Écoulement de mousse en milieu confiné inhomogène

Écoulement de mousse en milieu confiné inhomogène

Généralités sur les mousses 

Qu’est-ce qu’une mousse, à quoi ça sert ?

Les mousses liquides sont omniprésentes autour de nous. Nous les retrouvons ainsi régulièrement dans des produits que nous utilisons quotidiennement, que ce soit dans l’agroalimentaire (mousse au chocolat, mousse de bière), les cosmétiques (mousse à raser) ou les détergents (mousse de vaisselle), mais également dans la nature, comme l’écume de mer ou la couche protectrice dont s’entourent les larves de cicadelles. Cette omniprésence est entre autres due à la facilité de création d’une mousse liquide [1] : il s’agit simplement d’une dispersion de gaz dans un liquide, formant un assemblage de bulles. Vertex Bulle Film de savon Bord de Plateau Figure 1.1 – Photographie d’une mousse avec définition de ses constituants élémentaires. Le gaz constitue la plus grande partie du volume, tandis que le liquide forme une phase continue qui délimite les bulles de gaz par des films (entre deux bulles) et des jonctions appelées bords de Plateau (entre trois bulles), liées à leur sommet par des vertex (entre quatre bulles), tels que présentés sur la figure 1.1. Cette structure apporte aux mousses liquides des propriétés très intéressantes. Elles sont légères, opaques, isolantes (thermiquement [2] et acoustiquement [3, 4]), facilement malléables et ont une grande surface active dû à la multiplicité de leurs interfaces. Leurs applications sont multiples. On peut d’ailleurs regrouper ces fonctions en sept besoins distincts pour lesquels la mousse se révèle particulièrement efficace [5, 6] : 1. économiser du produit, 2. occuper rapidement de grands espaces, 3. isoler ou confiner, 4. piéger des substances, 5. amortir ou exercer des pressions, 6. donner un comportement élastique à un fluide, 7. donner un comportement de mousse à un solide. 7 On peut ainsi trouver des applications dans la sécurité, comme la lutte contre les incendies (points 2, 3) ou la prévention des accidents d’avions (points 2, 3, 5). La plupart des mousses solides, comme par exemple les mousses isolantes ou au chocolat, sont également obtenues à partir des mousses liquides, que ce soit par polymérisation ou solidification (point 7). Parmi les applications industrielles des mousses liquides, on compte notamment la décontamination nucléaire (points 1, 2, 3, 4, 6), la séparation de minerais ou l’extraction du pétrole (points 1, 4, 5, 6) [7, 8]. En particulier pour cette dernière application, l’injection de mousses dans un réservoir pourrait améliorer l’efficacité du processus de récupération, en supprimant les instabilités de digitations visqueuses et en étant moins sensible à la gravité et aux variations de perméabilité (inhomogénéités) du milieu [9, 10]. Les nombreuses études pour ce type d’applications se concentrent sur l’injection et l’écoulement de mousses en milieux poreux, à savoir des milieux hétérogènes avec des pores, des conduits ou des fractures sur une large gamme d’échelle comme dans les sols ou les roches [11, 12, 13]. Les milieux bidimensionnels inhomogènes sont des milieux poreux particuliers, modélisant généralement une fracture ouverte. Les mousses liquides sont aussi un très bon modèle pour les systèmes composés de cellules, qui ne sont pas des mousses mais y ressemblent : ces systèmes pavent l’espace (par exemple par des cellules de Kelvin [14]) ou le plan (en réseau hexagonal) de la même manière, en minimisant les surfaces. On pense aux nids d’abeilles, aux cellules biologiques (par exemple l’épiderme ou les facettes des yeux d’une mouche [15, 16]), aux émulsions (dispersions non miscibles d’un liquide dans un autre), ou encore à certaines structures cristallines (comme le carbone sous forme de graphite ou de graphène). La modélisation de ces milieux complexes par les mousses permet d’obtenir de nombreux résultats par analogie.

