La recherche comme processus de construction de sens

La recherche comme processus de construction de sens

Une recherche « intéressante » (Webb316, 1961 : 223), « paradoxale » (Giroux, 2006 : 26), laisse entendre qu’elle rejette les hypothèses communément admises, qu’elle formule un appel constant au doute et à la remise en question du savoir antérieur. Tel est le but de Weick lorsqu’il démarre ses recherches : « Mon impulsion pour commencer une étude est la question : que vais-je trouver d’intéressant ? » (Weick317, 1992 : 173), « what’s going on here ? » Dans sa quête de la compréhension du monde, Weick applique sa théorie à sa propre démarche de chercheur. Il insiste ainsi sur la « variété requise » pour donner du sens à l’équivoque, utiliser de multiples voies de réflexion, se poser le plus de questions possibles, afin d’approcher une compréhension des phénomènes organisationnels. Dans cette perspective, nous considérons cette recherche comme un processus de création de sens. Pour rendre compte de cette posture et assurer la clarté de nos propos, nous structurons ce point autour des sept propriétés du sensemaking : la construction identitaire, la socialité, l’extraction d’indices, la continuité, la rétrospection, l’enactment, la plausibilité. Bien entendu, il s’agit ici d’une construction a posteriori destinée à rendre compte en toute transparence de l’effort réflexif mené tout au long de cette recherche.

L’identité comme enjeu et force structurante de l’activité de recherche

S’inscrire dans une démarche de thèse constitue un engagement fort suscitant des réflexions identitaires majeures et parfois paralysantes. Dans ce contexte, nous souhaitons mettre en avant ici nos parcours professionnel et scientifique, puisqu’ils éclairent notre façon d’appréhender cette recherche, nos motivations et nos questionnements. Nous pensons ainsi que le regard scientifique n’est pas neutre, dépourvu de tout présupposé. « Il s’agit de présupposés quant aux propriétés des humains et de la condition humaine ne dérivant pas seulement de la connaissance empirique mais contribuant aussi à l’orienter. […] Ces présupposés ne relèveraient pas en général d’un choix, mais seraient associés à l’histoire des concepts et des techniques utilisés par les chercheurs » (Corcuff, 2007 : 19). Ces présupposés méritent d’être relevés car ils délimitent le domaine de validité des connaissances produites dans le cadre de la recherche. Nos parcours professionnel et scientifique sont étroitements imbriqués. Après un cursus au département d’histoire afin d’obtenir une maîtrise et un diplôme en documentation d’entreprise, nous avons occupé une fonction de chargée de communication au sein d’une collectivité locale. Nos activités quotidiennes comportaient tant des tâches rédactionnelles, afin de diffuser de l’information sur différents supports, que des tâches plus « techniques » comme la réalisation de photos, de vidéos, de maintenance de site internet, etc. Désireuse d’approfondir nos connaissances dans le domaine de la production de contenus multimédias, nous avons intégré un cursus de DESS à même de répondre à nos aspirations. Un stage de six mois venant clôturer les enseignements, nous avons choisi de le réaliser au Centre de recherche public Henri Tudor (CRP-HT) à Luxembourg dont l’un des directeurs intervenait au cours des enseignements sur le thème de la gestion de projet. Le stage a été réalisé à partir de février 2001 au sein d’une des unités du centre fraîchement créée, le Centre d’innovation par les technologies de l’information et de la communication (CITI). Après être intervenue dans le cadre de différents projets de recherche sur des thématiques variées (e-learning, intranet, dialogue entre informaticiens et non-informaticiens…), nous avons retenu en accord avec le centre de recherche le thème de l’analyse des besoins d’un projet intranet comme sujet de stage. Celui-ci s’est achevé par l’obtention du diplôme de DESS ainsi que par un contrat de travail au sein du CRP-HT en qualité d’analyste, et le souhait de poursuivre notre cursus universitaire par un DEA en sciences de l’information et de la communication. Le sujet de notre DEA portait sur l’appropriation des TIC, sujet qui faisait par ailleurs partie intégrante d’un projet de recherche nommé « Qualinnove », dont le but consistait à définir une méthodologie permettant de gérer les projets complexes liés aux TIC. Dans ce projet, l’hypothèse consistait à envisager les pratiques dites de « gestion du changement » comme trop restrictives. Il s’agissait alors de voir dans quelles mesures le recours à une perspective appropriative des phénomènes d’introduction des TIC pouvait-il renouveller les pratiques traditionnelles de gestion de projet. C’est dans la continuité de ce parcours que se situe notre recherche actuelle sur l’appropriation des groupwares. Notre recherche n’a pas été réalisée en totalité au Centre Henri Tudor que nous avons quitté en juillet 2007. Cette évolution a permis de dissocier plus clairement notre recherche de notre activité professionnelle, de lui donner une orientation plus proche de nos aspirations et d’ouvrir notre regard à d’autres entreprises, à d’autres expériences qui sont venues enrichir à leur tour notre recherche. 

La recherche scientifique comme processus social

Nous adoptons une conception du savoir proche des théories de la cognition distribuée et de l’action située. Dans cette perspective, nous considérons le savoir comme essentiellement social, relationnel et médiatisé par des artefacts, mais aussi dynamique et toujours provisoire (Giroux318 , 2005 : 2). Nous souscrivons ainsi à la conception de la connaissance développée par Patrick Cohendet319 : « La connaissance est d’abord une pratique s’actualisant au sein de communautés tramées d’interactions entre humains et médiées par des artefacts » (Vinck320, 2007). Notre recherche s’est construite progressivement dans les interactions, avec d’autres chercheurs, avec des concepteurs de groupwares, avec des utilisateurs, le cadre de notre recherche y étant particulièrement favorable. En effet, de par la composition de son effectif, le Centre Henri Tudor se caractérise par une réelle pluridisciplinarité. Ainsi, au cours des projets de recherche, des chercheurs et des ingénieurs de différentes disciplines sont amenés à travailler ensemble, à débattre au quotidien. Parmi les disciplines et spécialités représentées, nous pouvons citer l’architecture, l’économétrie, l’économie, l’informatique, la sociologie, les sciences de l’éducation, les sciences de gestion, les SIC, la physique, la psychologie… La collaboration se révèle des plus enrichissantes que ce soit en termes d’ouverture à de nouveaux questionnements, pour tenter de créer des ponts entre disciplines, enrichir les cadres d’analyse, convoquer et confronter d’autres concepts, stimuler la curiosité. Notre sujet de recherche a ainsi fait l’objet de nombreuses discussions, parfois musclées, permettant une rencontre entre des points de vue différents. Dans cette perspective, le contexte pluridisciplinaire dans lequel nous avons baigné lors de notre recherche s’est averé tout à fait pertinent, en ayant engendré des sens multiples autour des phénomènes d’appropriation des groupwares. L’évolution de la recherche doit beaucoup aux différentes rencontres réalisées en cours de route, qui nous ont permis de découvrir de nouveaux concepts, de nouvelles méthodes, de nouvelles interprétations des données empiriques. Les discussions ont été complétées par des revues de littérature afin de les rapporter à notre recherche et d’en évaluer les apports éventuels. Ainsi la construction de notre objet de recherche se présente-t-elle comme un ouvrage de mise en liens.

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