Caractérisation de la diversité microbienne de l’air des espaces clos

Caractérisation de la diversité microbienne de l’air des espaces clos

OUTILS DE MICROBIOLOGIE

L’étude de la diversité microbienne d’un écosystème (provenant de l’air, du sol, de l’eau ou de tout autre environnement) peut être effectuée grâce à deux méthodes distinctes : la culture et les méthodes moléculaires. 

Les méthodes de cultures « classiques »

Devant la faible diversité des morphologies observées chez les microorganismes, les limitations des observations microscopiques apparurent très vite. En 1881, Robert Koch (1843-1910) bouleversa la microbiologie par la mise au point de techniques d’isolement sur milieu solide, améliorant ainsi l’identification des bactéries. Les méthodes basées sur la culture permettent d’identifier aisément les bactéries avec des exigences de croissance connues. En effet, elles reposent sur la capacité des microorganismes à se développer sur un milieu artificiel, dans des conditions nutritionnelles (matière organique, sels minéraux…) et physiques (température, humidité, pH…) préalablement identifiées. De plus, ces méthodes sont nécessaires lorsqu’il s’agit de prouver la viabilité des microorganismes dans l’environnement. Cette approche passe généralement par une étape d’isolement des cultures pures, parfois précédée d’une phase d’enrichissement visant à favoriser la croissance d’un microorganisme précis. Les caractéristiques morphologiques et physiologiques des souches isolées par culture constituent des références sur les capacités phénotypiques d’espèces non isolées mais phylogénétiquement proches de ces souches. La description et la classification des microorganismes en fonction de leur phénotype (morphologie, activités physiologiques, composition des parois ou niches écologiques occupées), n’apportent que peu d’information quant aux relations d’évolution liant les microorganismes entre eux (Hugenholtz et Pace, 1996). Bien que traditionnellement utilisées pour l’étude des microorganismes, les techniques de culture sur boîtes de Pétri ont, tout comme les observations microscopiques, montré leurs limites. En effet, un certain nombre d’études met en évidence des écarts importants entre les résultats de culture et les dénombrements par microscopie (Terzieva et al., 1996). Le développement des outils moléculaires a conduit les microbiologistes à reconsidérer leur vision du monde microbien. Il est estimé que la fraction cultivable des microorganismes se situe entre 0,001% et 15% selon l’écosystème considéré (Amann et al., 1995) (Tableau 1).  Les techniques de microbiologie classiques conduisent à une vision partielle des communautés microbiennes d’un écosystème en favorisant l’observation des microorganismes cultivables. Ceci suggère qu’une vaste majorité de la « vraie » diversité pourrait être ignorée si l’on s’attache exclusivement aux méthodes de culture. Ces différences peuvent s’expliquer par : · la difficulté à reproduire les conditions exactes d’un milieu, notamment les relations entre microorganismes (parasitisme, synergie, commensalisme…) et/ou avec l’ensemble des paramètres de l’environnement (Van Elsas et al., 2000). · La présence dans n’importe quel habitat, de microorganismes se trouvant dans un état de dormance, appelé également état viable non cultivable (VNC) (Roszak et Colwell, 1987). Il s’agit en fait de cellules ayant perdu leur capacité à se multiplier mais qui présentent encore une activité cellulaire (Aertsen et Michiels, 2004). Ces cellules peuvent dans certaines conditions appropriées, devenir de nouveau cultivables (Mukamolova et al., 2003). De nombreuses études ont démontré que la plupart des espèces bactériennes pathogènes pour l’Homme (par exemple Campylobacter, Helicobacter pylori, Legionella pneumophila, Vibrio cholerae, Mycobacterium tuberculosis, Listeria monocytogenes, Salmonella spp. …) pouvaient exister sous forme de bactéries viables mais non cultivables (Roszak et al., 1984 ; Rollins et Colwell, 1986 ; Ozcakir, 2007). Tableau 1 : Cultivabilité des bactéries de divers habitats d’après Amann et al. (1995). La valeur pour l’air est donnée par Radosevich et al. (2002). *Déterminée par le pourcentage d’unité formant colonies (UFC) par rapport au nombre de cellules totales dénombrées par comptage direct au microscope. Par opposition aux méthodes de culture, les outils moléculaires permettent de détecter ces microorganismes viables non cultivables. Néanmoins, la culture se définit comme le fondement des bases de nos connaissances actuelles. Elle a permis d’accéder au développement des outils moléculaires. Elle reste la technique de référence pour l’étude des microorganismes de l’environnement, elle est préférentiellement utilisée dans le cadre réglementaire et les microbiologistes disposent d’un recul plus important sur les méthodes culturales que moléculaires. Habitat Cultivabilité (%)* Eau de mer 0,001-0,1 Eau douce 0,25 Lac mésotrophique 0,1-1 Eaux d’estuaires non pollués 0,1-1 Boues activées 1-15 Sédiments 0,25 Sol 0,3 Air 0,1 

Les outils moléculaires

Malgré le développement des outils moléculaires depuis plus de 30 ans, peu d’études se sont intéressées à la diversité microbienne de l’air par des méthodes indépendantes de la cultivabilité. 

