ASSISTER LA CONDUITE DE LA CONCEPTION EN ARCHITECTURE

ASSISTER LA CONDUITE DE LA CONCEPTION EN
ARCHITECTURE

La notion de projet au cœur de la conception en architecture

En architecture l’activité de conception est centrée sur le « produit » bâtiment. Ce produit occupe une place centrale et les processus se construisent en fonction de son état. Ainsi, l’intervention d’un acteur ne survient pas parce que c’est à son tour de contribuer à la définition du bâtiment, mais parce que l’on estime que son action, à cet instant donné, dans cet état d’avancement du bâtiment, permettra de le faire évoluer de manière satisfaisante. Cependant, la grande difficulté d’un tel fonctionnement est que le bâtiment devient alors une entité très peu stabilisée, susceptible d’évoluer à chaque instant en fonction des acteurs qui interviennent. Supporter la pluralité, les évolutions, et gérer toutes les compétences mobilisées, sont autant de facteurs indispensables pour mener efficacement la conception. Tous ces facteurs sont réunis sous une entité maintenant indissociable de la conception en architecture : la notion de projet.

Le projet d’architecture : un seul concept mais plusieurs significations

Il n’est pas aisé de donner une définition à la fois concise et précise de ce qu’est un projet. En effet le terme « projet » est un terme quelque peu ambigu. L’origine du mot projet provient du mot latin projectum de projicere, «jeter quelque chose vers l’avant» dont le préfixe pro signifie «qui précède dans le temps» (par analogie avec le grec πρό) et le radical jacere signifie «jeter». Ainsi, le mot «projet» voulait initialement dire «Quelque chose qui vient avant que le reste ne soit fait». 50 Quand le mot a été initialement adopté, il se rapportait au plan de quelque chose, non à l’exécution proprement dite de ce plan. Quelque chose accomplie selon un projet était appelée «objet». Cette utilisation du mot «projet» changea dans les années 1950, quand plusieurs techniques de gestion de projet18 ont été élaborées : avec cette avancée, le mot a légèrement dévié de sens pour couvrir à la fois les projets et les objets. A l’usage, ce mot est devenu polysémique. Ainsi, il est maintenant employé indifféremment pour décrire l’activité de conception et l’organisation de cette activité. Il représente à la fois l’action et l’organisation cette action. L’intention et le réel. Il existe pourtant une composante commune dans la littérature managériale concernant le sens du mot. Le projet y est parfois purement est simplement réduit à la notion de but ou objectif. Ainsi la définition normalisée de ce qu’est un projet insiste sur ces objectifs et non sur sa description. « le projet est une démarche spécifique qui permet de structurer méthodiquement et progressivement une réalité à venir […] et implique un objectif et des besoins à entreprendre avec des ressources données » [AFITEP AFNOR, 92]. Le projet d’architecture, comme d’ailleurs d’autres projets, ne suit pas une route tracée d’avance mais subit d’incessantes modifications liées à sa socialisation. Si bien que ses énonciations ou ses « inscriptions », du papier à l’ouvrage, ralentissent sans fléchir cette inévitable « dérive » du projet. Comme le dit justement M. Callon, « un projet ne se réalise jamais : il dérive » [Callon, 1996]. Ce phénomène de dérive des projets d’architecture, exprime le fait que les choix initiaux du concepteur (e.g. l’architecte) peuvent être modifiés, dans la phase de conception, par l’apparition de données, contraintes ou possibilités d’action, inconnues ou négligées à une date antérieure par les concepteurs. De ce fait, le projet d’architecture « existe » à partir du moment où on l’a considéré comme possible. Le travail du projet consiste dès lors en un processus de révélation, de découverte, d’explicitation de son identité. Etablir un projet d’architecture consiste, donc, à réfléchir, conceptualiser et puis consigner toute une série d’indications, dessins, modèles, capables de conduire à une réalisation. En définitive, le projet d’architecture, vise à passer de l’infinité des possibles à l’unicité de la nécessité, les décisions ne sont pas laissées au hasard, elles sont raisonnées. La manière de poser la question est fondamentale pour appréhender le processus de conception ainsi, le projet d’architecture n’est pas le lieu des solutions, il est avant tout le lieu où se génèrent des « possibles ». En ce sens, et comme le signale Pascal Rollet, « on ne passe pas du virtuel au réel simplement19», le réel, autrement dit l’expérience d’un bâtiment construit, renvoie des informations dont le projet d’architecture doit se nourrir. La « fabrication » d’un projet d’architecture est donc un mouvement du virtuel au réel et inversement. Par ailleurs, la pratique de projet est perçue différemment par les acteurs de la conception et chaque acteur accorde une signification au projet qui lui est propre. Ainsi, les architectes font référence au projet architectural en l’inscrivant dans une longue période qui précède la conception même et se poursuit au-delà de la seule maîtrise d’œuvre. 18 Parfois appelée management projet est la science des projets qui consiste à prévenir les difficultés d’exécution. (Vauvenargues).  De fait ils le rattachent à la programmation et à la définition des besoins et le poursuivent jusqu’à la livraison de l’ouvrage. Pour eux, le projet présente une mise en cohérence des aspects à la fois quantitatifs et qualitatifs, techniques, fonctionnels, esthétiques, économiques …etc. [Hanrot 2003]. A contrario, pour les ingénieurs, la notion de projet est assez conforme à la définition de la loi MOP c’est-à-dire, à la fois la phase de la conception (PRO) et la définition la plus aboutie de l’objet conçu avant sa réalisation. Ils situent leurs projets comme techniques (structure, ventilation, système électriques …) traitant d’aspects quantifiables et faisant appel à des calculs et des normes. De fait ils se satisfont bien mieux du découpage de la loi MOP dans la mesure où ils définissent leur projet comme technique, inscrit dans le cadre global définit par le projet architectural. 

