Déterminisme génétique du sexe de deux populations naturelles 

Télécharger le fichier original (Mémoire de fin d’études)

Diversité des déterminismes du sexe

Bien que l’on connaisse des systèmes de déterminismes différents de celui des mammifères ou des espèces modèles, ces mécanismes sont restés pendant longtemps dans les consciences collectives comme des exceptions à la règle. Le développement du séquençage et de la biologie moléculaire a permis au fil du temps de révéler la grande diversité des systèmes déterminismes du sexe chez les vertébrés (voir revues de la littérature de Valenzuela & Lance, 2004; Bachtrog et al., 2014; Capel et al., 2017; Smirnov & Trukhina, 2019). En effet, des espèces proches peuvent présenter des mécanismes de déterminisme du sexe différents (Figure 1.2). C’est le cas par exemple chez les amphibiens où des systèmes XX/XY et ZZ/ZW peuvent être observés dans différentes populations d’une même espèce (Miura et al., 2017). De même, si les oiseaux présentent un système stable, les reptiles dans leur ensemble présentent une grande variabilité de systèmes incluant des déterminismes génétiques (GSD) et des déterminismes environnementaux du sexe (ESD) ou bien encore une combinaison des deux (Sarre et al., 2011). Dans le cas d’une espèce à ESD, un même génome peut développer deux phénotypes sexuels différents en fonction des conditions environnementales dans lesquelles un individu se développe. De fait, les plus proches parents des oiseaux, les crocodiliens, possèdent eux un déterminisme ESD où la température du milieu contrôle le devenir du sexe des individus (Lang & Andrews 1994; Deeming, 2004). Enfin, les tortues présentent des déterminismes du sexe de type XX/XY, ZZ/ZW et ESD (Ewert et al., 2004). Les sections suivantes s’attèlent donc à donner une idée de la diversité à la fois des mécanismes génétiques et environnementaux chez les vertébrés gonochoriques.

Les déterminismes génétiques du sexe

Une diversité de formes

Contrairement à l’image reçue du Y dégénéré, dont le contenu en gènes est drastiquement réduit en comparaison du X, les chromosomes sexuels ne sont pas toujours fortement différenciés. On retrouve en effet tous les cas possibles le long d’un gradient allant de la stricte homomorphie à une complète hétéromorphie (Bachtrog et al., 2014). Dans le cas des mammifères, un simple caryotype peut souvent permettre d’identifier la paire de chromosomes sexuels du fait de la différence de taille importante entre le X et le Y et de leur manque d’homologie moléculaire, en lien avec le manque de recombinaison notamment (Skaletsky et al., 2003). Cependant, cette situation est loin d’être la règle et l’on retrouve des poissons téléostéens, des amphibiens ou encore des reptiles dont les chromosomes sexuels sont fortement homomorphes (Miura et al., 2017; Gammerdinger & Kocher, 2018). De plus, dans un même clade on peut également trouver des chromosomes sexuels avec différents degrés de différenciation. Ainsi, les Boidae et Pythonidae présentent des chromosomes sexuels homomorphiques alors que les Viperidea portent des chromosomes sexuels fortement hétéromorphiques et enfin les Colubridae eux possèdent des chromosomes sexuels modérément différenciés (Gamble et al., 2017). C’est aussi le cas chez les oiseaux chez qui les ratites, contrairement à l’ensemble de leurs congénères, présentent des chromosomes sexuels grandement homomorphiques (Yazdi & Ellegren, 2014). Il existe également des cas extrêmes de chromosomes sexuels homormophiques comme par exemple chez le Takifugu rubripes, un poisson chez qui la région de déterminisme du sexe se résume au polymorphisme d’un nucléotide entre le X et le Y (Kamiya et al., 2012).
Il existe donc une grande diversité de formes des paires de chromosomes sexuels.