La structure d’une mousse

Nous nous intéresserons dans cette thèse plus particulièrement aux mousses de savon, modèle de mousse liquide classique par excellence, de par leur facilité de création, leur stabilité et leur adaptabilité. La plupart de ces mousses ont des bulles de l’ordre du centimètre ou du millimètre (échelle que nous considérerons ici car visible à l’œil nu) et une fraction liquide de l’ordre de 1%. Les bords de Plateau contenant la plus grande partie du liquide font alors 1/10e de millimètres environ, tandis que les surfactants à l’interface liquide/gaz forment une couche de quelques nanomètres d’épaisseur. C’est en partie grâce à cette diversité d’échelles que les mousses tirent leurs propriétés originales, comme beaucoup d’autres matériaux dits « mous » comme les émulsions, les solutions de polymères, gels, assemblées granulaires… Dans toute la suite (ou presque) nous allons étudier des mousses liquides sèches, c’està-dire que la quantité d’eau par unité de volume est très inférieure à celle du gaz. On quantifie cette notion par la fraction liquide volumique, ϕ = Vliquide/Vmousse. En général, on parle de mousse sèche pour une fraction liquide ϕ . 5%. La structure et l’équilibre mécanique des mousses sèches 3D sont régies par les lois de Plateau qui s’énoncent telles que [14] : 1. Équilibre des faces ; les films de savons sont lisses et de courbure moyenne constante, fixée par la loi de Laplace telle que : Pi − Pj = 2γHij , (∗) 2. Équilibre des arêtes (autre appellation des bords de Plateau) : les films se rencontrent toujours par trois aux arêtes et forment des angles de 120◦ . 3. Équilibre des vertex : les arêtes se rencontrent par quatre aux vertex de la mousse, en formant des angles de θa = arccos (−1/3) ≈ 109, 5 ◦ ≈ 1, 91 rad. Ces lois sont résumées sur le schéma de la figure 1.2. La première loi découle directement de la loi de Laplace, où 2γ est la tension de ligne d’un film avec γ la tension de surface (le facteur 2 dénote la présence de deux interfaces air/liquide de part et d’autre du film), séparant ici deux bulles i et j, de pression respective Pi et Pj . Le film, de surface Sij , a 8 Figure 1.2 – Intersection entre 4 bulles : il se forme 6 films, 4 arêtes, et 1 vertex orientés les uns par rapport aux autres avec des angles caractéristiques présents partout dans la mousse. [5] une courbure moyenne Hij telle que Hij =  1 R1,ij − 1 R2,ij  , avec R1,ij et R2,ij , les rayons de courbures principaux, comptés positivement si le centre de courbure est du côté i. Lorsqu’une mousse est confinée en une monocouche de bulles, les lois de Plateau se retranscrivent en 2D [5] : 1. les arêtes sont des arcs de cercle, 2. les vertex sont trivalents, 3. les angles aux vertex valent 120◦ , 4. les arêtes se raccordent à 90◦ aux parois solides, et l’équation (∗) se traduit en 2D par : Pi − Pj = 2γ bRij , avec b l’épaisseur de la mousse et Rij l’unique rayon de courbure. Pi − Pj étant constant, le rayon de courbure de l’arête aussi, formant un arc de cercle. Ces lois imposent alors aux bulles de former un réseau de polyèdres (en 3D) et de polygones hexagonaux en 2D. 

Les propriétés mécaniques fondamentales des mousses : un fluide viscoélastoplastique

