DELHI UNE VILLE PLANIFIÉE DÉPASSÉE

DELHI UNE VILLE PLANIFIÉE DÉPASSÉE

À l’indépendance de l’Inde en 1947, la partition avec le Pakistan entraîne l’afflux massif et rapide de réfugiés à Delhi dont la population passe de 900 000 habitants en 1941 à 1,75 million en 1951. La croissance démographique à des taux de plus de 4% par an jusqu’au début des années 2000 s’est accompagnée d’une expansion urbaine importante et incontrôlée (Dupont, Milbert, et al. 2000). En 2011, ce sont 16,75 millions de personnes qui sont recensées sur les 1 483 km² du territoire de la capitale fédérale. Au-delà, la tâche urbaine s’étend sur les États voisins, et englobe villes satellites et corridors de développement pour atteindre plus de 22 millions de personnes (Carte 1)La grande majorité des travaux sur Delhi adopte une lecture politique de la ville et de son développement. Les questions de gouvernance, les relations de pouvoir, les jeux d’acteurs et les influences politiciennes sont les principaux sujets et filtres d’analyse du fonctionnement urbain. L’économie politique de Delhi apparaît comme déterminante pour expliquer son développement et les politiques publiques mises en œuvre (Ahmad et al. 2013; Ruet 2009). L’une des conclusions unanimes sur la ville est que celle-ci est prise dans des contradictions sociopolitiques, que traduit l’exclusion des plus pauvres par un projet moderniste de ville globale (Dupont 2011; Kundu 2003; Tawa Lama-Rewal 2012) poussé par la classe moyenne et supérieure (Gandy 2008; Ghertner 2011a; Nath 1993).

Sans nier la réalité de ce phénomène, il est réducteur de limiter Delhi à cette dichotomie : entre les bidonvilles stigmatisés et les enclaves aisées, existe une urbanisation intermédiaire longtemps ignorée par les pouvoirs publics comme par la recherche académique. La campagne de régularisation engagée par le gouvernement de Delhi depuis 2007 a replacé ces quartiers irréguliers – colonies non-autorisées et villages – au centre de l’agenda politique. La recherche commence à s’y intéresser (Lemanski & Tawa Lama-Rewal 2013; Zimmer 2012), mais toujours davantage en termes politiques et sociaux que spatiaux et physiques. En nous concentrant sur les dynamiques de développement de ces quartiers intermédiaires, nous prenons comme hypothèses qu’il existe à Delhi des logiques autres que celle de la distinction entre les deux extrêmes que sont les bidonvilles et les colonies bourgeoises, et que d’autres dynamiques que celles des influences politiciennes et des jeux de pouvoir peuvent participer de la fabrique urbaine. Delhi étant connue pour être un exemple d’‘échec’ de la planification (Datta & Jha 1983; Nath 1995), il s’agit en outre d’identifier d’autres mécanismes de fabrique urbaine liés à la consolidation et la viabilisation des quartiers irréguliers. Pour comprendre en quoi les quartiers irréguliers delhiites sont les oubliés du planificateur, il faut d’abord reprendre l’histoire de la planification urbaine de la capitale depuis les années 1950 (1). Nous verrons ensuite que, là où la planification est absente, d’autres politiques et actions urbaines prennent en considération le développement de cette catégorie d’habitat populaire (2). Enfin, le cadre général d’intervention des entreprises de services dans les quartiers irréguliers, pris entre ces deux logiques, est présenté (3).

Bien que dotée d’une structure gouvernementale ad hoc au niveau du territoire métropolitain, Delhi est soumise à l’intervention d’une telle multiplicité d’organismes qu’il est difficile d’y voir une cohérence de l’action publique. D’après les rapports gouvernementaux eux-mêmes, le développement incontrôlé de Delhi est lié à un déficit de gouvernance, à une inadéquation de la conception de la planification et au défaut de mise en œuvre du plan. Capitale de l’Inde depuis 1911, Delhi a longtemps été directement administrée par l’État central. Aujourd’hui encore, les compétences en termes de police et d’aménagement restent du ressort du gouvernement indien (GoI). La Delhi Development Authority (DDA), créée en 1957 et sous tutelle du ministère central du développement urbain, est l’établissement public en charge de l’élaboration des plans d’aménagement de Delhi. Dès les années 1960, la Delhi Development Authority a étendu ses fonctions à la mise en œuvre des plans, c’est-à-dire acquisition, aménagement, lotissement, construction et attribution des terrains, devenant ainsi un organisme relativement autonome et tout-puissant dans la capitale (Milbert 1998).

 

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *