Gestion participative et développement durable des pêcheries

Gestion participative et développement durable des pêcheries

Évolution des pratiques au Sénégal

La pêche maritime artisanale au Sénégal a connu au cours de ces dernières années une forte évolution. Selon certains pêcheurs rencontrés, le niveau actuel des captures est le résultat de l’association entre l’expertise des pêcheurs artisans et les nouvelles méthodes de pêche relativement spécialisées. Des engins de pêche tels que la senne tournante, le filet dormant en nylon, la palangre et les engins mixtes plus efficaces dans la capture des poissons sont aujourd’hui utilisés par les pêcheurs artisans. Trois communautés se distinguent particulièrement : les Wolof de Guet Ndar (Saint Louis), les Lebous du Cap-Vert et de la Petite Côte, et les Sérères Nyominka des îles du Saloum. L’ancêtre de la pirogue sénégalaise remonterait au XVIe siècle. Elle était constituée au départ d’un simple tronc évidé, propulsé à la pagaie. Vers le début du XVIIe siècle, on assiste à l’apparition de la voile. Les éperons faisaient office de brise-lames et les bordées sont rajoutées au cours du XVIIIe siècle. Enfin, le moteur hors-bord est apparu vers 1950 (Samudra, 1989). Les appellations des unités de pêche artisanale peuvent différer selon l’ethnie et le milieu (mer, fleuve et estuaire). Les engins de pêche sont en perpétuelle mutation. Les pêcheurs artisans font appel à des pirogues traditionnelles qui sont extrêmement diversifiées, à partir d’un modèle de base unique (pirogue guet Ndarienne de Saint Louis). La taille de la pirogue, sa capacité, sa forme et la nature des matériaux employés, la hauteur des bordés, le nombre de planches juxtaposées pour les constituer, l’emplacement du 73 moteur,…sont autant de facteurs variables, relevant non pas du hasard, mais bien de critères précis : ➢ Engins de pêche utilisés et espèces recherchées, ➢ Type de navigation (estuaire, mer calme ou franchissement de barres importantes), ➢ Distance des lieux de pêche et du temps de navigation, ➢ Ethnie du propriétaire. Les espèces capturées sont généralement déposées dans la pirogue sans précaution particulière, le poisson étant entassé dans la partie médiane de l’embarcation sans dispositif de conservation appropriée. Cet état de fait s’explique en partie par la durée courte des temps de route (en moyenne 2 heures) et de pêche (supérieur ou égal à 4 heures). L’état du poisson capturé et conservé à bord des pirogues reste lié à la nature des engins de pêche utilisés. Les espèces destinées à l’exportation sont conservées sous glace depuis la mer et dans des caisses. Devant la multitude d’engins et de méthodes de pêche, une nomenclature semble être adoptée par les services publics travaillant dans la recherche et/ou les statistiques de la pêche (la DPM et le CRODT). Ainsi, pour la pêche artisanale, six catégories de mode de pêche réglementaires sont généralement identifiées : Les lignes et palangrottes: elles sont tenues à la main sur des pirogues motorisées, à voile ou à rame. Leurs caractéristiques (longueurs et hameçons) dépendent de l’espèce recherchée et de la profondeur des fonds rocheux. Dans cette catégorie, on peut ranger la ligne normale, la ligne à traîne, la palangre et turlutte à bord de pirogues motorisées. Le filet dormant (FD): il concerne le filet dormant général, le trémail, le filet maillant dérivant de surface à ethmalose, le filet maillant dérivant de surface à mulet, le filet maillant dérivant de fond à trachinote, le filet dormant à langouste, le filet dormant à cymbium. Ce sont des engins passifs dans lesquels viennent se piéger les poissons et les crustacés entre autres. Le filet dormant est une preuve de la spécialisation de la pêche artisanale. Mais il est aujourd’hui très contesté à cause de la matière de confection (monofilament) et de la stratégie même de la pêche qui est jugée par certains très destructive de l’habitat marin. Par contre, d’autres pêcheurs rejettent cette affirmation. 74 La pirogue glacière à ligne (PGL): il s’agit des pirogues motorisées de marée avec des lignes. Cette technique est développée par les pêcheurs pour effectuer des sorties d’une à deux semaines en mer et pour atteindre des lieux de pêche éloignés moins exploités. Malheureusement, avec la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM), il leur faut acheter une licence pour accéder à ces eaux sous juridiction des pays étrangers. La senne tournante (ST):Le principe de la senne tournante consiste à encercler un banc de poissons directement repéré en mer. L’opération de pêche consiste à : -larguer une bouée amarrée au filet, -encercler le banc en décrivant une manœuvre tournante pour aller rejoindre la bouée, -fermer le fond du filet en virant au plus vite la ralingue basse de la senne, -réduire le filet en l’embarquant par la ralingue haute et la nappe, -former une « poche » et embarquer les captures. C’est un engin très performant qui cible les poissons pélagiques comme les sardinelles, les chinchards, les maquereaux, les grandes caranges, etc. L’utilisation de cet engin nécessite l’emploi de deux pirogues dont les tailles sont passées de 14 à 20 m au cours de ces vingt dernières années. Elle est constituée de deux pirogues, l’une porteuse du filet de pêche et contenant l’équipage et l’autre servant à stocker les captures. A Mbour, comme partout sur la Petite Côte, cet engin exerce une forte pression sur les ressources cibles car ayant une grande capacité de captures. Elle capture aussi les juvéniles. Le filet maillant encerclant (FME):il mesure de 250 à 450 m de longueur avec une chute allant de 7 à 12 m (mailles étirées) et va de 60 mm (petites mailles à sardinelles) à 80 mm (grandes mailles à ethmaloses), d’ouverture de maille étirée. Il est utilisé avec des pirogues de 12 à 15 m équipées de moteur hors-bord de 40 chevaux vapeurs (PNUE, 2004). La senne de plage (SP): Sa mise en œuvre consiste à piéger les poissons par encerclement et à diminuer le filet jusqu’à former une poche. Cette technique de pêche se pratique au moment de la renverse du courant du flot vers le jusant

De la politique volontariste de l’Etat à la responsabilisation progressive des acteurs

Aperçu sur la politique coloniale des pêches Le Sénégal a initié diverses politiques de pêche depuis l’époque coloniale, notamment avec la motorisation des pirogues et la mise en place de coopératives de pêcheurs indigènes sous l’administration coloniale, dès 1950. Les débarquements de ces pirogues motorisées ont permis aux pêcheurs artisans (nationaux) d’intégrer les circuits de commercialisation du poisson frais qui était sous le contrôle des structures administratives chargées du mareyage des débarquements de la pêche chalutière (étrangère). Cette situation a été favorisée par les difficultés de l’administration coloniale à mobiliser les ressources financières nécessaires pour l’aménagement portuaire de la pêche industrielle. Pour soutenir la pêche industrielle, le crédit mutuel maritime, qui ne finançait que la pêche métropolitaine, a appuyé la création de cinq industries des produits de la pêche au Sénégal entre 1959 et 1960, avec une conserverie à Dakar. Ce qui a contribué à la baisse d’efficacité des coopératives de pêcheurs indigènes, tout en renforçant les coopératives maritimes métropolitaines. Ces dernières vont se doter, dès juin 1959, d’un cadre de lutte pour l’organisation et la défense de leurs intérêts commerciaux et professionnels avec l’union « des pêcheurs de France ».Cette collusion d’intérêt des différentes parties (services 76 techniques, colons industriels et pêcheurs) aboutit à la solidarité des pêcheurs artisans pour défendre la production et la préservation des ressources halieutiques face notamment aux chalutiers colons. Le développement de la conserverie et de la congélation des produits destinés à l’exportation sur le marché intérieur fragilise les entreprises artisanales avec leur méthode indigène qui n’approvisionne que modestement le marché ouest africain de l’Afrique occidentale française (AOF). Ce qui a été à l’origine de l’amorce de la phase de reconversion économique, avec l’exclusion progressive du circuit d’exportation des pêcheurs et des artisans nationaux suite à la naissance d’entreprises de pêche (propriété des colons) ayant conduit à la disparition des ateliers de traitement de requin des nationaux. La pêche, en tant que composante endogène d’une économie nationale à dominance agraire, est alors complètement désarticulée. C’est sur l’accession à l’indépendance que les acteurs de la pêche artisanale fondent leur espoir pour un changement de la politique de pêche pour que les autorités publiques accordent une plus grande importance à ce sous-secteur compte tenu de sa fonction économique et sociale ainsi que de sa contribution à la sécurité alimentaire. Ce qui a motivé l’organisation, à Saint Louis en 1955, de la conférence économique sur la pêche maritime (du 12 au 15 avril) pour trouver les moyens devant sortir la pêche artisanale de sa crise. Mais force est de reconnaître que cette crise persiste actuellement, sous d’autres formes, avec l’augmentation de l’effort de pêche, qui est à l’origine de la surexploitation des ressources halieutiques, conjuguées aux impacts des changements climatiques et aux difficultés d’accès au marché. 2. Évolution des politiques de pêche depuis l’indépendance L’analyse des objectifs de l’Etat du Sénégal relatifs à la pêche maritime entre 1960 et 1990, montre un État économicus n’intégrant pas le caractère épuisable des ressources halieutiques. En effet, l’accès à la ressource pour la pêche artisanale est libre et gratuit, le carburant utilisé par les pirogues est subventionné, les entreprises d’exportations des ressources halieutiques bénéficient d’une suppression de taxes, la signature des licences de pêche a augmenté, entre autres. Cette politique de l’Etat du Sénégal a été désastreuse pour les ressources halieutiques et l’environnement marin au Sénégal. Les évaluations des ressources faites au début des années 90 montrent une surexploitation des espèces démersales côtières exclusivement 77 destinées à l’exportation (DPM), une surcapacité de pêche (près de 9000 unités de pêche artisanale actives dont 6000 motorisées), une destruction des fonds marins (intrusion des chalutiers étrangers et nationaux dans la zone côtière). Durant cette période, il n’y a pas eu de lettre de politique sectorielle pour mettre en cohérence les différentes actions et les objectifs de l’Etat du Sénégal en matière de pêche. L’approche projets/ programmes a été utilisée pour atteindre les objectifs du secteur de la pêche prévus dans les plans quinquennaux de développement économique et social, devenus des plans d’orientation stratégique pour le développement économique et social (PODES). C’est seulement à partir du huitième plan que la dimension environnementale (environnement marin) entre dans les préoccupations de l’Etat en matière de pêche suite aux directives du conseil interministériel sur la pêche maritime du 14 février 1991. Ainsi, de 1991 à maintenant, l’objectif de la politique des pêches au Sénégal va passer de l’augmentation de la productivité à la gestion des ressources halieutiques. A cet effet, l’enjeu est de limiter l’expansion de ce secteur et le nombre de ses acteurs tout en sachant que la pêche joue un rôle important sur le plan socio-économique et qu’il existe peu d’alternatives de diversification des moyens d’existences compte tenu des difficultés que connaissent les autres filières de production ( REPAO,2011). La mise en œuvre de cette nouvelle orientation des politiques de pêche passe par la promotion de la cogestion. Les politiques de pêche affirmées portent essentiellement d’une part sur des documents de la FAO (code de conduite pour une pêche responsable, principe de précaution et approche écosystémique) et d’autre part sur l’implication des professionnels de la pêche (DPM). C’est ainsi que le code de la pêche maritime a été modifié en 1998 et la lettre de politique sectorielle pêche fut élaborée en 2000. Cela est reconduit avec le code de la pêche de 2015. L’Etat du Sénégal a mis en œuvre dès l’indépendance des politiques volontaristes de développement de la pêche artisanale et industrielle. Ces politiques ont pour objectifs de permettre au secteur de la pêche, de contribuer efficacement à l’économie sénégalaise en jouant pleinement son rôle social (création d’emplois), économique (génération de devises par les exportations des produits halieutiques) et de sécurité alimentaire (alimentation des populations). Mais, cet engagement de l’Etat a connu un ralentissement du fait des politiques d’ajustement structurel, dont les conséquences furent la raréfaction des appuis directs en financement public et le renchérissement des coûts de production dus à la dévaluation du franc CFA intervenue en 1994. 78 En outre, la forte demande nationale et internationale des produits halieutiques qui s’en sont suivis et l’absence de politiques cohérentes de gestion durable de la pêche ont entrainé la surexploitation des ressources halieutiques.