L’horloge moléculaire

L’utilisation de marqueurs moléculaires de l’espèce ainsi que le développement de la phylogénie moléculaire sont liés à l’émergence des technologies moléculaires dans les années soixante (Zuckerland et Pauling, 1965). Le concept de phylogénie moléculaire utilise les molécules comme des marqueurs de l’évolution des êtres vivants. Pour cela, il s’appuie sur la théorie de l’horloge moléculaire qui considère que des mutations s’accumulent au cours du temps dans le génome des êtres vivants. Pour cela, il faut supposer que : · le taux d’accumulation des mutations dans le génome d’organismes différents est du même ordre de grandeur dans des régions homologues (régions soumises à la même pression de sélection). · l’accumulation sera maximale pour des régions qui ne sont pas soumises à la pression de sélection naturelle (ne codant pas pour des gènes) et minimale dans les parties du génome soumises à une forte pression (c’est à dire les régions codant pour des fonctions essentielles à la survie de l’organisme). Chaque séquence accumule les mutations à un rythme qui lui est propre et qui est dicté par l’intensité de la pression de sélection à laquelle elle est soumise. Pour reconstituer des phylogénies et ainsi dater la divergence entre deux espèces, il est possible d’utiliser différentes molécules en tant que marqueurs.

L’ARN ribosomique

La séquence de l’ARN ribosomique (ARNr) s’est révélé particulièrement utile pour l’identification des organismes grâce à son haut niveau d’information, sa nature conservée, et sa présence dans tous les microorganismes de type procaryote ou archée (Woese et al., 1990).En outre, les ADN ribosomaux (ADNr) 16S et 18S possédaient les tailles les plus appropriées pour les techniques employées à l’époque. L’ARNr répond notamment à plusieurs caractéristiques essentielles (Woese, 1987) : 1. Les ARNr étant indispensables pour la synthèse des protéines, leur présence est universelle. De plus, ils sont homologues chez tous les organismes. 2. Leur fonction est conservée, en outre leur séquence est suffisamment grande pour réaliser de multiples analyses phylogénétiques. 3. Leur rythme d’évolution est lent car la pression de sélection qui s’exerce sur l’ARNr n’est que peu soumise aux variations du milieu. 4. Ils sont constitués d’une alternance de séquences hautement conservées (spécifique de groupes de plus en plus larges) et de séquences variables (spécifiques de chaque espèce).  Actuellement, bien qu’il existe d’autres gènes marqueurs (la région ITS pour les champignons par exemple), les séquences d’ARNr 16S et 18S restent les plus utilisées lorsqu’il s’agit d’analyses de phylogénie microbienne. Le guide référence de la taxonomie procaryote, le Bergey’s Manual of Systematic Bacteriology, a adopté l’ADNr 16S pour la classification des procaryotes, remplaçant la caractérisation phénotypique traditionnelle (Boone et al., 2001). 