Une diversité de systèmes

Si les deux types de déterminismes décrits précédemment (XX/XY et ZZ/ZW) sont les plus connus, il en existe de nombreuses variantes.
On connait par exemple des cas où le chromosome Y n’est plus seulement fortement dégénéré mais a complètement disparu. C’est le cas par exemple chez plusieurs rongeurs fouisseurs du genre Ellobius (E. lutescens, E. tancrei et E. talpinus) qui ont perdu le chromosome Y ainsi que le gène Sry (Mulugeta et al., 2016; Matveevsky et al., 2017). Chez E. tancrei et E. talpinus la perte du Y a donné lieu à la duplication du chromosome X : mâles et femelles sont donc XX. En revanche, chez E. lutescens tous les individus sont XO. On retrouve également une perte du chromosome Y chez une espèce de rats épineux du genre Tokudaia (T. osimensis), chez qui des fractions du Y ont été transloqué sur le X ou sur d’autres autosomes. Ainsi, mâles et femelles sont également XO (Murata et al. 2016). Cependant, si la cascade de différenciation du sexe est conservée, le ou les gènes remplaçant le Sry ne sont pas identifiés (Otake & Kuroiwa, 2016).
A l’inverse, le Campagnol de l’Oregon (Microtus oregoni) a non pas subi une perte du Y mais une perte d’un X chez les femelles. Ainsi, plusieurs génotypes ségrègent mais les femelles de cette espèce peuvent notamment être XO alors que les mâles sont XY (Charlesworth & Dempsey, 2001).
Il existe aussi des espèces pour lesquelles plusieurs paires de chromosomes peuvent interagir pour déterminer le sexe d’un individu. Le Strabomantis biporcatus (un amphibien endémique du Vénézuela, aussi nommé Eleutherodactylus maussi) possède deux paires de chromosomes X distinctes. Un facteur masculinisant s’est transposé sur l’un des X d’une des paires, agissant alors comme un Y et résultant en un déterminisme du type X1X1X2X2 chez les femelles et X1Y1X2X2 ou X1X2Y2 chez les mâles (Schmid et al., 2003). Sur un autre modèle, le Poisson-tigre (Hoplias malabaricus) possède lui deux chromosomes Y, ce qui induit un déterminisme du type X1X1 (femelles) et X1Y1Y2 (mâles) (Cioffi and Bertollo, 2010). Un exemple impliquant plus encore de paires de chromosomes sexuels est illustré par l’ornithorynque (Ornithorhynchus anatinus) qui possède 5 paires de chromosomes sexuels de type XX/XY (Grützner et al., 2004).
Le même type de variant existe pour les espèces dont les chromosomes sexuels suivent un patron ZZ/ZW. Un système avec deux paires de chromosomes sexuels ZW détermine par exemple le sexe chez un poisson du genre Ancistrus (Ancistrus sp.2 ‘’Barcelos’’) où les femelles sont Z1Z2W1W2 tandis que les mâles sont Z1Z1Z2Z2 (De Oliveira et al., 2008). De même une variante du système ZZ/ZW contrôle le sexe chez le poisson-lézard (Trachinocephalus myops) et les femelles sont alors ZW1W2 tandis que les mâles sont ZZ (Ueno et al., 2001).
Des systèmes classiques peuvent aussi se cumuler même s’ils font intervenir plusieurs locus qui ne suivent pas forcément le même patron. On retrouve ainsi des espèces pour lesquelles le sexe dépend d’une combinaison de déterminants de type XX/XY et ZZ/ZW. L’épistasie entre les locus définit alors le développement sexuel des individus (Figure 1.3). De fait, on retrouve des espèces qui présentent un déterminisme XX/XY/ZZ/ZW avec Y>W>Z>X ou encore W>Y>Z>X. Le sexe du platy (Xiphophorus maculatus) est ainsi déterminé par la combinaison de trois chromosomes sexuels : W, Y, et X, avec W>Y>X. Les femelles de cette espèces peuvent alors être XX, XW, ou YW, et les mâles peuvent être YY ou XY (Schultheis et al., 2009). Xenopus tropicalis, un crapaud d’Afrique de l’ouest, possède également trois chromosomes sexuels Y, W et Z avec les relations suivantes : Y>W>Z. Les femelles sont alors WW ou ZW et les mâles sont YZ, YW ou ZZ (Roco et al., 2015).
Finalement on peut également retrouver des systèmes de déterminisme génétique où le sexe est défini par un chromosome surnuméraire et non essentiel dans le caryotype et pour le développement des individus. Ce chromosome est généralement appelé chromosome «!B!», en opposition au jeu de chromosomes originels de l’espèce («! A! »). Les chromosomes B peuvent endosser le rôle de chromosomes sexuels s’ils portent un locus qui agit comme un déterminant du sexe. Ainsi, le sexe des individus est déterminé en fonction de l’interaction du chromosome B avec les systèmes existant avant son apparition dans le génome. C’est le cas chez Metriaclima lombardii, un cichlidé du lac Tanganyika chez lequel le chromosome B agit comme un chromosome W, en plus de la présence d’un système XX/XY ancestral (Clark et al., 2017). Dans cette espèce, les relations de dominances entre les chromosomes sont les suivantes : W>Y>X et les individus WXY se développent en femelles tout comme les individus XX, alors que les individus XY se développent classiquement en mâles.
Modèles possibles d’épistasie simple dans le cas de deux loci déterminant le sexe. Les relations épistatiques entre les allèles sont indiquées par les systèmes d’inégalités à côté de chaque tableau. Le nombre de systèmes possibles est limité par les modèles de dominance à chaque locus (Y > X et W > Z). Le sexe attendu de chaque génotype est indiqué par une couleur (bleu = mâles, rose = femelles). Les trois systèmes de gauche représentent un Y épistatiquement dominant, tandis que les trois systèmes de droite représentent un W épistatiquement dominant. Des différences dans les relations épistatiques des allèles récessifs (X et Z) peuvent inverser le phénotype attendu du locus épistatiquement dominant (*). Issu et traduit de Tao et al., (2021).

