Comportement hydraulique des milieux failles

Les recherches abondantes menées au cours des dernières décennies dans le domaine du stockage des déchets nucléaires et des ressources géothermiques ont donné lieu à des caractérisations hydrogéologiques précises en milieux discontinus. On peut citer entre autres le site de Stripa et le projet SKB en Suède (respectivement, Dverstop et Andersson, 1989; Ludvigson et al, 2004), les sites de Fanay-Augères en France (Cacas et al, 1990), Rosemanowes au Royaume-Uni (Kolditz et Clauser, 1998) et Olkiluoto en Finlande (Vaittinen et Ahokas, 2004). L’un des résultats notoires apportés par ces observations est la très forte ségrégation des écoulements intervenant dans ce type de milieux. Ce phénomène est par ailleurs couramment observé lors des essais hydrauliques entre obturateurs (Hsieh, 1998; Lemieux et al, 2005; Ludvigson et al, 2004) et par la cartographie des parois de galeries souterraines (Olsson, 1992; Bruel et al, 1999).

Les problématiques modernes font apparaître la nécessité de définir la géométrie réelle de telles structures hydrauliques hétérogènes, et d’accéder à la prévision des chemins d’écoulement empruntés. Il s’agit notamment de déterminer les mouvements réels et les vitesses de transfert d’un soluté en hydrogéologie des contaminants (e.g., Thorbjarnarson et al, 1998 ; Gierczak et al, 2005), d’anticiper les effets d’une exploitation à long terme d’un réservoir hydrique discontinu, de caractériser la formation et les comportements des gisements tectoniques pétroliers (Fisher et Knipe, 2001), ou encore de quantifier les surfaces d’échanges eau-roche dans le cadre de recherches sur l’extraction d’énergie géothermique (Dezayes et al, 2004; Auradou et al, 2006).

Le terme générique milieu discontinu regroupe les milieux fracturés et failles. Sur le plan hydrodynamique, les réseaux de fractures et les failles doivent être appréhendés de manières fondamentalement différentes. Les milieux fracturés sont regardés comme des réseaux constitués de familles de fractures de dimensions variables. Le comportement macroscopique de ces réseaux est le plus souvent relié à un modèle d’homogénéité statistique paramétré (fractal ou euclidien), privilégiant ainsi typiquement une représentation stochastique des écoulements au sein d’un continuum équivalent (e.g., Acuna and Yortsos, 1995 ; Leveinen, 2000 ; Le Borgne et al, 2004). Inversement, les discontinuités en milieux failles sont des structures très étendues à l’échelle du domaine d’écoulement, et de nombre restreint. Ces failles – ou dykes, plans de stratification – doivent être considérées intrinsèquement comme des unités uni-, bi- ou tridimensionnelles géométriquement et hydrauliquement indépendantes en interaction avec le milieu environnant, au sein desquelles les écoulements sont explicitement représentés de manière déterministe (e.g., Abbaszadeh and Cinco-Ley, 1995). L’approche développée dans cette thèse favorisera ce type de représentation.

