La postmodernité à travers l’exemple lillois du football indoor

La « crise » hante les sociétés contemporaines. Encore très récemment, elle est venue alimenter le quotidien avec les problèmes sanitaires liés aux mets qui se trouvent dans nos assiettes. Cette « crise du concombre » ou « crise alimentaire » n’est pourtant que la dernière d’une longue série qui cadence chaque jour la société actuelle. Journaux, télévisions, internet, tous ont à un moment ou à un autre relayé l’une d’entre elles : crise géopolitique, crise économique, crise financière, crise sociale, crise écologique, crise du nucléaire, crise des valeurs, crise humanitaire, crise du logement, crise politique, crise culturelle et d’autres encore qui n’ont pas eu la primeur du calendrier médiatique. Au vu de ce sinistre tableau, c’est la modernité toute entière qui semble en crise. Toutefois, quelques rayons de soleil, semblent entretenir l’espoir d’une « sortie de crise ». Il y a un peu plus d’un an, en défendant le projet de candidature de la France à l’organisation de l’Euro 2016 de Football, le président de la République Nicolas Sarkozy prononça cette phrase péremptoire :

« Nous, nous pensons en France que le sport c’est une réponse à la crise »

Le Sport , une réponse à la crise. Panacée absolue contre les difficultés rencontrées par les jeunes de banlieues (il aiderait à les « intégrer »), face aux problèmes hygiéniques (il est la santé), face aux problèmes de racisme et de respect de l’autre (il est aussi l’école de la vie et de la tolérance), le Sport serait maintenant d’après notre président de la République, une réponse à la morosité ambiante de l’État face aux difficultés économiques. Près de 20 ans après la coupe de monde 1998 qu’elle a organisée et gagnée, la France se met donc à rêver de retrouver les mêmes scènes d’émotions et de liesse populaire, dans le climat socioéconomique favorable que procure l’attribution d’une compétition majeure. Ainsi le Sport serait-il le remède idéal, un pansement sur la plaie économique, une rustine collée sur la roue temporelle de notre société, lui permettant d’avancer et de voir l’avenir sereinement.

Le Sport serait-il ainsi hors crise ?

Que penser alors du dopage ? Des matchs truqués ? Des salaires disproportionnés des joueurs professionnels ? Des sommes exorbitantes versées lors des transferts des sportifs ? Des arbitres corrompus ? Des violences, sur et en dehors du terrain de jeu ? Ce côté sombre du Sport n’induit-il pas les stigmates d’une crise en son sein ? N’y aurait-il pas une crise sportive ? Les récents propos du ministre des sports, Chantal Jouanno, peuvent en filigrane le laisser penser :

« Aujourd’hui, l’organisation du sport repose sur des règles et des principes qu’il nous faut réinterroger »

Ces règles et principes que cite Chantal Jouanno définissent une culture sportive, au sein de laquelle sont regroupés l’ensemble des activités physiques et sportives (APS). Cet ensemble paraît, au vu d’une récente enquête sur le sujet (Lefevre et Thiery, 2010), de plus en plus éclaté, dispersé et multiple, comme éminemment diversifié. Comme la société, la culture sportive est en perpétuel mouvement, elle n’est pas figée, aussi bien sur le plan temporel que spatial. Les mouvements qui l’animent varient et ne portent pas tous sur l’ensemble des APS. Ainsi peut on aisément constater une stagnation du nombre de pratiquants des sports rattachés au cadre fédéral – quand bien même ces mouvements ne sont pas les mêmes selon les fédérations – et une croissance des APS pratiquées en dehors du cadre institutionnel.

Pouvons nous dès lors considérer cette culture en situation de crise ou bien en phase de processus, ces deux notions ne devant pas être confondues, en Sport comme dans les autres domaines. Les propos de la ministre portent sur un pan de la culture sportive, le modèle fédéral, qui n’évolue pas, tant qualitativement – en terme d’attentes –, que quantitativement – en terme de licenciés –, aussi rapidement que les activités ne s’y retrouvant pas, d’où la nécessité qu’il faille effectivement « se réinterroger ».

Ce travail de recherche a pour objectif de rassembler et d’analyser, autant que faire se peut, les éléments de réponse à l’évolution de la culture sportive à travers les pratiques urbaines associant ludisme et sport, innovantes, exorbitantes du cadre fédéral, à travers l’exemple précis de l’une d’entre elles : le football indoor.

