La modification du Code de droit économique

Les relations entre entreprises ne sont pas immunisées contre les déséquilibres. Le droit européen n’offre cependant pas toujours de réponse à cette problématique et les instruments jusqu’alors mis à disposition par notre droit national se sont souvent avérés inefficaces . Suivant l’exemple de plusieurs États membres, le législateur belge a récemment pris l’initiative de réglementer, dans une certaine mesure, les relations B2B.

Une modification du droit national était attendue et, à notre sens, nécessaire. En effet, les pratiques de certaines entreprises à l’égard de leurs partenaires professionnels sont parfois imprégnées d’injustices et peuvent porter atteinte à la concurrence sur le marché.

Les modifications apportées au Code de droit économique se scindent en deux volets. La règlementation nouvelle est, d’une part, dédiée aux pratiques restrictives de concurrence ; elle se borne à assurer une concurrence libre et effective sur le marché en érigeant l’abus de dépendance économique en infraction de la concurrence. D’autre part, une protection accrue est accordée aux opérateurs économiques à travers l’interdiction des clauses abusives dans les contrats conclus entre entreprises et le renforcement du contrôle des pratiques de marché déloyales dans les rapports B2B.

Inefficacité des instruments antérieurs

Les règles de concurrence

Certaines pratiques émanant d’opérateurs économiques privés sont de nature à inhiber la libre concurrence et à l’empêcher de produire les effets bénéfiques que la science économique lui attache . Les articles IV.2 du Code de droit économique et 102 du TFUE (en cas d’affectation du commerce entre États membres), sont voués à lutter contre les pratiques unilatérales des entreprises portant atteinte à une concurrence libre et effective sur le marché. Ces dispositions interdisent à une entreprise d’abuser de sa position dominante sur le marché belge concerné ou sur une partie substantielle de celui-ci. La détermination de la position dominante est, en toute logique, un préliminaire essentiel à la constatation d’un abus. Cette notion est définie de manière horizontale en ce qu’elle implique d’établir que l’opérateur économique en cause est en mesure d’agir indépendamment de ses concurrents, de ses fournisseurs, de ses clients et des consommateurs . L’importance de la part de marché détenue par l’entreprise concernée est un indice significatif .

Dans ce cadre, la situation de dépendance économique doit être appréhendée comme une conséquence de la position dominante d’une entreprise à l’égard d’une autre et pas comme un critère en soit qui justifie la mobilisation des règles de concurrence . Or, l’abus d’une situation de dépendance économique est susceptible d’affecter la concurrence libre et effective sur le marché. Néanmoins, jusqu’alors, lorsqu’un abus de position dominante ne pouvait être constaté, les règles de la concurrence étaient inefficaces. La prohibition de l’abus de dépendance économique comble ainsi un certain vide juridique.

Les autres règles 

La directive n° 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005  a été transposée en droit belge par les articles VI.92 à VI.103 du Code de droit économique. Ces dispositions interdisent les pratiques commerciales trompeuses ou agressives à l’égard des consommateurs. Elles visent uniquement les pratiques déloyales qui sont susceptibles de porter atteinte aux consommateurs en influençant leurs décisions commerciales à l’égard de produits . Ainsi, cette règlementation ne peut être mobilisée dans les cas de déséquilibres dans les rapports B2B.

Les articles VI.104 à VI.108 CDE visent également les pratiques de marché déloyales, cette fois néanmoins, à l’égard d’autres opérateurs que des consommateurs. Selon l’article VI.104 du Code de droit économique « est interdit tout acte contraire aux pratiques honnêtes du marché par lequel une entreprise porte atteinte ou peut porter atteinte aux intérêts professionnels d’une ou de plusieurs autres entreprises ». Il est principalement fait usage de cette norme générale de loyauté dans le cadre de relations horizontales entre entreprises concurrentes . Une série de pratiques ont été identifiées comme déloyales par la jurisprudence. Citons le parasitisme , l’usage du nom commercial ou d’un signe distinctif d’une entreprise par une autre , le dénigrement  mais aussi le débauchage de personnel . Dans cette perspective, l’article VI. 104 est inefficace face aux abus perpétrés par des entreprises dominantes dans les rapports verticaux qu’elles entretiennent avec d’autres professionnels.

La loi nouvelle 

L’abus de dépendance économique 

Définition
Au sein des règles du Code de droit économique relatives aux pratiques restrictives de concurrence a été inséré un nouvel article IV.2/1. Cette disposition s’ajoute à la règlementation sanctionnant les ententes entre entreprises et les abus de position dominante et prohibe les pratiques tendant à abuser d’une position de dépendance économique dans les relations B2B. Trois conditions doivent être réunies pour constater un tel abus : l’existence d’une position de dépendance économique, une exploitation abusive de cette position, et une affectation de la concurrence sur le marché belge ou une partie substantielle de celui-ci.

La dépendance économique
L’article I.6 du Code de droit économique a été complété par l’article 2 de la loi du 4 avril 2019. La notion de dépendance économique y est définie comme « la position de sujétion d’une entreprise à l’égard d’une ou plusieurs autres entreprises, caractérisée par l’absence d’alternative raisonnable, équivalente et disponible dans un délai, à des conditions et à des coûts raisonnables, permettant à celle-ci ou à chacune de celles-ci d’imposer des prestations ou des conditions qui ne pourraient pas être obtenues dans des circonstances normales de marché ».

Le législateur retient comme critère principal l’« absence d’alternative », plaçant un opérateur économique en situation de dépendance par rapport à un autre. La seconde partie de la définition concerne le fait pour une entreprise d’imposer des prestations ou des conditions qui ne pourraient être obtenues dans des circonstances normales de marché. Il ne s’agit en réalité que de la conséquence de la position de domination d’une entreprise vis-vis de l’autre .

Le critère de l’« absence d’alternative équivalente » est essentiel. Néanmoins, d’autres éléments peuvent constituer des indices menant au constat d’une situation de dépendance économique.

Les travaux préparatoires évoquent notamment la part que représente l’autre entreprise dans le chiffre d’affaires de l’opérateur potentiellement dépendant, la technologie ou le savoir-faire détenu par cette autre entreprise, la notoriété forte d’une marque, la rareté d’un produit, la nature périssable d’un produit, la loyauté d’achat des consommateurs et l’octroi régulier de conditions préférentielles qui ne sont pas accordées à d’autres entreprises .

Comme énoncé précédemment, l’interdiction de l’abus de dépendance économique agit en complément de la prohibition de l’abus de position dominante. Ces deux notions renvoient à des réalités économiques distinctes mais qui peuvent néanmoins se recouper. Auparavant, les droits belge et européen de la concurrence n’intervenaient que lorsqu’une entreprise détenait un pouvoir de marché absolu par rapport à une autre, pas si ce pouvoir de marché était relatif. Les pratiques abusives d’une entreprise en position dominante relative sont donc désormais appréhendées à l’échelle nationale.

Il nous semble également opportun de préciser qu’une entreprise peut tout à fait exercer un pouvoir de domination sur une autre, tout en se trouvant elle-même dans une situation de dépendance économique à l’égard de certains de ses partenaires commerciaux. Dans cette hypothèse, elle sera tenue de ne pas abuser de sa position dans le premier cas tout en étant ellemême en mesure d’invoquer l’article IV. 2/1 dans le second .

Table des matières

Introduction
Partie I : La modification du Code de droit économique
I. Inefficacité des instruments antérieurs
I.1. Les règles de concurrence
I. 2. Les autres règles
II. La loi nouvelle
II.1. L’abus de dépendance économique
II.1.1. Définition
II.1.1.1. La dépendance économique
II.1.1.2. L’abus
II.1.1.3. L’affectation de la concurrence
II.1.2. Sanctions
II.2. Les clauses abusives
II.2.1. Définition générale
II.2.2. Liste noire
II.2.3. Liste grise
II.2.4. Sanctions
II. 3. Les pratiques de marché déloyales
II.3.1. Pratiques interdites
II.3.2. Sanctions
II.4. Entrée en vigueur
III. Le système français
III.1. L’abus de dépendance économique
III.2. Les pratiques de marché déloyales
III.3. Les clauses abusives
Partie 2 : Réception de la règlementation nouvelle et potentiels défis
I. De manière générale
I.1. Quant à l’interdiction de l’abus de dépendance économique
I.2. Quant à l’interdiction des clauses abusives
I.3. La problématique du « fear factor »
II. Le droit de la propriété intellectuelle
II.1. Le refus de concéder une licence peut-il être considéré comme un abus de dépendance économique ?
II.2. Les particularités du secteur pharmaceutique
II.3. Les contrats conclus avec les « Patent Assertion Entities »
II.4. Les licences « FRAND »
II.5. Les contrats d’édition
Conclusion

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