Les évènements entrainant des turnovers de chromosomes sexuels

La grande diversité des systèmes décrits précédemment montre une plasticité des déterminismes génétiques du sexe chez les vertébrés et reflète les nombreux évènements de changement de chromosomes sexuels (turnover) qui ont eu lieu dans l’histoire évolutive de ces taxons. Les mécanismes qui permettent ces turnovers et les évènements qui les favorisent sont introduits ci-après.

Les mécanismes de turnovers

Les turnovers de chromosomes sexuels sont classés en deux catégories : les turnovers homologues et les turnovers non-homologues. Le premier cas correspond au déplacement du déterminant sexuel sur une autre paire d’autosomes. Le déterminant reste donc le même mais la paire de chromosomes sexuels change. C’est ce phénomène qui a été identifié chez le saumon Atlantique où le gène du déterminisme du sexe (sdY) peut être retrouvé sur différentes paires de chromosomes selon les souches (Lubieniecki et al., 2015).
Dans le cas d’un turnover non-homologue en revanche, il s’agit d’un nouveau locus sur une autre paire de chromosomes qui prend la tête de la cascade du déterminisme du sexe. Ainsi, chez les grenouilles, 13 turnovers de chromosomes sexuels ont été identifiés sur 28 espèces (en un laps de temps de 55 millions d’années) avec certains chromosomes recrutés plus fréquemment que d’autres (Figure 1.4) (Jeffries et al., 2018).
Ce scénario est également décrit chez les boas et les pythons qui possèdent un déterminisme XX/XY mais qui ne font pas intervenir les mêmes chromosomes (Gamble et al., 2017). Le passage d’un déterminisme ancestral certainement du type ZZ/ZW vers XX/ XY résulte d’une convergence évolutive entre ces deux lignées où de nouveaux déterminants ont été fixés.
Les turnovers ne sont pas toujours instantanés et il peut y avoir une coexistence des deux systèmes en parallèle notamment si le nouveau déterminant suit un patron différent de celui déjà existant. Comme vu précédemment, le déterminisme du sexe du platy (Xiphophorus maculatus) et du crapaud d’Afrique de l’ouest Xenopus tropicalis dépend de trois chromosomes sexuels respectivement W, Y, et X, avec W>Y>X et Y, W et Z avec Y>W>Z (Schultheis et al., 2009; Roco et al., 2015).
Ces turnovers de chromosomes sexuels peuvent avoir lieu si le déplacement ou l’apparition de novo d’un nouveau déterminant est fixé par dérive, ou encore s’ils augmentent la valeur sélective des individus.
Enfin, comme illustré précédemment avec le chromosome B chez le cichlidé Metriaclima lombardii, un turnover non homologue de chromosomes sexuels peut avoir lieu si un élément génétique égoïste vient endosser le rôle de déterminant du sexe (Clark et al., 2017).