la conception en architecture entre projet objet et projet processus

Une meilleure compréhension du projet d’architecture passe par la compréhension de ce qu’il recouvre en tant que pratiques. Il est donc opportun de distinguer « l’art de faire » et son « résultat ». Ainsi, la notion de projet en architecture peut être considérée aussi bien sous sa forme « générative » que sous sa forme « substantive ». Par conséquent, elle signifie soit un processus soit un objet. De ce fait, il existe une distinction essentielle entre d’une part le projet-processus qui, pour simplifier, est le projet en tant que pratique organisationnelle et d’autre part le projet-objet qui, pour simplifier, est le projet à travers son expression documentaire et ses artefacts. Le projet-objet est de nature tant matérielle que conceptuelle (intention, concepts, référence, …etc). Il est la représentation de l’état du processus de conception et du problème posé à un moment donné, puisque balisé par la production de quantité d’objets intermédiaires [Jeantet&Coll, 1996] de tous ordres et qui diffèrent d’une organisation à l’autre (e.g. plans, maquettes, graphiques, notices, etc.). le projet objet est à la fois le produit bâtiment dans sa représentation finale (via des artefacts) qui permet sa construction, mais aussi toutes les solutions intermédiaires de modification portant sur ces artefacts. Il est, donc, le passage obligé vers la réalisation de l’œuvre. Par ailleurs, le principe du projet-processus est son ouverture, bien plus que dans le cadre du projet-objet, le projet processus établit les « protocoles » du travail collectif, du compromis, de la négociation, de l’engagement, etc où chacun devra composer avec les désirs, les latences, les contraintes des autres acteurs. Le projet-processus renvoie donc à la complexité des pratiques organisationnelles. C’est un savoir en constitution inséparable d’une dynamique des relations entre acteurs, et ce qui est fondamentalement en jeu est la gestion du collectif d’acteurs. Cette gestion par le projet se fait de deux manières irréductibles l’une à l’autre : le projet joue sur la qualité de la coopération et de la coordination à travers l’engagement qu’il favorise s’il y a adhésion au projet, à travers aussi la compréhension du sens de l’action, sans qu’il n’annihile pour autant d’éventuelles divergences de points de vue entre acteurs notamment sur leurs objectifs respectifs. Le tableau ci-dessous résume ces deux notions à travers les deux étapes conception et réalisation :  Sans pour autant accepter l’idée que conception et la réalisation soient fondamentalement dissociables 52 Conception Réalisation / construction Projet-objet Contenu A faire advenir Référent Dans l’action Projet-processus Démarche d’élaboration Entre définition du problème et solutions Gestion Du collectif d’acteurs Tableau 1 : Le projet d’architecture entre objet et processus Le projet-objet durant la conception (objet de notre recherche) est un contenu à faire advenir, durant la phase de construction c’est un référent dans l’action. Alors que le projet processus est une démarche d’élaboration durant la conception et un mode de gestion du collectif d’acteurs durant la construction. Cependant, la pratique des projets d’architecture, montre que le projet-objet est indissociable du projet-processus qui l’a fait naître et vice-versa. Pour conclure, le projet-processus peut être considéré comme un vecteur d’intégration des pratiques de conduite de la conception en architecture. Il s’impose comme phase préalable et concourante à la conception de l’objet. Le projet-objet serait limité par sa condition disciplinaire dans le sens où les modes de conception ne vont pas au delà des pratiques des acteurs tandis que le projet-processus garantirait à l’objet des occasions d’hybridations transdisciplinaires. Le projet processus garantit l’adaptabilité des moyens mis en œuvre par rapport aux objectifs définis visant les enjeux du projet. Autrement dit, le projet-processus est stratégie. Cette notion de projet-processus en architecture constitue un enjeu majeur, à condition de ne pas en faire un simple artifice de discours ou croire ou faire croire que le projet doit être abouti et complet dans sa conception pour pouvoir être «exécuté» mais comprendre que son état actuel n’est qu’une étape de développement vers un horizon probable; faire remonter l’obsession de l’exactitude d’une représentation exhaustive à celle de la rigueur d’une démarche évolutive, faire basculer l’habitude de la définition d’objectifs arrêtés à l’exigence de la formalisation rigoureuse d’intentions ouvertes, passer de la volonté de répondre à un problème déjà posé à la nécessité de reformuler ce problème. A ce stade de notre étude nous constatons que la conception en architecture en tant que projet processus, peut être abordée comme une chaîne de situations concrètes à partir d’un certain nombre d’éléments. C’est un processus qui met en œuvre des savoirs, des savoir-faire, des techniques et des instruments répartis entre les différents acteurs, dont le but est d’atteindre un objectif fixé. Ce dernier est alors le résultat d’un travail d’équipe et de collaboration entre les différents acteurs de la conception qui transforment un besoin, ou tout du moins un besoin plus ou moins exprimé en définition d’une solution. Ceci permet de passer d’une situation initiale problématique, dans laquelle un besoin n’est pas satisfait, ou est considéré comme pouvant être mieux satisfait, à une situation dans laquelle il l’est, ou l’est mieux. D’un point de vue macroscopique, nous sommes donc en face d’une résolution de problème. 