La ségrégation extrême induite par la présence d’une faille s’accompagne de modifications considérables des comportements hydrauliques permanent et transitoire à l’échelle du réservoir, comme le rapportent un grand nombre d’études de cas dans la littérature hydrogéologique et pétrolière (e.g., Michalski et Britton, 1996 ; Allen et Michel, 1998 ; Leveinen et al, 1998 ; Meier et al, 1998 ; Labaume et al, 2000; Van Tonder et al, 2001 ; Andrews et al, 2002 ; Van Tonder et al, 2002 ; Babiker et Gudmunsson, 2004 ; Ludvigson et al, 2004 ; Seaton et al, 2005 ; Gierczak et al, 2006). Ces modifications sont telles que, dans une majorité de cas, les comportements transmis par les milieux failles (et discontinus en général) ne peuvent être reproduits de manière satisfaisante par les modèles interprétatifs conventionnels. Les approches classiques s’avèrent inaptes à rendre compte des signatures particulières en milieux discontinus, si bien que les moyens diagnostiques des conditions d’écoulement dans ces milieux sont très limités dans l’état actuel des connaissances, ou requièrent un appareillage expérimental avancé (tests d’interférence, essais entre obturateurs, essais de traçage). Parallèlement, certaines de ces études ont pu mettre en évidence le caractère nonradial des écoulements transitoires se produisant dans ce type de milieux. Les comportements non-radiaux se définissent par une dimension d’écoulement n différente de deux suivant le modèle Generalized Radial Flow (GRF) introduit par Barker (1988). Il s’agit d’une extension des modèles interprétatifs conventionnels développée précisément dans le but de reproduire les signatures transitoires complexes transmises par l’aquifère discontinu de Stripa (Black et al, 1986). L’efficacité du modèle non-radial à reproduire les comportements transitoires observés en milieux discontinus a par la suite été rapportée à plusieurs reprises (Acuna and Yortsos, 1995 ; Leveinen et al, 1998 ; Kuusela-Lahtinen et al, 2002; Walker and Roberts, 2003 ; Le Borgne et al, 2004 ; Lods and Gouze, 2004). Toutefois, si ce modèle procure une interprétation mathématique satisfaisante des écoulements discontinus, l’interprétation physique du comportement non-radial demeure énigmatique, et les conditions géométriques et hydrauliques associées à l’apparition de dimensions d’écoulement n ≠ 2 sont très mal contraintes.

Déformations cassantes et hydrodynamisme

Réseaux de fractures, failles et réseaux d’écoulement

Les simulations de flux sur réseaux synthétiques réalisées par de Dreuzy (2000) reproduisent la ségrégation des écoulements en milieux discontinus et rapportent que celle-ci varie considérablement avec le schéma de distribution des conductivites individuelles des discontinuités formant le réseau, et s’accentue avec l’écart-type de celles-ci dans le cas d’une distribution gaussienne. La concentration des écoulements dans une portion restreinte du réseau traduit donc les forts contrastes de conductivites individuelles existants en milieux naturels. Ce phénomène sera largement accru lorsque le domaine d’écoulement est totalement ou partiellement recoupé par une ou plusieurs discontinuités majeures, d’extension significativement grande devant les dimensions du domaine d’écoulement. Ce type de discontinuité est typiquement une faille (dans certains cas un plan de stratification ou un dyke) marquée par un très net contraste de propriétés hydrauliques avec le milieu encaissant.

Sur le plan hydrodynamique, les réseaux de fractures et les failles doivent être appréhendés de manières fondamentalement différentes. L’étude des réseaux fracturés privilégie typiquement la recherche d’un continuum équivalent traduisant les propriétés particulières des réseaux naturels par une approche stochastique. En revanche, la simplicité géométrique de l’objet hydraulique étudié autorise la représentation des milieux failles par des méthodes déterministes dans une formulation discrète du problème. C’est l’approche qui sera adoptée dans la présente thèse.

Les modèles à invariance d’échelle tentent de représenter la déformation cassante à travers un comportement généralisé sur toutes les dimensions qui la caractérisent. Cette approche est motivée d’une part, par la dépendance d’échelle des propriétés hydrauliques fréquemment observée en milieux fracturés et d’autre part, par son caractère universel apportant une solution commode au problème complexe de la représentation hydraulique des réseaux de fractures. La validité de l’approximation fractale dans la représentation des milieux fracturés est controversée depuis son introduction par Turcotte (1986). Les études visant à vérifier sur le terrain l’existence d’une telle relation en loi de puissance – typiquement, entre le nombre de fractures par unité de surface et leur taille minimale – dans les schémas de fracturation naturels sont abondantes (e.g., Center et Castaing, 1997 ; voir la synthèse réalisée par Bonnet et al, 2001). Outre les critiques portant sur la validité de la méthode très généralement employée qui est le box-counting, il ressort de ces travaux qu’un tel comportement peut être observable sur un nombre relativement limité d’ordres de grandeur, traduisant l’inconstance de l’exposant de la fonction de puissance d’une gamme d’échelles à l’autre (Nicol et al, 1996) et l’existence de longueurs caractéristiques à certaines échelles d’observations. La stabilité de cet exposant se maintient le plus souvent sur un à deux ordres de grandeurs, rarement sur des intervalles plus large. Nicol et al (1996) avancent que ces variations dans la valeur de l’exposant (et la non validité de l’approximation fractale qui en découle) sont possiblement reliés à des contrôles rhéologiques et stratigraphiques (e.g., épaisseur des bancs) intervenant à des échelles caractéristiques. Les simulations numériques de développement de champs de déformations cassantes réalisées par Hardacre et Cowie (2003) démontrent que cet exposant varie 1) avec la quantité de déformation imposée aux limites du système, dont la distribution hétérogène (induite par les interactions en fractures, les hétérogénéités rhéologiques et les variations d’évolutions locales) engendre une hétérogénéité spatiale de l’exposant ; et 2) avec les concentrations locales de la déformation associée à — et accentuée par – l’apparition de failles.

À toutes les échelles, l’acquisition de déformations cassantes est très fortement conditionnée par les schémas d’hétérogénéités -voire de discontinuités – rhéologiques du milieu encaissant. Ces hétérogénéités sont de natures profondément variables dépendamment de l’échelle d’observation : l’arrangement cristallin (fabrique de cristallisation, fabrique sédimentaire, processus diagénétiques) exerce un contrôle dominant sur la mise en place des déformations microscopiques (microfracturation), tandis que la géométrie des déformations mésoscopiques (fracturation) et macroscopiques (failles) est typiquement davantage influencée par la stratification (épaisseur des bancs), la géométrie particulière des limites de formations et ensembles géologiques (corps magmatique, changements de faciès, limites socle/couverture…) et leurs relations avec les structures environnantes (plissement, cisaillement régional, structures héritées…). Il n’existe par conséquent pas de mécanisme universel d’acquisition de la déformation cassante, dont la géométrie différera considérablement d’une échelle à l’autre. Il en découle une absence d’universalité de forme, autrement dit une absence théorique d’invariance d’échelle ou une limitation de celle-ci à une gamme d’ordres de grandeurs très restreinte traduisant les dimensions caractéristiques des différents mécanismes impliqués.

La validité des représentations fractales en milieux discontinus est donc ponctuelle en termes d’échelle d’observation, et restreinte à une faible gamme d’ordres de grandeurs. Il sera par ailleurs démontré plus bas que les modèles d’écoulement fractals manifestent une forte sensibilité à ces effets limite, laquelle peut par conséquent s’avérer restrictive quant à leur applicabilité dans les milieux naturels.

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE I CARACTÉRISATION HYDRAULIQUE DES RÉSERVOIRS DISCONTINUS – ÉTAT DES CONNAISSANCES 
1.1. Déformations cassantes et hydrodynamisme
1.1.1. Réseaux de fractures, failles et réseaux d’écoulement
1.1.2. Propriétés hydrauliques des failles majeures
1.1.3. Synthèse
1.2. Modélisation de flux en milieux discontinus
1.2.1. Modèles continus versus modèles discrets
1.2.2. Formulation du problème transitoire
1.2.3. Le concept de conductivité équivalente
1.2.4. Le comportement radial conventionel
1.2.5. Extension du modèle conventionnel : le comportement non-radial
1.2.6. Les modèles fractals
1.2.7. Le modèle de Doe (1991)
1.2.8. Les réseaux tubulaires
1.3. Les modèles de réservoirs failles
1.3.1. Idéalisation d’une discontinuité
1.3.2. Le modèle à faille verticale isotrope
1.3.3. Le modèle à faille horizontale isotrope
1.3.4. Les modèles à faille pseudo-anisotrope et artisotrope
1.3.5. Discussion
1.4. Synthèse
CHAPITRE II OBSERVATION DES SIGNATURES NON-RADIALES DANS LES AQUIFÈRES DISCONTINUS NATURELS
2.1. Données disponibles dans la littérature
2.2. Compilation de la base de données d’essais de pompages
2.2.1. Sources des données et distribution géographique
2.2.2. Contextes lithoiogiques, tectoniques et hydrogéologiques
2.3. Différenciation et interprétation des signaux
2.3.1. Differentiation des signaux
2.3.2. Paramétrage de l’algorithme : choix de l’intervalle L
2.3.3. Interprétation des signaux
2.4. Résultats
2.4.1. Analyse des signaux sur les sites à puits uniques
2.4.2. Analyse des tests d’interférences
2.5. Synthèse
CONCLUSION GÉNÉRALE

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