Les conditions favorisant un turnover de chromosomes sexuels

Pour commencer peut-être la situation la plus évidente : un nouveau déterminant du sexe peut être sélectionné s’il améliore la valeur sélective des individus.
Comme décrit chez les mammifères, les chromosomes sexuels peuvent parfois être fortement hétéromorphes. Les causes pour ces différences de tailles sont souvent associées à une perte de recombinaison entre les deux chromosomes sexuels (Wright et al., 2016; Furman et al., 2020; Tao et al., 2021). On peut par exemple aisément imaginer qu’une diminution de la recombinaison entre les chromosomes sexuels peut permettre l’accumulation de locus bénéfiques aux mâles sur un chromosome Y, améliorant la valeur sélective du sexe mâle. Dans le cas où il existe une sélection sexuelle forte et des conflits génétiques, la pression de sélection peut-être encore plus forte pour le maintien des mutations sexuellement antagonistes sur des chromosomes différents (X vs Y par exemple), et donc la diminution, voire l’arrêt de la recombinaison (Rice, 1987). Cependant, un arrêt de la recombinaison implique également un arrêt des balayages sélectifs dans ces régions chromosomiques, laissant la possibilité à des allèles faiblement délétères de s’accumuler sur le chromosome (Bachtrog, 2013). Ainsi, une translocation du déterminant du sexe sur une autre paire de chromosome, ou bien l’apparition d’un nouveau déterminant sur une paire de chromosome différente peut être sélectionnée si le Y devient particulièrement délétère chez les mâles (revue dans Tao et al., 2021). Ce processus peut être imaginé exactement à l’inverse pour un déterminisme de type ZZ/ZW. Cependant, comme nous l’avons déjà explicité précédemment, tous les chromosomes sexuels ne sont pas hétéromorphes et tous ne s’arrêtent pas systématiquement de recombiner. La dégénération du Y n’est donc pas le seul moteur de turnovers de chromosomes sexuels.
Si une mutation confère à un gène existant une nouvelle fonction, (Kamiya et al., 2012; Myosho et al., 2012) ou entraîne un changement de la régulation de la cascade du sexe (Herpin et al., 2010), ces locus peuvent prendre le rôle de déterminant majeur.
Les duplications de gènes sont également un fort promoteur de l’apparition de nouveaux déterminants du sexe car l’une des copies paralogues peut acquérir une nouvelle fonction et prendre la tête de la cascade du déterminisme du sexe, et cela d’autant plus si la duplication a eu lieu sur un gène faisant déjà partie de cette cascade (Mank & Avise, 2009; Ortega-Recalde et al., 2020).
La dérive peut aussi faire disparaitre un déterminant ou au contraire aider la fixation d’un déterminant qui ségrégerait par exemple en faible fréquence dans une population, particulièrement si celle-ci subit un goulot d’étranglement, comme cela peut être le cas lors de domestications (Wilson et al., 2014; Taslima et al., 2021).
Enfin, les éléments transposables ou les chromosomes B peuvent accélérer les turnovers de chromosomes sexuels non pas parce qu’ils sont sélectionnés pour rétablir des sex-ratios équilibrés, mais parce qu’ils agissent sous le modèle d’éléments égoïstes (Herpin et al., 2010; Clark and Kocher, 2019). En contrepartie, un élément égoïste qui entrainerait de la dérive méiotique pourrait promouvoir la sélection d’un déterminant génétique qui permette de compenser les biais de l’élément génétique égoïste (Cocquet et al., 2012).
Les possibilités pour expliquer les turnovers de chromosomes sexuels sont donc nombreuses et donnent une idée de la plasticité des systèmes de déterminisme du sexe (Furman et al., 2020; Tao et al., 2021).

