FRONTIÈRE COMME CONTENU FILMIQUE

FRONTIÈRE COMME CONTENU FILMIQUE

« Vers une définition de frontière »

La « représentation ou construction cinématographique1 de la frontière » entre le Mexique et les États-Unis, est un sujet abordé depuis les années 30 du siècle dernier. Des documentaires et des fictions n’ont pas manqué de filmer les particularités et « richesses » visuelles qui se déroulent autour de celle-ci ; sans oublier le drame de la migration clandestine ou du trafic de drogues qui ont fait de la frontière un espace, ou plutôt, un lieu de narration très attirant aux yeux des réalisateurs. La frontière de mes films d’étude n’est pas qu’une question diégétique, mais elle est aussi une donnée qui se développe dans plusieurs niveaux. Elle peut être traitée comme un aspect géographique manifesté visuellement, mais aussi comme une affaire imaginaire. En tant que question géographique, dans Los que se quedan et A better life, la frontière n’a jamais une représentation visuelle ou directe d’elle-même. Toutefois, elle existe. La frontière est absente du champ visuel, mais elle est présente dans les contenus et les histoires, comme j’essaierai de démontrer. Je crois que la construction de la frontière dans les films n’est pas uniquement visuelle (comme dans Norteado), mais qu’elle est aussi symbolique ou imaginaire (Los que se quedan ou A better life). C’est-à-dire qu’elle est dans un constant « mouvement » de représentation filmique.Que ce soit sous le genre dit documentaire ou sous la forme fictionnelle, j’ai repéré cinq types1 de cinéma qui abordent le thème de la frontière géographique en question. Je parle du « cinéma frontalier » (cine fronterizo), le « cinéma de frontière» (cine de frontera2), le « cinéma mexicain contemporain», le « cinéma chicano » et le « mainstream hollywoodien». À souligner que, d’une certaine manière, la géographie est liée aux genres cinématographiques. Au sens large, les films de recherche : Los que se quedan, Norteado et A better life peuvent appartenir à toutes ces catégories. Los que se quedan peut être considéré comme un film du cinéma mexicain contemporain, mais aussi comme un film de frontière ; tandis que Norteado serait un film du cinéma mexicain, mais aussi rattaché aux films frontaliers ; et puisque A better life est fait aux États Unis, il serait un film hollywoodien. Or, les trois films proviennent de réalisateurs distincts. Ils ont été réalisés dans des années et des genres différents. Ils sont toutefois liés par la même problématique : la frontière nord entre le Mexique et les États-Unis. Bien que leur point de vue et leur représentation soient divergents, ils finissent par réécrire3 ou construire la frontière d’une façon graduelle et complémentaire, parfois montrée ou présentée à travers l’image filmique et parfois cachée ou absente. Malgré le fait que les trois films partent de la géographie, ils représentent tous une frontière imaginaire ou métaphorique, dans des types de cinéma pas très clairs, qui vont du documentaire à la fiction et vice-versa. Le premier axe théorique tâchera de développer la notion de frontière, le but sera de préciser quelle est la frontière ou les frontières construites au sein des films de la recherche. Pour savoir s’il s’agit d’une frontière géographique ? D’une frontière rêvée ? Ou même, d’une frontière formelle ? Le but ne sera pas uniquement de comprendre la manière dont la frontière est représentée, mais de distinguer ses différents degrés et niveaux de développement. Le second axe sera consacré au rôle joué par la spatialité, au sein de la forme narrative, ou monde diégétique filmique ; c’est-à-dire la place donnée à l’espace dans la représentation de la frontière et du voyage migratoire. L’intention d’aborder le problème de l’espace au cinéma, est cerner le complexe rapport qu’ils entretiennent; sachant que le cinéma est simultanément un reproducteur (en transmettant une impression d’analogie avec l’espace réel) et un producteur (en générant un espace qui lui est spécifique). Plus loin, j’aborderai les différents aspects de l’espace véhiculés par le cinéma. Le but est de tenter une modélisation de la frontière à travers l’espace cinématographique de mon corpus de travail. Le troisième axe identifiera les problèmes de la construction de la frontière à travers le cadre filmique. Je tâcherai de développer la fonction qui exerce la complexité de ce cadre « constructeur », sa sélection, ses limitations physiques et visuelles, ainsi que ces enjeux à travers le champ et le hors-champ, au moment de la représentation et construction de la frontière. Ce cadre et ses enjeux seront aussi liés à un point de vue qui détermine, ou est déterminé, non pas seulement par l’emplacement physique du cadre de la caméra, mais aussi par un point de vue cognitif sur l’histoire et par le point de vue idéologique d’une époque donnée.

