Évolution des pratiques locales d’action internationale et adaptation du droit
L’Action Internationale menée par les Collectivités Territoriales dans sa forme actuelle, est issue des premiers jumelages franco-allemands qui les ont amenées dans les années 1950 à intervenir en Europe puis dans le monde alors qu’elles ne bénéficiaient pas d’autonomie décisionnelle dans un système encore centralisé. Ces jumelages ont constitué les premières formes de relations transnationales des collectivités territoriales, en participant d’un double mouvement de fondement de l’unité européenne et d’affirmation de l’autonomie communale78 . L’AICT s’est construite au fil du temps et des actions menées, pendant de nombreuses années, en l’absence de cadre légal et dans une certaine «clandestinité79 ». Les étapes de la sécurisation juridique de l’action internationale, pratique anciennement illégale devenue une compétence facultative, se sont très largement inscrites dans le processus français de décentralisation. Nous analyserons, dans cette partie, la manière dont les élus locaux ont peu à peu affirmé leur intention politique d’intervenir sur dans ce domaine spécifique d’action publique. Nous commencerons donc par un bref rappel des conditions de l’émergence des jumelages franco-allemands. Nous observerons ensuite l’élargissement géographique de ces jumelages, notamment en direction de l’Afrique, leur conférant un objectif de plus en plus « humanitaire ». Pour comprendre l’action internationale dans sa dimension de politique publique, il conviendra également de revenir sur les étapes successives de sa construction juridique, marquée par l’avènement des différentes lois de décentralisation. Enfin, il s’agira d’analyser les dynamiques spatiales de l’AICT et d’en comprendre les évolutions et les enjeux posés par celles-ci. 1- Genèse de l’action internationale des Villes : de la réconciliation à la coopération Il y a 50 ans, la signature du traité de l’Elysée du 22 janvier 1963 officialisait la réconciliation francoallemande après une seconde guerre mondiale qui dura 6 ans. Cet acte officiel de réconciliation avait pourtant été devancé par les 130 jumelages recensés la même année80 . Cinq ans après la guerre, le premier jumelage entre communes française et allemande a été impulsé par Lucien Tharradin, un ancien résistant, rescapé du camp de Buchenwald et Maire de Montbéliard (Doubs). Lucien Tharradin voyait dans le jumelage de sa commune avec celle de Ludwigsburg (Bade-Wurtemberg) un moyen d’apaisement entre les habitants des deux côtés du Rhin. Les échanges entre habitants (matchs sportifs, échanges culturels, etc.) ont succédé aux prudentes visites de délégations d’élus allemands en France et français en Allemagne. Dès 1950, les passerelles ont été jetées entre les deux communes et les deux pays. En nourrissant un discours de paix entre les peuples, les jumelages marquaient alors une volonté de créer une amitié franco-allemande nouvelle81 . Rapprocher les populations relevait en effet d’une stratégie pour le dépassement des traumatismes de l’histoire, d’où l’appellation de « jumelage-réconciliation ». L’ambition, face aux tensions franco-allemandes et au racisme latent observé jusque dans les cours d’école, était d’aller rencontrer « cet autre, que l’on ne connaissait pas82 ». A travers son analyse sur l’usage rhétorique de l’amitié en relations internationales, Yves Viltard évoque les jumelages comme le ciment de la réconciliation entre les États par l’amitié entre les peuples. Par ces engagements transnationaux, les élus locaux se positionnent face à une opinion publique « façonnée par les préjugés profondément ancrés dans leurs identités nationales83 ». Pour ce faire, ils impliquèrent une très large part des acteurs des territoires. Cette rencontre entre les populations prit alors tour à tour la forme de voyages de découverte, d’échanges éducatifs, culturels ou sportifs, organisés dans les deux pays. Hautement symbolique, cette nouvelle forme partenariale post-seconde guerre mondiale allait ouvrir la voie à l’histoire des jumelages franco-allemands mais aussi franco-américains et franco-canadiens entre des communes liées par l’histoire du débarquement allié. Ensuite élargis aux Villes espagnoles (notamment après la mort, en 1975, de Francisco Franco et la chute de la dictature en Espagne), les jumelages ont été présentés assez tôt par les élus locaux comme des outils de « construction de l’Europe », par le rapprochement de ses territoires. Cette dynamique a été impulsée et accompagnée par trois principales associations d’élus locaux regroupés selon différentes sensibilités politiques. L’Union Internationale des Maires pour la compréhension franco-allemande (qui a fortement stimulé le tout premier jumelage Montbéliard/Ludwigsburg), le Conseil des Communes d’Europe œuvrant à développer les échanges et les projets comme des points d’appui de la construction européenne et le Monde bilingue devenu ensuite la Fédération Mondiale des Villes Jumelées, dont le but était également de promouvoir les jumelages francobritanniques, franco-américains et les relations Est-Ouest84 . C’est dans ce même esprit de réconciliation suite aux indépendances africaines des années 1960, que des Villes françaises ont développé des jumelages avec d’anciens territoires colonisés, notamment en Afrique de l’Ouest. Le premier jumelage franco-africain, Marseille-Abidjan, date de 1958.
Des lois clés qui officialisent la décentralisation de la compétence internationale aux collectivités territoriales
Avant que les premières lois de décentralisation aient vu le jour en France, l’accord de coopération décentralisée Marseille-Alger formalisait, en 1980, le premier partenariat de coopération décentralisée. Cet accord, signé « en coup de force » par Gaston Deferre, alors Maire de Marseille, dans un contexte de débat national sur la décentralisation, repose sur une convention d’amitié et de collaboration avec le président de l’Assemblée Populaire Communale d’Alger88. Ce partenariat répond dès le départ d’un intérêt local affirmé au sens où il interagissait avec l’environnement local marseillais au sein duquel les franco-algériens, les immigrés et les pieds-noirs rapatriés d’Algérie représentaient déjà un segment important de la population locale. Dans le contexte politique de l’époque, fragilisé par la montée du chômage et d’un sentiment xénophobe, l’engagement à l’international s’inscrit dans une stratégie d’apaisement entre ces différentes communautés89 . Il s’agira dans cette partie de vérifier l’idée selon laquelle « la coopération décentralisée est le fruit d’une coproduction entre l’État et les collectivités territoriales90» et d’analyser la manière dont cette coproduction a été rendue possible dans le temps. Le cadre juridique de l’Action Internationale des Collectivités Territoriales a en effet été créé, puis renforcé au fil des différentes lois françaises de décentralisation afin d’encadrer rétroactivement une pratique locale « en avance sur le droit ». Nous reviendrons sur les quatre grandes étapes de ce cadrage juridique : les premières lois de décentralisation en 1982, la loi Administration Territoriale de la République en 1992, la loi OudinSantini en 2005 et la loi Thiollière en 2007. Nous verrons ensuite que cette question du cadre juridique reste d’actualité en 2013 puisqu’une loi va être soumise au Parlement et que l’action internationale pourrait en outre être impactée par l’Acte III de la décentralisation.