L’analyse de la diversité microbienne

Le concept de diversité microbienne n’est pas bien défini. Il peut aussi bien faire référence (i) à la diversité génétique (taxonomique ou phylogénétique) couramment mesurée par des méthodes de génétique moléculaire, mais également (ii) à la diversité biochimique (physiologique) obtenue en laboratoire à l’aide de cultures pures. Les connaissances acquises quant à la diversité physiologique ou biochimique proviennent des moins de 1% des organismes pouvant être maintenu par culture et enrichissements. La diversité génétique provient des nombreuses applications liées aux techniques moléculaires, bien que celles-ci soient limitées pour l’identification de membres sous-représentés dans une communauté (Rusch et al., 2007). Par la comparaison des séquences d’ARNr, Carl Woese établit un arbre phylogénétique pouvant définir l’histoire de l’évolution. Il articula son arbre autour de trois domaines : Eucarya, Bacteria et Archaea (Figure 2) (Woese et Fox, 1977). Figure 2 : Arbre phylogénétique des trois domaines du vivant formé à partir de séquences d’ARNr 16S et 18S adapté de Woese et al. (1990) par Wheelis et al. (1992). Un tel arbre se construit en alignant par paires des séquences d’ARNr de différents organismes, les différences sont comptées et considérées comme des mesures de « distances évolutives » entre les organismes (Pace, 1997 ; Handelsman, 2004). Les domaines Bacteria et Archaea appartiennent tous deux au groupe des procaryotes bien qu’ils soient phylogénétiquement très distincts (Woese et al., 1990).Il définit également 12 phyla ou divisions dans le domaine Bacteria, sur les base des séquences d’ARNr 16S obtenues à partir d’organismes cultivés (Woese, 1987).  La caractérisation phylogénétique d’un organisme s’appuie uniquement sur la séquence d’un gène et non sur une fonction cellulaire. L’analyse des séquences d’ARNr permet d’accéder à différents niveaux de taxonomie. Les séquences les plus conservées permettent la différenciation des hauts niveaux de classification (règnes, embranchements…). A l’inverse, les groupes microbiens ayant des analogies mais se différenciant par leurs régions « hyper variables », seront classés en genre, espèce et sous espèce (Amann et al., 1995). Le développement des méthodes indépendantes de la culture basées sur le gène de l’ARNr 16S, utilisé en association avec les analyses phylogénétiques, a révélé une importante part de microorganismes inconnus ou non cultivés, incluant des nouvelles divisions complètes de bactéries (Figure 3). Alors qu’en 1987, le nombre de phyla bactériens était estimé à 12 (Woese, 1987), en 1998, 36 phyla étaient identifiés (Hugenholtz et al., 1998a) et finalement 52 en 2004. Les premiers phyla étaient basés sur l’analyse des microorganismes cultivés (les cyanobactéries, les spirochètes et les bactéries à gram positif). Néanmoins, la majorité des divisions bactériennes est très peu représentée en culture. Vingt-six des 52 divisions sont uniquement caractérisées par des séquences environnementales et n’ont pas de représentants cultivés (par exemple OP11 (Hugenholtz et al., 1998b) ou WS6 (Dojka et al., 2000)). Néanmoins, il existe des limites à ce type d’approche. La phylogénie basée sur l’étude du gène de l’ARNr ne permet pas d’accéder à toutes les informations et notamment celles qui traitent des fonctions cellulaires ou de l’activité biochimique des groupes microbiens dans l’environnement. De plus, les échanges horizontaux de matériel génétique affectant l’évolution des cellules ne peuvent être identifiés que par l’étude de la cellule elle-même et de son génome entier (Rappé et Giovannoni, 2003). Cette approche ne révèle qu’une faible part de l’évolution cellulaire et elle est sujette à certains biais analytiques. En effet, une large variété d’artéfacts (séquences chimériques, erreurs de séquençage…) et des erreurs méthodologiques (mauvaise référence, alignement incorrect…) conduisent à un placement inadéquate de la séquence clonée au sein de l’arbre phylogénétique (Rappé et Giovannoni, 2003). Selon Stackebrandt et Goebel, un pourcentage d’hybridation d’au moins 70% correspondrait à une identité de séquence d’au moins 96%. En d’autres termes, les séquences ADN des souches d’une même espèce peuvent différer de 4%. En considérant que le génome d’Escherichia coli est constitué de 4 millions de bases, deux souches peuvent présenter 105 nucléotides différents, ce qui expliquerait la variabilité phénotypique observable entre les diverses souches d’Escherichia coli et de manière générale, entre les souches d’une même espèce. Pour Stackebrandt et Goebel, lorsqu’il existe moins de 97% d’homologie entre les séquences des ARNr 16S de deux souches, alors celles-ci appartiennent à des espèces différentes. Par contre, si le pourcentage d’homologie est égal ou supérieur à 97%, le placement de deux souches dans une unique espèce ou dans deux espèces différentes doit reposer sur les résultats des hybridations ADN-ADN (Stackebrandt et Goebel, 1994). La définition de l’espèce bactérienne la plus récente, a été donnée par le Comité Stackebrandt et al. en 2002. Ce comité s’est réuni les 6, 7 et 8 février 2002 à l’Université de Gand et a formulé les propositions suivantes (Stackebrandt et al., 2002) : · L’étude des pourcentages d’hybridation ADN-ADN ainsi que la stabilité thermique des hybrides demeure la référence pour définir une espèce bactérienne, lorsque les séquences des ARNr 16S des souches présentent plus de 97% d’homologie.  · Les hybridations ADN-ADN étant des techniques lourdes et délicates à mettre en œuvre, le comité préconise l’utilisation d’autres techniques (séquençage de divers gènes de ménage, séquençage de l’espace intergénique 16S-23S, analyse électrophorétique des protéines…) à condition que les résultats obtenus soient comparables à ceux des hybridations ADN-ADN. Le comité encourage également les taxonomistes à développer de nouvelles méthodes susceptibles de remplacer les hybridations ADN-ADN ou d’apporter des informations complémentaires. · Toute description d’une nouvelle espèce devrait inclure la séquence de l’ARNr 16S de la souche type. · Pour les bactéries d’intérêt médical ou vétérinaire, l’écologie et/ou le pouvoir pathogène peuvent prendre le pas sur les critères génétiques, ce qui peut conduire à conserver des nomenclatures distinctes pour des taxons très proches sur le plan génétique.