 La frontière nord du Mexique : Géographie et métaphore

« La frontière est une construction matérielle qui met de la distance dans la proximité », Christiane Arbaret-Schulz1 . L’ample notion de frontière évoque des imaginaires différents et parfois opposés. D’un point de vue philosophique, Gaston Bachelard dit qu’une frontière est une division, une limite entre l’espace extérieur et l’espace intérieur ou intime. George Perec parle davantage d’une frontière géographique et visible, mais aussi abstraite. D’autres théoriciens font allusion à des frontières matérielles versus métaphoriques. Cependant, que l’on aborde la question de la frontière de divers points de vue –géopolitiques, philosophiques, phénoménologiques, ou symboliques, parmi d’autres -, elle sera toujours une catégorisation spatiale ; prémisse que, par ailleurs, l’on trouve dès son sens étymologique. Frons, Frontis: L’aspect extérieur ou le front qui désigne l’objet qui est en face d’un autre objet. Autrement dit, la frontière est ce qui fait front2 . Cette définition fait appel à un aspect nettement matériel, disons à l’espace géographique ou hylétique3 d’une frontière. La frontière fait le point de départ de cette investigation. Il convient d’évoquer l’idée dont Debray dit que: « La carte est une projection de l’esprit avant d’être une image de la Terre. La frontière est d’abord une affaire intellectuelle et morale4. » Si je parle du côté géographique de la frontière entre le Mexique et les ÉtatsUnis, il est nécessaire de faire un bref parcours chronologique de sa création afin de mettre en contexte cette thèse. Toutefois, il faut rappeler que le but de cette recherche n’est pas celui de saisir la réalité historique de sa construction, mais de l’interpréter dans ses représentations filmiques. 