Dans son appellation courante, et malheureusement abusive, le mot « sport » recouvre un ensemble pléthorique de définitions, d’idées ou de conceptions propres à chacun. Cette cacophonie sémantique, toujours présente, aussi bien chez les scientifiques que dans les discours communs porte préjudice à l’étude des sports dans le cadre universitaire, d’où la volonté de définir clairement ce concept pour marquer sa pleine entrée dans le champ des objets scientifiques. Ce passage conceptuel, s’il se révèle encore trop disparate, a néanmoins l’ambition de porter un projet commun, à l’image du terme de Sportologie, employé par Michel Bouet (1998), qui définirait cette science pluridisciplinaire traitant du phénomène sportif .

Pour illustrer cette pluridisciplinarité du concept sportif, il nous suffit de feuilleter le rapport annuel publié par le ministère des sports, en charge de la politique sportive nationale, sur les chiffres clés du Sport . Les chiffres publiés sur « le poids du sport dans l’économie », « l’emploi dans le domaine du sport », « la pratique sportive »,«la pratique licenciée», « les équipements sportifs », et les informations fournies provenant de disciplines comme la sociologie, l’économie, les STAPS , la géographie, montrent à quel point il existe de multiples approches pour traiter le domaine sportif.

Aujourd’hui ouverts à un champ d’analyse toujours plus large (Pociello, 1999b, pp. 1-12), de plus en plus reliés, voire réduits, à leurs aspects économiques (publicité, sponsoring, prix de transferts, salaires, droits télévisés,…), les premiers travaux sur le Sport, datant de la fin du XIXème siècle, ont eu avant tout pour objectif de définir l’essence des activités physiques, par le biais des sciences naturelles et des sciences du corps. Le Sport n’est à cette époque pas encore considéré en tant qu’activité sociale à part entière, et sa place dans les études de sciences humaines s’en trouve diminuée.

Les jeux bénéficient d’une attention plus conséquente et précoce, puisqu’ils sont étudiés dès le XVIème siècle sous la forme de théorisation mathématique, de gravure ou d’inventaire . Mais ce regard intéressé sur les jeux puis sur les sports n’apporte que peu d’informations quant à la compréhension du phénomène en lui même. L’ouvrage d’Eugène Chapus, Le sport à Paris, paru en 1854 illustre bien ce constat. L’auteur y aborde un panel d’activités allant de la natation, de la boxe et du jeu de paume aux échecs, au whist (jeu de cartes) en passant même par un chapitre sur l’opéra, dont on peut légitimement s’interroger sur la présence dans un ouvrage sur le Sport (Terret, 2007).

La publication en 1934 de l’article « Les techniques du corps », par l’anthropologue Marcel Mauss (2010 [1950]), va profondément faire évoluer la perception des scientifiques vis-à-vis des activités motrices. Marcel Mauss établit le lien entre pratique (nage, marche, course,…) et culture, forgeant à cette occasion le concept d’habitus que nous développerons plus tard. Les approches mêlant Sport et Société vont naturellement être élaborées en premier lieu par les sociologues qui dès l’après guerre vont incorporer les activités physiques et sportives dans leur champ de recherche, prenant ainsi exemple sur leurs confrères anglosaxons. Une sociologie (française) du Sport va ainsi se développer dans les années 1960, portée par les travaux de Michel Bouet, Georges Magnane ou encore Jacques Ulmann, bientôt suivis par ceux de Pierre Bourdieu qui a montré un intérêt certain pour ces thématiques que n’a pas véritablement dévoilé le peu de quantité de ses parutions sur le sujet (Vaugrand, 1999, p. 83).

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : Cadre conceptuel et problématique
1.1. Les questions relatives aux activités physiques et sportives
1.2. Les concepts socio-culturels
1.3. Problématique et hypothèse de recherche
CHAPITRE 2 : Evolutions de la société et influences sur les APS
2.1. Les APS et la modernité
2.2. Vers une nouvelle société
CHAPITRE 3 : Pratique, terrains et sources d’étude
3.1. La pratique étudiée : le football indoor
3.2. Le territoire étudié : l’agglomération lilloise
3.3. Les sources
CHAPITRE 4 : La postmodernité à travers l’exemple lillois du football indoor
4.1. Lille, accélérateur des pratiques ludo-sportives innovantes
4.2. Le football indoor, une pratique de son Temps
CONCLUSION

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