
3.1.b. Article “A high resolution investigation of temperature, salinity and upwelling activity proxies in
corals” publié le 2 Mars 6 dans Geochemistry, Geosphysics, Geosystems
3.2. Calibrations haute résolution à Wallis et l’Île des Pins et leurs applications sur le dernier siècle
3.2.a. Présentation et synthèse de l’article
3.2.b. Article “ENSO and interdecadal variability over the last century documented by geochemical records of
two coral cores from the South West Pacific. Publié le Janvier 6 dans Advances in Geosciences
3.3. Synthèse du Chapitre 3
CHAPITRE 4 . CINQ SIECLES D’ENREGISTREMENTS CLIMATIQUES A L’ILE DES PINS, NOUVELLE-CALEDONIE.
4.1. Cinq siécles de reconstitutions des températures et des salinités de surface de l’océan à l’Île des Pins,
Nouvelle-Calédonie
4.1.a. Présentation et synthèse de l’article
4.1.b. Article “Five centuries of interannual to multidecadal sea surface parameters reconstruction from
southwest Pacific coral” soumis à Paleoceanography
4.2. Le signal des Isotopes du Carbone, lien avec les variations de l’intensité solaire via les processus
métaboliques internes au corail 4
4.2.a. Présentation et synthèse de l’article
4.2.b. Article “Potential imprint of Spörer and Maunder minima on coral skeleton carbon isotopes” à soumettre à Geophysical Research Letters
4.3. Synthèse du Chapitre 4
CHAPITRE 5 . RECONSTITUTIONS PALEOCLIMATIQUES A WALLIS
5.1. Trois siécles de croissance corallienne : étude multitraceurs à Wallis, cœur de la Zone de Convergence
du Pacifique Sud (SPCZ)
5.1.a. Présentation et synthèse de l’article
5.1.b. Article “A new coral archive in the South Pacific Convergence Zone reveals climate changes over the
last centuries” en préparation pour la revue Coral Reef
5.2. Synthèse du chapitre 5
CHAPITRE 6 . SYNTHESE DES DONNEES PALEOCLIMATIQUES
6.1. Préambule
6.2. Choix et présentation de la base de données
6.3. Series coralliennes
6.3.a. Comparaison entre les deux sites d’étude Wallis et l’Ile des Pins
6.3.b. Les différentes carottes coralliennes dans le Pacifique Sud
i. Description des séries .
ii. Traitement mathématique et procédé d’homogénéisation des données
iii. Les tendances générales et les phénomènes basses fréquences
6.4. Exemples de résultats obtenus à partir de séries autres que coralliennes
6.4.a. Séries issues des cernes de croissance d’arbres
6.4.b. Séries issues des carottes de glace
6.4.c. Bilan préliminaire
6.4.d. Autres types de données
6.5. Séries issues de reconstitutions grâce aux modèles
6.6. Conclusions du Chapitre 6
CONCLUSIONS GENERALES ET PERSPECTIVES.
ANNEXE 1: LE FILTRE HANNING
ANNEXE 2 : RAPPORT DE MISSION CLIPPERTON
ANNEXE 3 : LOGICIEL WINDENDRO
ANNEXE 4 : MEB .

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