Table des matières

INTRODUCTION
I CONTEXTE
II PLAN DE LA THESE
CHAPITRE 1 – SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I RAPPELS DE MICROBIOLOGIE
I.1 De la microbiologie à la microbiologie de l’air
I.2 L’écologie microbienne
I.3 Outils de microbiologie
I.3.A Les méthodes de cultures « classiques »
I.3.B Les outils moléculaires
II LES BIOAEROSOLS
II.2 L’aérosolisation : mécanismes
II.3 Dispersion et déposition
II.4 Rôle dans l’écologie microbienne
II.5 La survie des aérosols microbiens
II.5.A Rôle de l’humidité et de la température
II.5.B Les radiations
II.5.C L’ozone et autres « Open Air Factor »
III ETUDE DES BIOAEROSOLS
III.1 Difficultés spécifiques
III.2 La collecte
III.2.A L’impaction
III.2.B La filtration
III.2.C L’impaction en milieu liquide
III.2.D La concentration par aérocyclone
III.3 Méthode de comptage et d’étude
III.3.A La microscopie
III.3.B La culture
III.3.C La PCR
III.3.D La PCR quantitative en temps réel
III.3.E L’hybridation in situ
III.3.F Méthode d’identification : les inventaires
IV LA DIVERSITE DES AEROSOLS MICROBIEN
IV.1 Air extérieur
IV.1.A Diversité bactérienne et eucaryote
IV.1.B Variabilité spatiale et temporelle
IV.2 Les bioaérosols dans les espaces clos
IV.2.A Variabilités dans les espaces clos
IV.2.B Bactéries
IV.2.A Eucaryotes
IV.2.B Virus
IV.2.C Les sources
DEMARCHE
CHAPITRE 2 – RESULTATS ET DISCUSSION
I PARTIE 1 – MISES AU POINT PRELIMINAIRES
I.1 Elaboration des stratégies d’échantillonnage
I.2 Article 1 : Procédure expérimentale optimisée pour l’analyse moléculaire de l’air de trois environnements intérieurs
I.3 Echantillonnage intégré
I.3.A Caractéristiques générales
I.3.B Vérification des débits de collecte et de la pression du système de collecte intégré
I.3.C Comparaison prélèvement intégré – prélèvement ponctuel
II PARTIE 2 – ETUDE IN SITU DE LA DIVERSITE MICROBIENNE AEROPORTEE
II.1 Article 2 : Stabilité temporelle des aérosols microbiens dans le Musée du Louvre
II.2 Article 3 : Signature bactérienne et origine des bactéries de l’air des environnements intérieurs.
II.3 Résultats supplémentaires : Analyse de la diversité eucaryotes
II.3.A Matériel et Méthodes
II.3.B Résultats
II.3.C Discussion et conclusions
CHAPITRE 3 – DISCUSSION GENERALE ET CONCLUSIONS
I LA COLLECTE DES AEROSOLS MICROBIENS EN ENVIRONNEMENT INTERIEUR
II IDENTIFICATION MOLECULAIRE DES AEROSOLS MICROBIENS DE L’AIR INTERIEUR
III IMPACTS SANITAIRES
IV CONCLUSIONS
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
I ANNEXE A : TABLEAU RECAPITULATIF DES PRELEVEMENTS ET ANALYSES REALISES
II ANNEXE B : PROFILS CE-SSCP BACTERIES ET EUCARYOTES ISSUS DE L’ARTICLE 2
III ANNEXE C : MATERIEL SUPPLEMENTAIRE PROVENANT DE L’ARTICLE
IV ANNEXE D : MATERIEL SUPPLEMENTAIRE PROVENANT DE L’ARTICLE 3.

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