Quand l’environnement rentre en jeu

Les mécanismes de déterminismes environnementaux du sexe sont retrouvés dans différents groupes taxonomiques (crocodiles, tortues, poissons…) mais les processus précis par lesquels ils agissent sont encore mal compris (Shen & Wang, 2018). Les changements environnementaux se traduisent par des modifications moléculaires qui peuvent impacter des voies métaboliques. Ces variations peuvent alors altérer l’expression des gènes de la différenciation du sexe. Les gènes intervenant dans les systèmes ESD sont donc certainement ceux qui s’expriment aux stades embryonnaires précoces où les gonades sont indifférenciées ou lorsqu’elles sont encore labiles. L’épigénétique, c’est à dire l’étude des mécanismes réversibles et héritables modifiant l’expression et/ou la fonction des gènes sans modifier la séquence ADN, est vue aujourd’hui comme l’une des clés pour comprendre les régulations d’expressions induites par les changements environnementaux. De récentes avancées en épigénétiques chez les reptiles et les poissons notamment permettent de mieux comprendre l’interaction entre l’environnement et la différenciation du sexe (Navarro-Martín et al., 2011; Shao et al., 2014; Deveson et al., 2017; Ge et al., 2018; Georges & Holleley, 2018; Weber et al., 2020).
Différents types de déterminismes environnementaux ont été observés dans la nature et parmi eux, le mieux décrit est certainement le déterminisme du sexe par la température (TSD). Ce type de déterminisme est retrouvé chez des espèces qui peuvent être sensibles aux conditions environnementales, et dans le cas de la température ce sont typiquement des espèces ectothermes. La température a un impact sur la différenciation du sexe pendant une période de temps définie (période thermosensible), durant laquelle les gonades sont encore labiles et indifférenciées. Les mécanismes de TSD sont répartis en trois classes chez les reptiles (Figure 1.5) (Valenzuela & Lance 2004). On qualifie de TSDIa, (ou patron mâle-femelle) les espèces pour lesquelles à basse température les individus se développent en mâles, et à hautes températures se développent en femelles. Il existe donc un seul seuil de température pivot. C’est le mécanisme de déterminisme retrouvé notamment chez la tortue à nez de cochon (Carettochelys insculpta) où l’incubation des œufs en deçà de 32°C donne lieu à la différenciation en mâles, et au-delà de 32°C donne lieu au développement des voies femelles (Georges, 1992; Young et al., 2004). Le TSD Ib (aussi appelé patron femelle-mâle) est similaire au TSD Ia en ce sens qu’il n’y a qu’une seule température pivot, mais cette fois les températures basses induisent la différenciation des femelles, alors que des températures élevées donnent lieu à la différenciation des mâles. Le Sphénodon ponctué (Sphenodon punctatus) présente ce type de déterminisme avec le développement majoritairement de mâles au-dessus de la température pivot de 22°C (Mitchell et al., 2006). Enfin, le troisième type est appelé TSD II ou encore patron femelle-mâle-femelle. Dans ce dernier cas, il existe deux températures pivots. Les individus soumis à des températures extrêmes (hautes et basses) se développent en femelles alors que les températures intermédiaires donnent lieu au développement de mâles. Cette situation est retrouvée par exemple chez l’alligator d’Amérique (Alligator mississippiensis) où 100% des œufs incubés entre 32,5 et 33,0°C se développent en mâles, alors que les femelles se développent au-dessous et au-dessus de ces températures pivots, avec 100% de femelles entre 29 et 31,5°C et au-delà de 34,5°C (Lang & Andrews, 1994). Le gecko léopard (Eublepharis macularius) possède une fourchette de température plus large qui conduit au développement des mâles (Viets et al., 1993). En effet, le développement des mâles prédomine aux températures intermédiaires de 31 à 33°C. Puis, entre 26 et 28°C et au-delà de 34°C, la différenciation du sexe aboutit à la formation de femelles (90 à 100% de femelles).