Table des matières

PARTIE I : APPROCHE ANALYTIQUE DE LA CONCEPTION EN ARCHITECTURE : CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE
Chapitre 1. Généralité sur la conception
1.1. Une activité à la fois contrainte et créative
1.2. Une activité à la fois cognitive et productive
1.3. Une activité à la fois individuelle et collective
1.4. Une activité coopérative et collaborative
Chapitre 2. Caractérisation et problématiques de la conception en architecture
2.1. Particularités de la conception en architecture
2.2. Les enjeux de la conception en architecture
2.3. Conclusion du chapitre
Chapitre 3. La conduite de la conception en architecture : mise en évidence d’une problématique
3.1. Caractéristiques de la conduite de la conception en architecture
3.2. Les limites de la conduite de la conception en architecture
3.3. Conclusion du chapitre
PARTIE II : APPROCHES THEORIQUES SUR LES PROCESSUS DE CONCEPTION EN ARCHITECTURE ET LEUR CONDUITE
Chapitre 4. La conception en architecture entre processus et projet
4.1. La notion de processus comme figure privilégiée de la conception en architecture
4.2. La notion de projet au cœur de la conception en architecture
Chapitre 5. Décrire les processus de conception
5.1. Le problème en conception
5.2. Description de la conception : opposition entre le paradigme de résolution de problème et le paradigme
de réflexion dans l’action
5.3. Quel modèle pour les processus conception en architecture ?
5.4. Conclusion du chapitre
Chapitre 6. Vers une modélisation de la conduite de la conception en architecture
6.1. La conduite de la conception en architecture comme garant de la construction des hypothèses de solutions aux problèmes
6.2. De la situation problématique à la situation visée
6.3. Comment atteindre une situation visée ?
6.4. L’activité pour répondre à la situation visée
Chapitre 7. Difficultés de spécification d’un outil adapté à l’unicité et à la temporalité des projets d’architecture
7.1. La spécificité des entités à manipuler
7.2. Niveau de précision et temporalité des représentations
7.3. Le choix d’une approche dynamique pour assister la conduite
PARTIE III : VERS UNE APPROCHE INSTRUMENTEE DE LA CONDUITE DE LA CONCEPTION EN ARCHITECTURE
Chapitre 8. Spécification d’un outil d’assistance à la conduite de la conception en architecture
8.1. Modèles pour les processus métiers
8.2. Scénario d’utilisation de l’outil
Chapitre 9. Développement informatique
9.1. Besoins fonctionnels et non fonctionnels de l’outil 8
9.2. Présentation de l’outil : Les modules de support à la conduite de la conception en architecture
9.3. Conclusion du chapitre
CONCLUSION GENERALE
Points d’intérêt et nouveaux apports
Concernant la modélisation
Concernant l’instrumentation

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