ANALYSE DES CONCEPTS

ANALYSE DES CONCEPTS

« Dieu a créé les nombres entiers, le reste est l’œuvre de l’homme ». Cette citation du mathématicien Léopold Kronecker75 (XIXe siècle) nous laisse à penser que le concept de nombre a une très longue histoire, peut être aussi longue que celle de l’espèce humaine. Le chercheur et didacticien, Roland Charnay (2013) nous conforte dans notre conviction puisqu’il affirme que « l’invention des nombres est une aventure collective de l’humanité » (p.5). Effectivement, « il a fallu des millénaires à l’humanité pour parvenir à les maîtriser comme instrument de pensée, pour passer des objets à l’idée de quantité, puis à celle de nombre » (Charnay, 2018, p.24).  universelle des chiffres76, indiquent qu’à l’origine, l’être humain n’avait pas la notion de nombre, tout au plus était-il capable de percevoir de très petites quantités, jusqu’à trois ou quatre. Dès -20 000, l’homme du paléolithique supérieur savait déjà exprimer des quantités en considérant que chaque élément peut être assimilé à une unité. Pour preuve, les entailles laissées sur l’os d’ishango probablement pour représenter des quantités par le biais d’une association terme à terme. Par la suite, il a fallu un long processus d’abstraction créatrice pour qu’ils se détachent des objets évoqués et accèdent à l’idée de nombre pur, explique Charnay (2018). Selon lui, c’est à ce moment-là, que « les nombres ont alors pu être considérés comme de nouveaux objets (même si ce sont des objets de pensée), organisés en une suite régulière, ordonnée et sans fin ».

Dès lors, on pourrait croire que l’histoire des nombres naturels est close. Mais, il n’en est rien dans la mesure où il fallait encore inventer un système commode pour permettre aux membres d’une même communauté de communiquer à l’oral ou à l’écrit, de façon efficace, à propos des quantités à l’aide d’un nombre réduit de symboles simples. Tout compte fait, c’est vers -9000/-2000, au Proche- Orient, qu’apparaissent les premiers systèmes de numération sous forme de calculi77. Certains auteurs comme Ifrah (1994) et Charbonnier (2004) considèrent que les mathématiques ont implicitement participé, au moins à l’origine, au long processus de constitution des systèmes de numération. D’ailleurs, Crump (1990) soutient que ces numérations doivent leur opérationnalisation à l’évaluation et à l’utilisation pragmatique, expérimentale et culturelle de certains principes mathématiques. D’autre part, plusieurs historiens, archéologues et chercheurs comme Guitel (1975), Ifrah (1994), Cauty (1986), Guedj (1996) et Numa Bocage ont investigué sur les numérations et leur diversité. Cependant, pour porter quelques éléments d’analyse sur notre système de numération actuel, nous nous appuierons surtout sur les investigations d’Ifrah en raison de la vaste étendue de ses travaux et sur la thèse de Mounier (2010) qui nous semble plus appropriée au contexte de notre recherche.

De manière épistémique, pour Ifrah (1994), un système de numération est une numération ayant adopté le « principe de base », c’est-à-dire un système « dont la base n’est autre que le nombre d’unités qu’il est nécessaire de grouper à l’intérieur d’un ordre pour former une unité de l’ordre immédiatement supérieur » (p.73). Ainsi, au regard de cette définition, il appert que l’historien distingue numérations concrètes (bouliers, abaques, quipus), orales ou écrites, « selon que ce principe a été appliqué à des intermédiaires matériels, à des mots d’une langue ou à des signes graphiques ». En outre, selon Georges Ifrah, notre système de numération écrite chiffrée est le résultat d’un brassage de plusieurs langues (le sanskrit en particulier) et écritures d’où son origine indienne. Mieux encore, l’historien le classe parmi les numérations écrites de type 3, c’est-à-dire les numérations de position fondées sur des principes liées à des bases et bases annexes (la base dix est la plus fréquente, soit en base principale, soit en base annexe). En conséquence, les signes utilisés dans ce type de numération, sont également les chiffres du système ce qui nous permet d’écrire tous les nombres entiers à l’aide d’un nombre fixe et limité de dix chiffres (0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9). Dès lors, un ordre dans les groupements doit donc être fixé dès le départ (par exemple, un, cinquante, deux mille sept cents, en chiffres arabes, objet d’apprentissage dès le CP, en mettant en lumière les principes mathématiques qui rendent ce système cohérent et exhaustif.

Autrement dit, l’auteur cherche à comprendre pourquoi ce système de numération permet de désigner tous les nombres entiers quels qu’ils soient (exhaustion), sachant qu’une écriture chiffrée ne désigne qu’un seul nombre à la fois (non ambiguïté) et qu’un nombre ne peut être désigné que par une seule écriture chiffrée (non redondance). Pour ce faire, Éric Mounier a recours au cadre de la théorie des langages pour interpréter a priori la numération écrite française et montre que ce système de numération décimale de position chiffrée est étroitement lié à la décomposition polynomiale qui est elle-même associée à l’organisation d’une collection d’objets. Concrètement, le chercheur résume le processus de mise en signes des nombres entiers en trois étapes. Tout d’abord, il faut comprendre que la numération écrite de position est fondamentalement liée au fait de coder une organisation. Par conséquent, le choix d’une organisation en base dix a constitué la première étape du processus d’élaboration de notre système de numération. Ensuite, il a fallu sélectionner le code d’où l’utilisation des coefficients du développement « polynomial » (spécifique aux numérations de type 3). In fine, le processus de codage a été finalisé par le choix d’une « présentation de ces coefficients : choix de la graphie pour les chiffres (0,1, …, 9), indication de la correspondance chiffre/ordre (chiffres écrits sur une même ligne horizontale dont la lecture de droite à gauche est à coupler à une énumération croissante des ordres ».

 

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