En guise d’introduction : histoire des « science(s) » et des « techniques »

En guise d’introduction : histoire des « science(s) » et des « techniques »

La question au programme invite à penser sciences et techniques ensemble. Cette invitation, si elle semble aller de soi, est pourtant le résultat d’une réunion historiographique récente, et peut-être pas tout à fait actée. Histoire des sciences et histoire des techniques sont en vérité deux choses différentes, étudiant des objets différents, par un prisme différent, et avec des objectifs différents. L’Europe moderne de plus est un cadre géohistorique intéressant, parce que propice à la réunion de ces deux courants historiographiques. La question implique donc la définition conjointe des deux termes que sont les « sciences » et les « techniques », avec un rappel de leurs historiques propres, et des enjeux historiographiques qui y sont joints : c’est l’objet de cette introduction. Les sciences sont omniprésentes, contributrices majeures du « façonnement » du monde. Mais elles ne sont pas nées de l’époque contemporaine : elles sont le résultat d’une accumulation de connaissances depuis la préhistoire : on peut dire sans exagérer que l’origine des sciences remonte aux origines de la civilisation, et que leur développement est lié à celui des sociétés humaines (Belhoste 2016, p. 11). Mais tout cela nécessite d’abord de définir la notion de « science », souvent abordée de manière trop générale, et donc un peu faussée.

Étymologiquement, le mot « science » est emprunté au latin classique scientia, qui signifie littéralement connaissance. À l’époque classique, le terme latin s’enrichit du terme grec epistémè, pour signifier « savoir théorique ». À partir du XIIe siècle, le français reprend ces deux visions du mot au sens courant. La science désigne d’abord le savoir-faire que donnent des connaissances. Ensuite, la science désigne les connaissances étendues que l’on a acquises sur un objet d’étude précis (le « savoir »). Depuis le XIIIe siècle, avec une valeur proche du sens moderne, science désigne un ensemble de connaissances ayant un objet déterminé et une méthode propre. Les sciences, au pluriel, désignent alors l’ensemble des disciplines qui forment le savoir théorique. Cette valeur distinctive entre singulier et pluriel se précise avec l’apparition du mot « scientifique » au XIVe siècle. Avec la Renaissance, le terme prend une nouvelle ampleur. La « science » de la Renaissance oppose deux types de savoir. Premièrement, le droit, émanation de la pensée divine et régulatrice de la vie humaine. Deuxièmement, les mathématiques, qui manifestent elles aussi l’ordre du monde. Des penseurs comme Léonard de Vinci affirment alors que la science doit être fondée sur le raisonnement formel et sur l’observation de l’expérience contrôlée. Peu à peu le mot « science » se rapproche de la notion de rationalité : ce qui est scientifique peut être prouvé. Au XVIIe siècle, sous l’impulsion des pensées baconiennes et cartésiennes, la science prend encore davantage ce sens, laissant de côté la philosophie et la théologie, trop abstraites (Rey 2001, vol. 2, p. 2037-2038). Pour résumer, à l’époque moderne, « science » se dit de toute connaissance assez précise. Au fil du XVIIIe siècle surtout, cette connaissance se veut de plus en plus « exacte » : on entre dans le règne des sciences dures.

Doit-on aborder « la science » ou « les sciences » ? L’intitulé même de la question amène à se poser la question du pluriel. Ce sont les sciences qui doivent être au centre de la préparation. Dans la lettre de cadrage, la question n’est même pas posée, et le terme apparaît quasi systématiquement au pluriel. La science au singulier n’existe pas vraiment à l’époque moderne. Ce qui existe, c’est la notion générale, mais indéfinie, de science (epistémè en grec, scientia en latin), en tant que connaissance certaine. Existent aussi les sciences particulières, c’est-à-dire les domaines de savoir institués chacun autour de caractéristiques, d’objets, de règles et de traditions, comme l’astronomie, la physique, la théologie ou l’astrologie. La « science », au sens singulier et moderne, n’apparaît qu’au XIXe siècle (Belhoste 2016, p. 13-15). Avant, il faut entre le pluriel des sciences comme une liberté considérable.

C’est en fait historiographiquement qu’il est juste de parler de « science moderne ». Toutes les sciences du passé ont été entraînées dans un même mouvement historique, qui a conduit à l’émergence de la science contemporaine. La notion de « science moderne » désigne ce mouvement, processus historique réel et étudiable en l’état. Elle est caractérisée par l’émergence de nouvelles conceptions, voire de nouvelles représentations du monde et de l’homme (Belhoste 2016, p. 17). Les grandes découvertes, les réformes confessionnelles, l’invention de l’imprimerie sont autant de nouveautés qui apportent de nouvelles conditions et contribuent à des mutations sociales profondes. Elles enclenchent des transformations globales, qui touchent l’ensemble des sphères d’activités. Parallèlement, un processus important en cours est celui de la sécularisation des sociétés (qu’il ne faut pas confondre avec un fantasmé processus de perte de religiosité). Le processus de sécularisation désigne la perte du rôle central dans les sociétés monopolisé par le domaine religieux. La sécularisation, c’est peut- être plus le « christianisme sécularisé » que le « désenchantement du monde », deux notions apportées par Max Weber au début du XXe siècle. Ces processus, effectifs, ne doivent pas amener à penser une séparation totale entre savoirs scientifiques et croyances religieuses… La science moderne s’est développée dans un contexte religieux, et ce contexte lui a été globalement favorable : la religion était une motivation profonde pour certaines recherches, et un cadre suffisamment souple pour de nouveaux questionnements. Pour l’historien Amos Funkelstein, la science moderne, celle du XVIIe siècle, n’est rien d’autre qu’une théologie sécularisée (Funkelstein 1995). C’est donc entre émancipation et influences qu’il faut comprendre le lien entre sciences et religion à l’époque moderne (Belhoste 2016, p. 18).

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