Plans quinquennaux de développement économique et social

Dès son accession à la souveraineté internationale, l’Etat Sénégalais a choisi la planification comme cadre de définition et outil de mise en œuvre de sa politique économique et sociale. A cet effet, il y a eu entre les années 60 et 90 des plans quinquennaux de développement économique et social puis les plans d’orientation stratégique pour le développement économique et social. Le premier plan (1960-1964) était axé sur le développement des collectivités à la base, une stratégie conciliant l’utilisation efficiente des ressources avec le niveau d’évolution social, pour amorcer le « décollage économique ». Les coopératives constituaient l’instrument de promotion économique et de progrès social des acteurs de la pêche en général, et de la pêche artisanale en particulier. La structuration de l’économie halieutique traditionnelle aboutit à la création du comptoir d’exportation du poisson sec en 1964, la transformation artisanale avec la collecte et la centralisation des productions locales, dont l’écoulement des produits transformés sur les marchés régionaux et extérieurs se faisait par l’entremise dudit comptoir. Le deuxième plan (1965-1969) fut marqué par le développement de la pêche industrielle, notamment l’armement national de la pêche, avec la mise en service de la SOSAP (Société Sénégalaise d’Armement à la Pêche) en 1965. Ce plan était marqué aussi par l’amélioration de la production, pour juguler la hausse du prix au consommateur de poisson frais, et réguler le cours des produits halieutiques sur le marché national. Cette opération fut dénommée « Dakar marée », et devait se prolonger par l’aménagement des magasins pilotes dans les centres urbains, notamment dans la région de Dakar où il y a une forte consommation. L’opération a permis l’organisation du marché du poisson frais, mais s’est heurtée ensuite à la résistance du pool des mareyeurs qui pratiquaient un véritable dumping. Le troisième plan (1969 – 1974) était axé autour de la réorganisation des coopératives de pêche en 1970 et de la création des industries de pêche à capitaux privés en 1971. La réorganisation des coopératives de pêche en 1970 fut salutaire suite à la faillite de ces organisations qui équipaient les pêcheurs artisans en moteurs et engins de pêche, grâce à une caution solidaire auprès de la Banque Nationale de Développement du Sénégal (BNDS) et qui 79 échappaient au contrôle de la Direction de l’Océanographie et de la Pêche Maritime (DOPM). Les comptes de ces coopératives faisaient l’objet de malversations, et les pêcheurs ne se pliaient pas aux conditions de remboursements échelonnés ; en outre, les pêcheurs refusaient tout simplement de rembourser leurs crédits auprès de la BNDS, lorsque les moteurs tombaient en panne. L’Etat prit à son actif l’apurement des dettes litigieuses et s’engagea dans la réforme des coopératives, en confia la gestion de ces dernières à la DOPM. Les coopératives de pêche sont alors structurées autour de la Coopérative Primaire d’Avitaillement (CPA) et de l’Union. La CPA est réservée uniquement aux pêcheurs professionnels, et se charge d’obtenir individuellement pour ses adhérents l’équipement, la caution solidaire étant écartée. L’Union est l’émanation de la réunion des cellules de base; elle a pour vocation de commercialiser les engins de la pêche, mais non la production de ses membres. Elle agit comme un entrepreneur privé, qui n’assure pas la fonction de production et de commercialisation de produits et dont la finalité s’arrête à la fourniture d’équipements. La création en 1971 des entreprises à capitaux publics étrangers et privés nationaux pour conquérir les marchés étrangers, suite à l’échec du projet de formation des jeunes pêcheurs aptes à travailler dans les navires modernes et le perfectionnement de l’artisanat de la pêche, ainsi qu’à la faillite de la société publique d’armement de pêche, la SOSAP, a conduit à sa liquidation en 1975. C’est ainsi que l’Etat a opté dès 1971, pour une politique d’incitation à l’initiative privée et de désétatisation des sociétés publiques, avec la création des entreprises à capitaux publics étrangers et privés sénégalais telles que Gulf Fisheries (participation koweitienne), SOPESINE (participation ivoirienne) et SOCAP. A cet effet, l’Etat du Sénégal a décidé de se désengager de la gestion directe ou indirecte des armements de pêche industrielle, pour se limiter strictement à une politique d’aide à l’investissement qui peut aller jusqu’au financement direct par le secteur public, mais en vue d’une rétrocession immédiate à des nationaux des équipements acquis par l’Etat.

Table des matières

Introduction générale
PREMIERE PARTIE :DIAGNOSTIC DU SECTEUR DE LA PËCHE AU SENEGAL
Chapitre1 : Caractéristiques physiques, économiques et environnementales du Sénégal
Chapitre 2 : Cadre institutionnel de l’aménagement des pêcheries au Sénégal
Chapitre 3 :Évolution des pratiques et politiques de pêche au Sénégal
DEUXIEME PARTIE : ETUDE DES CLPA DU DEPARTEMENT DE MBOUR
Chapitre 1 : Présentation générale des CLPA
Chapitre 2 : Les CLPA du département de Mbour
Chapitre 3 : Description des activités, Appréciation des modalités de mise en œuvre des différentes
initiatives et espèces gérées par les CLPA du département de Mbour
TROISIEME PARTIE : EVALUATION DE LA CONTRIBUTION DES CLPA DANS LEDEVELOPPEMENT
DURABLE DES PËCHERIES DANS LE DEPARTEMENT DE MBOUR
Chapitre 1 : Aperçu sur le sous secteur de la pêche artisanale dans le département de Mbour
Chapitre 2 :Diagnostic des approches de gestion des CLPA du Département de Mbour
Chapitre 3 : Les problèmes des CLPA du département de Mbour et la perception des acteurs
Conclusion générale

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