Question historique

La genèse de la frontière géographique La frontière entre le Mexique et les États-Unis est apparue il y a environ 170 ans, après une dizaine d’années de guerres. Elle commence comme une question intérieure, intellectuelle et morale, c’est-à-dire comme l’idée étasunienne d’expansion capitaliste qui, au fur et à mesure, est devenue une frontière extérieure et matérielle, affichée sur la carte et construite dans le territoire ; simultanément elle est une frontière intérieure ou abstraite, comme on y reviendra. Son origine commence au XIXe siècle, lors des luttes d’indépendance et de la conscience identitaire des peuples colonisés, au cours de la consolidation de l’État-Nation que se mettait en place. Postérieurement, le mécontentement et le désir d’indépendance du Texas, État du nord-est, lui ont permis d’obtenir la sécession en 1836. Par ailleurs, les États-Unis voient dans cet État un prolongement naturel de leurs terres, de leurs richesses et de l’esclavage. En 1845 le Texas adhère à l’Union Américaine1 . Comme lieu mobile ou limite incertaine entre les deux territoires et systèmes, la frontière commence par changer et bouger en faveur des États-Unis, mais non sans divergences. Suite à son rattachement aux États-Unis, le Texas veut établir ses nouvelles limites aux abords du Río Grande et non, comme le souhaite le gouvernement mexicain, aux bords de la rivière Nueces, situé au nord-est du Río Grande2. Désaccord frontalier qui en 1846 déclenche la guerre entre les deux pays. Le rapport de force est disproportionné. En 1847, pendant la guerre, la découverte des mines à Sacramento, contribue à l’annexion de Californie par les États-Unis. Le Mexique est envahi en septembre de la même année (1847). Les Étasuniens arrivent jusqu’à Mexico, où ils résident neuf mois. Le gouvernement mexicain est contraint d’abandonner la capitale pour s’installer à Querétaro.Le 10 mars 1848, les deux nations signent le traité de Guadalupe-Hidalgo1 pour mettre fin à la guerre étasunienne-mexicaine. Avec cet accord, les États-Unis, en tant que pays vainqueur, fixèrent leur souveraineté, en s’appuyant sur le concept de frontière naturelle. Il y est spécifié que le Mexique perd plus d’un million de km2 (trois, en incluant le Texas) dont la Haute Californie, le Nouveau Mexique, une grande partie de Nevada, de l’Utah, du Colorado, presque tout l’Arizona et le quart du Wyoming2 . On constate, comme on l’avait déjà évoqué, qu’avant d’être extérieure, matérielle ou concrète, la nouvelle frontière entre les deux pays est abstraite et envisagée par les Étasuniens qui suivent la Doctrine de Monroe3. En el año de 1857, el presidente norteamericano Jacob Buchanan, pronunció lo que se convertiría en el Destino Manifiesto: “Está en el destino manifiesto de nuestra raza extenderse por todo el continente de la América del Norte; esto succèdera antes de mucha tempo si se espera que los acontecimientos sigan su curso natural4 .” Conception expansionniste qui promeut, entre autres choses, la conquête du lointain Ouest, ainsi que celle du Sud, vers le Río Grande. À cet effet, le théoricien George Perec dit qu’une frontière est une fiction, une construction discursive sur le continuum d’un territoire. Régis Debray ajoute : « elle est la projection de l’esprit5 », ce qui assure, avant même sa construction (matérielle ou concrète dans un espace quelconque), que cette frontière, comme n’importe quelle autre, est d’abord imaginée. Suivant la prémisse de Debray, l’exemple historique de cette frontière montre comment elle a été désignée et préconçue bien avant sa mise en place. Une fois concrétisée et matérialisée, le côté étasunien affirme son discours de vainqueur, comme écrit Frederick Jackson Turner dans son fameux The Frontier in American Story :Nous remarquerons que la frontière favorise la formation d’une nationalité américaine composite […]. La progression de la frontière nous rendit plus indépendants1 . La logique de la politique étasunienne a étendu ses frontières au détriment du Mexique. Le gouvernement des États-Unis n’a fait que projeter les limites d’une pensée ou esprit capitaliste vers une carte désignée dans le traité GuadalupeHidalgo. Cependant, depuis son origine, en tant que limite ou zone frontalière, la traversée de cette frontière a évolué. Comme le dit Jorge Rebolledo : Entre 1848 y, casi, hasta 1910, la frontera definía ciudadanías, pero no constreñía la movilidad de mercancías y personas […]. Si bien existían leyes que regulaban el flujo migratorio, la atención se concentraba en las corrientes provenientes de Europa y, por ello, la frontera sur resultaba un punto de tránsito más o menos libre para las personas […]. En 1891, la legislación consideraba a la inmigración proveniente de México como un asunto económico-laboral y no uno que requiriese la aplicación de la ley. […] El mismo Presidente de los Estados Unidos declararía que dicha frontera estaría cerrada para todos excepto a aquellos ciudadanos y residentes de buena fe de México2 . Mais les rapports entre les deux pays ont changé lors du XX e siècle. Les changements les plus flagrants ont eu lieu dans les années 90. La frontière n’a pas arrêté d’évoluer pour se rendre plus matérielle et concrète que jamais. De forma casi simultánea a la entrada en vigor del TLCAN (1o de enero de 1994), el gobierno de Estados Unidos implementó, en el sector Tijuana-San Diego, la operación Guardián (Gatekeeper). La estrategia consistió en la construcción de un doble muro de más de 30 kilómetros a lo largo de dicho punto para evitar los cruces indocumentados que, en aquel entonces, representaban la mitad de los mismos. En ese mismo espacio se ubicó a casi 2,500 agentes de la patrulla fronteriza equipada con tecnología capaz de detectar, perseguir y detener a los inmigrantes indocumentados.

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