Une mousse liquide est un fluide viscoélastoplastique [17, 18, 19, 20]. Les mousses présentent en effet trois types de comportements mécaniques : — visqueux : la mousse s’écoule comme un liquide ; le frottement entre bulles, au sein de la phase liquide, est la principale source de dissipation d’énergie, — élastique : la mousse peut subir une déformation réversible ; l’énergie mécanique est emmagasinée dans la mousse puis restituée lorsqu’elle reprend sa forme initiale, — plastique : au-delà d’un certain seuil, la déformation devient irréversible, l’énergie mécanique emmagasinée est alors dissipée lors de processus plastiques décrits ci-dessous et la mousse garde sa nouvelle forme lorsque la contrainte cesse d’être appliquée dessus. La mesure de ces propriétés se fait généralement par des expériences de rhéométrie de cisaillement. Dans de telles expériences, le plus souvent, une contrainte de cisaillement σ est appliquée à la mousse par un appareil appelé rhéomètre. La mousse répond en se 9 déformant de la quantité ε si cette dernière est faible, une loi linéaire de type loi de Hooke est généralement observée : σ = Gε, (1.1) où G est le module de cisaillement. Si un cisaillement oscillant en temps est appliqué, la réponse de la mousse n’est généralement pas en phase avec l’excitation. On définit alors un module G complexe, de partie réelle et imaginaire G0 et G00, caractérisant le comportement élastique (stockage d’énergie) et visqueux (dissipation d’énergie) de la mousse, respectivement (voir figure 1.3) [21]. Figure 1.3 – Module de cisaillement complexe G d’une mousse à raser en fonction de la fréquence d’excitation de la contrainte imposée. [21] Le comportement visqueux de la mousse s’oppose à la déformation de la mousse et au glissement relatif des bulles. La viscosité du liquide situé dans les bords de Plateau et les films est à l’origine de ce comportement dissipatif, mais la dissipation résultante de la mousse est également influencée, de manière complexe, par le transport des tensioactifs entre les interfaces et le liquide ainsi que par leur viscoélasticité interfaciale [22]. La dissipation des mousses est souvent étudiée en variant les tensio-actifs servant à créer les mousses [23]. On suppose dans cette thèse que nous travaillons avec des surfactants dits « mobiles » c’est-à-dire que les interfaces glissent les unes sur les autres de manière fluide, contrairement aux surfactants immobiles qui imposent des interfaces rigides et une condition de nonglissement à l’interface. Pour des mousses en écoulement quasi-statique, donc plutôt lent, la dissipation visqueuse peut en général être négligée devant l’énergie élastique, car on mesure G0  G00 dans les gammes de contraintes considérées, comme on peut le voir sur la figure 1.3 (sauf si la fréquence est tellement basse que des phénomènes de mûrissement rentrant en compte [24]). Le comportement élastique d’une mousse, caractérisé par G0 , concerne sa capacité à se déformer de manière réversible sous une faible contrainte σ. Les grandeurs physiques importantes sont alors les forces capillaires, pilotées par la tension de surface γ et la longueur caractéristique de la mousse ; ici c’est la taille d’une bulle d qui va jouer. Le module élastique étant une densité d’énergie, on attend, par analyse dimensionnelle : G 0 ∼ γ/d. 10 Cette loi d’échelle correspond plutôt bien à ce qui est trouvé expérimentalement. Pour une mousse 2D, on mesure plutôt l’aire de la bulle, on prend alors comme longueur caractéristique : d ‘ √ A. Pour des mousses de l’ordre du millimètre et γ ‘ 30 mN/m, on trouve en ordre de grandeur des valeurs de modules élastiques aux alentours de 30 Pa, ce qui est bien caractéristique de la « matière molle ». Pour comparaison, les matériaux durs du génie civil et de la mécanique des solides ont généralement un module de cisaillement de l’ordre de 1 à 100 GPa. Cependant, si l’on augmente la contrainte, la mousse ne peut pas se déformer infiniment de manière réversible. Au-delà d’une certaine contrainte (dite contrainte seuil) la mousse atteint un seuil de déformation (aussi appelé seuil d’écoulement ou de plasticité), noté Us. On dit alors qu’elle s’écoule ou plastifie, et les bulles glissent les unes par rapport aux autres. Cet écoulement est la superposition d’une série de réarrangements topologiques élémentaires irréversibles, aussi appelés événements plastiques ou T1. Ils correspondent à un changement de voisinage impliquant quatre bulles, tel que présenté sur la figure 1.4. Un T1 intervient lorsqu’un bord de Plateau diminue jusqu’à devenir un point, et l’on est face à un vertex à 4 côtés, comme sur l’image (b) de la figure 1.4. Cette configuration est instable et les bulles se réarrangent vers une nouvelle configuration stable, de plus faible énergie. L’énergie élastique stockée est ainsi dissipée par le processus, ce qui limite la possibilité d’emmagasiner de l’énergie élastique dans la mousse.