La mince frontière entre GSD et facteurs environnementaux

Facteurs génétiques et environnementaux ne sont cependant pas toujours exclusifs et la frontière entre GSD et ESD est parfois difficile à cerner, et ce particulièrement chez les poissons. Ainsi, certaines espèces présentent un déterminisme du sexe génétique, avec des chromosomes sexuels différenciés ou non, qui peut être altéré ou outrepassé par des effets environnementaux. C’est le cas par exemple des fortes températures chez de nombreuses espèces de poissons, comme entre-autres les Cichlidés, certains Carassins ou encore le Pejerrey (Ospina-Álvarez & Piferrer, 2008; Baroiller et al., 2009). En dehors de la température, d’autres facteurs environnementaux peuvent influencer la différenciation du sexe chez les poissons. La photopériode peut avoir un effet sur les sexe-ratios de certaines espèces (Brown et al., 2014) et une exposition continue à la lumière induit par exemple une masculinisation chez les femelles de Chirostoma estor (Corona-Herrera et al., 2018). La couleur de l’aquarium joue sur les sex-ratios chez le Cardeau de Floride (Paralichthys lethostigma) en augmentant la proportion de mâles lorsque les individus sont élevés dans des aquariums bleus, en comparaison d’aquariums noirs et gris (Mankiewicz et al., 2013). Les pH acides (5.5) entraînent également des sex-ratios biaisés vers les mâles chez le cichlidé africain Pelvicachromis pulcher (Reddon & Hurd, 2013). Enfin, une forte densité d’individus peut entraîner une augmentation du développement des mâles chez le poisson-zèbre (Danio rerio), chez différentes espèces d’anguilles (Anguilla), ainsi que chez le Pejerrey (Odontesthes bonariensis) – également thermosensibles – malgré la présence de locus sexuels (Geffroy and Bardonnet, 2016; Ribas et al., 2017; García-Cruz et al., 2020).
Même si les mécanismes précis par lesquels ces changements environnementaux impactent la différenciation du sexe restent flous, ces variations peuvent générer du stress. De fait, pour beaucoup d’espèces sensibles à l’environnement, des changements de conditions sont associées à une augmentation du cortisol (l’hormone du stress chez les vertébrés) (Fernandino et al., 2012; Geffroy & Bardonnet, 2016; Ribas et al., 2017; Goikoetxea et al., 2017). De fortes températures ou de grandes densités d’individus chez le Pejerrey sont associés à une augmentation des niveaux de cortisol qui favorise la production de testostérone, 11-Ketotestosterone (11-KT) qui sont des signes moléculaires de la masculinisation (Hattori et al., 2009 ; García-Cruz et al., 2020). Egalement d’une manière dose-dépendante, le cortisol induit la masculinisation des femelles chez le Paralichthys lethostigma chez qui des températures intermédiaires donnent des sex-ratios équilibrés, alors qu’un peu à l’image d’un TSD II inversée, les températures élevés et basses donnent des proportions plus importantes de mâles (Mankiewicz et al., 2013). Il en est de même chez le Paralichthys olivaceus qui possèdent un déterminisme de type XX/XY mais dont l’exposition des juvéniles à de fortes températures peut induire la masculinization des individus XX en lien avec une l’augmentation du niveau de cortisol dans les gonades (Yamaguchi et al., 2010). Chez certaines espèces, le cortisol semble donc être un élément clé pour comprendre le lien entre masculinisation et effets environnementaux (et particulièrement des fortes températures) au moins chez les téléostéens. Il est cependant important de noter que chez les reptiles à ESD, la voie métabolique du stress ne semble pas être systématiquement impactée par les fortes températures (Castelli et al., 2021). D’autres acteurs tels que la régulation cellulaire du calcium et de l’oxydo-réduction ou l’action de facteurs d’épissage pourraient être impliqués, et traduire un stress cellulaire (et non pas hormonal comme chez les poissons) (Castelli et al., 2020, 2021; Weber et al., 2020).
Dans ces derniers cas le déterminisme n’est pas de type TSD mais plutôt GSD influencé par des Effets Environnementaux (EE). La limite entre ces deux mécanismes est parfois floue, et une confusion existe dans la littérature sur ces dénominations. Certains auteurs ont donc suggérés des protocoles afin de déterminer si l’on est en présence d’un mécanisme GSD, ESD ou GSD + EE (Valenzuela et al., 2003; Ospina-Álvarez & Piferrer, 2008; Shen & Wang, 2018). Ainsi, sur un spectre des mécanismes de déterminismes du sexe, il y aurait à chacun des extrêmes GSD et ESD, et une multitude de possibilités intermédiaires de systèmes GSD sur lesquels les effets environnementaux ont plus ou moins d’impact (Figure 1.6).

Table des matières

Introduction générale : Déterminisme du sexe chez les vertébrés
I. Historique et mythes des chromosomes sexuels
II. Diversité des déterminismes du sexe
III. Des transitions entre systèmes qui ne sont pas rares
IV. Les téléostéens, champions de la diversité
V. Le Tilapia du Nil, un modèle de choix
Contexte et objectifs de la thèse
Contexte 5
Objectifs
Context and objectives of the thesis project
Context
Objectives
Chapitre 1 : Déterminisme génétique du sexe de deux populations naturelles 
Objectifs
Introduction et contexte
Matériels et méthodes
Principaux résultats et discussion
Conclusion
Publication associée
Analyses complémentaires
Chapitre 2 : Diversité et perte de l’haplotype Y ancestral en populations naturelles
Objectifs
Introduction et contexte
Matériels et méthodes
Principaux résultats et discussion
Conclusion
Publication associée
Le challenge de l’assemblage des chromosomes sexuels
The challenge of sex chromosome assembly
Chapitre 3 : Différenciation du sexe chez une population qui ne présente pas le chromosome Y ancestral
Objectifs
Introduction et contexte
Matériels et méthodes
Principaux résultats et discussion
Conclusion
Publication associée
Discussion générale et Perspectives
Un système ancestral qui garde des zones d’ombres
La variabilité au niveau intra-spécifique, un atout pour comprendre l’évolution des chromosomes sexuels
Identifier le système de déterminisme du sexe de Hora
Les limites de nos études
Conclusion 
Contributions scientifiques et enseignements

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *