Étude des conditions didactiques pour l’entrée dans la géométrie théorique

Étude des conditions didactiques pour l’entrée dans la géométrie théorique

 Point de vue institutionnel

Le point de vue institutionnel est celui par lequel nous avons abordé cette thèse en commençant par étudier rapidement les programmes scolaires en cours afin de dégager une double rupture d’ordre épistémologique entre les cycles 3 et 4. La négociation de cette rupture peut être source de difficultés chez les élèves comme l nous l’avons vu dans la section 1.2.4. Nous cherchons donc à prendre en compte le savoir mathématique et sa transposition didactique dans les différentes institutions (les cycles 3 et 4) pour mettre en lien des décalages entre les programmes scolaires ainsi qu’une faible prise en compte des ruptures d’ordre épistémologique avec les difficultés rencontrées par les élèves Pour étudier ces questions du point de vue institutionnel, nous nous situons principalement dans le cadre de la Théorie Anthropologique du Didactique (TAD), développée par Chevallard (1992, 1999), qui prolonge la théorie de la transposition didactique et aborde la question du passage des savoirs savants des mathématiciens aux savoirs à enseigner et enseignés dans les institutions. Dans la suite de cette section, nous présentons donc les différents outils de la TAD que nous utilisons dans notre travail de recherche. 

Objets, rapports, institutions, sujets et système didactique

La TAD repose sur trois termes « primitifs » : les objets, les personnes et les institutions (Chevallard, 1992, p. 86). En réalité, tout est objet, y compris les personnes et les institutions. On dit qu’un objet existe s’il est un « objet de connaissance », c’est-à-dire qu’il est connu par au moins une personne ou une institution, ce que Chevallard définit comme un rapport, personnel ou institutionnel, à cet objet. Une institution « peut être à peu près n’importe quoi » (Chevallard, 1992, p. 88) : une école particulière, l’« école », une classe, la « famille », le « cours », etc. À chaque institution, on peut associer un ensemble d’objets qui correspond à l’ensemble des objets avec lesquels l’institution entretient un rapport institutionnel. On appelle également ce rapport le rapport officiel. Mais dans toute institution, il existe également un temps institutionnel. L’ensemble des objets de l’institution dépend aussi de ce temps institutionnel : certains objets apparaissent et disparaissent au cours du temps. Chevallard reprend également des notions introduites par Brousseau dans la Théorie des Situations Didactiques (TSD) (Brousseau & Balacheff, 1998). Ainsi, le contrat didactique de la TSD devient ici le contrat institutionnel relatif à une institution à un temps donné. Il correspond à l’ensemble des objets et des rapports institutionnels à ces objets au temps donné. Le milieu de la TSD devient le milieu institutionnel relatif à une institution à un temps donné. Il s’agit d’un sous-ensemble composé des objets et des rapports institutionnels à ces objets qui apparaissent comme « allant de soi, transparents, non problématiques » aux sujets de l’institution à un temps donné (Chevallard, 1992, p. 89). Les sujets d’une institution sont des personnes dites « assujetties » à cette institution, nous nous intéresserons typiquement aux enseignants ou aux élèves pour l’institution collège. Pour le sujet entrant dans l’institution, les objets de l’institution vont « se mettre à vivre » sous « la contrainte du rapport institutionnel » (Chevallard, 1992, p. 89). Le sujet construit alors un rapport personnel à ces objets (ou le modifie s’il existait déjà), c’est ce qu’on peut appeler un apprentissage. Cette notion de rapport personnel aux objets de l’institution est très importante dans notre étude. En effet, à partir de celle-ci, Chevallard définit les « bons » et « mauvais » sujets d’une institution donnée (Chevallard, 1992, p. 90). Les bons sujets sont ceux qui entretiennent un rapport personnel aux objets de l’institution conforme au rapport institutionnel que l’institution entretient avec ces objets. Ainsi, globalement, les « bons sujets » du cycle 4 entretiennent un rapport personnel à la géométrie conforme à ce qui est attendu d’eux au collège, c’est-à-dire qu’ils travaillent dans la géométrie théorique. 

 La transposition didactique

Après avoir présenté la notion de rapport personnel des élèves d’une institution à un objet, nous nous demandons naturellement : comment ce rapport se construitil et évolue-t-il au cours des positions successives occupées par l’élève au sein de l’institution ? Pour cela, nous nous intéressons d’abord à la question des objets et donc, dans notre cas, à celle du savoir mathématique enseigné. Le savoir mathématique enseigné aux élèves n’est pas celui des chercheurs en mathématiques. Au contraire, « pour que l’enseignement de tel élément de savoir soit seulement possible, cet élément devra avoir subi certaines déformations, qui le rendront apte à être enseigné » (Chevallard, 1982, p. 3). Ainsi, le savoir mathématique découvert par les chercheurs, qu’on peut appeler le savoir savant, a subi beaucoup de modifications suite aux contraintes imposées par les différentes institutions par lesquelles il passe avant d’arriver dans les classes. Chevallard (1982) propose de les classer en trois catégories : le système d’enseignement (l’établissement qui gère la composition des classes, la répartition des enseignants, les emplois du temps, etc.), l’environnement ou la société (les parents, les mathématiciens, l’Éducation Nationale, etc.) et, entre les deux, la noosphère où se rencontrent représentants du système d’enseignement (présidents d’associations d’enseignants, enseignants militants, etc.) et représentants de la société (parents d’élèves, spécialistes de la discipline, etc.). La transformation du savoir à travers son passage dans ces différentes institutions est ce que Chevallard appelle la transposition didactique : « la transposition didactique a lieu quand des éléments du savoir passent dans le savoir enseigné » (Chevallard & Johsua, 1991, p. 22). L’objet de cette thèse n’est pas d’étudier le processus de transposition didactique des savoirs géométriques issus des géomètres. Aussi, nous nous contenterons d’une vision générale du phénomène (cf. image 2.1) : le savoir savant est transformé (« transposé didactiquement ») en savoir à enseigner dans les documents officiels du ministère de l’Éducation Nationale (les programmes scolaires, les documents d’accompagnement, etc.) et les manuels scolaires. Le savoir à enseigner est à son tour transformé en savoir enseigné par les enseignants dans les classes. Enfin, le savoir enseigné est transformé en savoir appris par les élèves.

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