Table des matières

1 Introduction
1.1 Généralités sur les mousses
1.1.1 Qu’est-ce qu’une mousse, à quoi ça sert ?
1.1.2 La structure d’une mousse
1.1.3 Les propriétés mécaniques fondamentales des mousses : un fluide viscoélastoplastique
1.1.4 Friction mousse/paroi
1.2 Écoulement confiné autour d’un obstacle
1.2.1 Cas du fluide simple : écoulement potentiel
1.2.2 Écoulement d’une mousse autour d’un obstacle plein
1.2.3 Écoulement d’une mousse autour d’un obstacle perméable
1.3 Objectifs et plan de cette thèse
2 Matériels et méthodes
2.1 Dispositif expérimental
2.1.1 Soufflerie à mousse
2.1.2 Paramètres de contrôle expérimentaux
2.2 Analyse d’image
2.2.1 Binarisation et squelettisation
2.2.2 Obtention des champs de vitesse
2.2.3 Mesure de la déformation
2.2.4 Mesure et obtention des réarrangements plastiques
2.2.5 Mesure de fraction liquide
2.3 Artefacts du dispositif
2.3.1 Un problème en sortie
2.3.2 Déformations résiduelles d’entrée et de sortie
2.3.3 Interdépendance de certains paramètres
3 Rhéologie d’une mousse liquide : cas d’un obstacle partiel local
3.1 Champs de vitesse
3.1.1 Observations générales
3.1.2 Influence des paramètres de contrôle expérimentaux sur les profils de vitesse
3.2 Champs de déformation et d’orientation
3.2.1 Observations générales
3.2.2 Dépendance en fonction des paramètres
3.3 Lien vitesse-déformation des bulles
3.3.1 Autour de l’obstacle : zones privilégiées
3.3.2 Zones de charge et de relaxation
3.3.3 Évolution du coefficient linéaire α± 0
3.3.4 Dépendance des déformations limites en fonction de la fraction liquide
3.4 Champs de plasticité
3.4.1 Observations générales
3.4.2 Dépendances et comparaisons
3.5 Conclusion de l’étude sur les écoulements autour d’un obstacle partiel
4 Cas d’une expansion locale
4.1 Deux configurations d’une expansion locale : cas complémentaire ou opposé à une constriction
4.2 À écartement équivalent : le cas opposé
4.2.1 Étude des champs moyens de vitesse et de déformation
4.2.2 Étude des profils longitudinaux de la vitesse : un profil « symétrique »
4.3 À espacement des plaques équivalent : le cas complémentaire
4.3.1 Les profils de vitesse : deux sillages différents
4.3.2 Déformation et orientation des bulles en fonction du type de sillage
4.4 Discussion
4.4.1 Impact de la friction
4.4.2 Distorsion des bulles sous l’effet de la friction
5 Anisotropie et distorsion des bulles en écoulement confiné rapide
5.1 Expériences
5.1.1 Paramètres des expériences
5.1.2 Analyse d’image
5.2 Observations
5.2.1 Anisotropie des bulles
5.2.2 Courbures des films
5.3 Tentative d’explication théorique
5.3.1 Courbure des films
5.3.2 Énergie de la mousse
5.3.3 Critiques
6 Perméabilité du défaut
6.1 Observations et résultats expérimentaux
6.2 Proposition d’un modèle théorique simple
6.2.1 Lois de conservations
6.2.2 Lois de comportement
6.2.3 Cas limites
6.3 Discussions
7 Conclusion et ouverture sur l’écoulement des mousses liquides en milieu
confiné
7.1 Résumé
7.2 Perspectives
A Écoulement d’un fluide simple en milieu confiné inhomogène

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