L’articulation des compétences au provisoire de l’arbitre et du juge étatique

Sources de la complémentarité entre le juge d’appui et l’arbitre

Les sources internationales

Outre certains droits nationaux, des textes internationaux conçoivent la compétence parallèle entre le juge et l’arbitre. Il s’agit notamment de l’illustration de l’article 6 de la Convention européenne de Genève sur l’arbitrage commercial international du 21 avril 196 selon lequel la requête d’une partie auprès d’un juge étatique n’engendre pas la renonciation de cette dernière à la convention d’arbitre  . La Convention de New York de 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères ne précise quant à elle rien sur les mesures provisoires ou conservatoires  . D’abord, la jurisprudence américaine rejette toute demande de mesure provisoire ou conservatoire devant le juge .

Un revirement jurisprudentiel et doctrinal est cependant opéré. Il est établi que la Convention de New York n’empêche pas les parties de s’adresser au juge, vu la célérité, dans le cadre de mesures provisoires ou conservatoires, avant ou pendant l’instance arbitrale, et ce, nonobstant l’établissement d’une convention d’arbitrage permettant aux tribunaux américains de se conformer à ceux du reste du monde . Ce principe est pareillement reconnu en droit judiciaire européen. Dans l’arrêt Van Uden de 1998, la Cour de justice de l’Union européenne estime, que « dans la mesure où l’objet d’une demande de mesures provisoires porte, comme dans l’affaire au principal, sur une question relevant du champ d’application matériel de la convention, cette dernière s’applique et son article 24 est susceptible de fonder la compétence du juge des référés même si une procédure au fond a déjà été engagée ou peut l’être et même si cette procédure devait se dérouler devant des arbitres » . L’article 9 de la loi type CNUDCI confirme ce principe. Cette problématique sera approfondie dans le cadre de l’analyse comparative entre la loi type CNUDCI et le droit belge.

Au surplus, notons que l’article 5 de la loi type instaure la faculté d’intervention des tribunaux et que, dès le départ, certains pays dont notamment le Royaume-Uni ont manifesté leur avis sur le projet de l’article 5 dans la version de 1985.

Ceux-ci ont, dès le début, exprimé leur enthousiasme relativement à cette complémentarité, vraisemblablement par souci de conserver une éventuelle mainmise sur la justice privée .

Les règlements d’arbitrage et la controverse sur la nature de la relation entre le juge d’appui et l’arbitre

Notamment le CEPANI  , le règlement de l’American Arbitration association  et le règlement d’arbitrage de la Chambre de Commerce internationale de 2012   traitent de la complémentarité entre le juge d’appui et l’arbitre. S’agissant du règlement de la CCI, le principe est identique, la saisine du juge n’emporte pas la renonciation à la convention d’arbitrage  . Ce règlement prévoit néanmoins le loisir de saisir le juge étatique après la constitution du tribunal arbitral si les circonstances s’y prêtent. Il relève du tribunal étatique d’interpréter cette condition selon son droit local et de rejeter la demande si la condition n’est pas rencontrée. Usuellement, le juge accepte l’octroi d’une mesure provisoire en cas d’urgence ou d’impossibilité pour les arbitres de conférer une telle mesure.

Dès lors, il y a lieu de constater un principe de subsidiarité non existant dans le règlement CEPANI. Le règlement du Singapore International Arbitration Centre (SIAC) conditionne ce recours à des circonstances exceptionnelles. D’autres règlements tels que le Dubaï International Center ou le Hong Kong International Arbitration Centre n’exigent aucune condition.

Les sources nationales

Le système belge diverge du droit anglais. Effectivement, en vertu de la section 44 alinéa 5 de l’Arbitration Act, l’arbitre, dans l’impossibilité de prononcer ou rendre certaines mesures dans un délai permettant une efficacité optimale, le recours au juge s’effectue de manière subsidiaire .

En droit français, une fois le tribunal arbitral établi, des auteurs allèguent la subsidiarité en cas d’urgence, péril ou risque de déni de justice  . Prima facie, le principe de subsidiarité est inexistant dans notre droit national.

Selon l’article 1683 du Code judiciaire, « une demande en justice, avant ou pendant la procédure arbitrale, en vue de l’obtention de mesures provisoires ou conservatoires et l’octroi de telles mesures ne sont pas incompatible avec une convention d’arbitrage et n’impliquent pas renonciation à celle-ci »  . Cette disposition semble mettre en exergue la partie octroyée au juge étatique sollicité alternativement à l’arbitre pour saisir des mesures provisoires, et ce, non pas de manière subsidiaire comme l’instaure explicitement le droit anglais.

La recevabilité de la demande de saisine du juge des référés est conditionnée à l’hypothèse « d’extrême urgence et d’impossibilité de réunir les arbitres en temps utile » .

La thèse de la subsidiarité de facto en droit belge

En ce sens, il est possible de discerner un principe de subsidiarité. La célérité et l’impossibilité de réunir les arbitres à temps et efficacement sont des conditions dont le non-respect engendre le refus du juge des référés de prendre des mesures provisoires et dès lors le transfert des parties devant le tribunal arbitral. Il ne s’agit donc pas d’une condition absolue établissant la compétence du juge des référés, car l’appréciation du juge diverge en fonction du cas d’espèce.

Le fait qu’une sentence arbitrale avant dire droit doive faire l’objet d’exequatur dans un certain délai, hormis le cas où la partie adverse s’exécute immédiatement, l’incompétence de l’arbitre à prendre certaines mesures requérant un certain imperium ou encore l’impossibilité des arbitres à se réunir dans la période brève qu’exige la situation d’urgence sont des circonstances prises en considération  . Sous cet aspect, il parait difficile de contester l’idée qu’une subsidiarité entre l’arbitre et le juge des référés existe de facto.

Rallions-nous à la conception de Monsieur REINER, également soutenue par Monsieur VAN DROOGHENBROECK, selon laquelle il n’y pas de subsidiarité légalement instituée au sein de notre droit en ce sens que les parties sont tenues de s’adresser initialement au tribunal arbitral saisi du litige et en l’absence de succès, de se tourner a posteriori au président du tribunal de première instance .

Table des matières

INTRODUCTION
TITRE I LA NOTION DE JUGE D’APPUI
1. NOTION DE JUGE D’APPUI
2. UNE COMPÉTENCE GÉNÉRALE D’APPUI ?
TITRE 2 LE DROIT EN VIGUEUR
1. DÉFINITION DES MESURES PROVISOIRES
2. PRINCIPES APPLICABLES
3. CONDITIONS D’OCTROI
4. POUVOIR D’ASTREINTE DE L’ARBITRE
TITRE 3 LA COLLABORATION DE L’ARBITRE ET DU JUGE ÉTATIQUE QUANT AU PROVISOIRE
SECTION 1 UNE COLLABORATION RECONNUE PAR LA LOI
SECTION 2 UNE RÉPLIQUE AUX MANQUEMENTS DU RÉFÉRÉ ARBITRAL
TITRE 4 L’ARTICULATION DES COMPÉTENCES AU PROVISOIRE DE L’ARBITRE ET DU JUGE ÉTATIQUE
SECTION 1 SOURCES DE LA COMPLÉMENTARITÉ ENTRE LE JUGE D’APPUI ET L’ARBITRE
1. LES SOURCES INTERNATIONALES
2. LES RÈGLEMENTS D’ARBITRAGE ET LA CONTROVERSE SUR LA NATURE DE LA RELATION ENTRE
LE JUGE D’APPUI ET L’ARBITRE
3. LES SOURCES NATIONALES
4. LA THÈSE DE LA SUBSIDIARITÉ DE FACTO EN DROIT BELGE
SECTION 2 COMPÉTENCE AU PROVISOIRE DU JUGE ÉTATIQUE AVANT LA CONSTITUTION DU TRIBUNAL ARBITRAL
SECTION 3 COMPÉTENCE AU PROVISOIRE DU JUGE ÉTATIQUE APRÈS LA CONSTITUTION DU TRIBUNAL ARBITRAL
SECTION 4 RESPONSABILITÉ DE LA PARTIE POURSUIVANT L’EXÉCUTION D’UNE MESURE PROVISOIRE
SECTION 5 LE SORT DE L’ASTREINTE ÉVENTUELLE DE LA MESURE PROVISOIRE
TITRE 5 L’EXCLUSION DU RECOURS AU JUGE OU À L’ARBITRE
SECTION 1 L’EXCLUSION DU POUVOIR ARBITRAL DE PRONONCER DES MESURES PROVISOIRES
SECTION 2 L’EXCLUSION DU RECOURS AU JUGE POUR ORDONNER DES MESURES PROVISOIRES
TITRE 6 LA RECONNAISSANCE ET L’EXÉCUTION DES MESURES PROVISOIRES ET CONSERVATOIRES
TITRE 7 LES RAISONS DU REFUS DU JUGE DE LA RECONNAISSANCE OU DE L’EXÉCUTION DES MESURES PROVISOIRES OU CONSERVATOIRES
TITRE 8 COMPARAISONS ENTRE LE SYSTÈME ADOPTÉ PAR LA LOI TYPE C.N.U.D.C.I ET LE DROIT BELGE
1. LA DÉFINITION D’UNE MESURE PROVISOIRE
2. COMPÉTENCE DE L’ARBITRE D’ORDONNER DES MESURES PROVISOIRES
3. LA CONCORDANCE DE LA SAISINE DU JUGE AVEC UNE CONVENTION D’ARBITRAGE
4. LES CONDITIONS D’OCTROI
5. LES MESURES PROVISOIRES UNILATÉRALES
6. LA RÉVISION DE LA DÉCISION ARBITRALE
7. LA NOTIFICATION D’UN CHANGEMENT DE CIRCONSTANCES
8. LA RESPONSABILITÉ DU DEMANDEUR DE LA MESURE PROVISOIRE
CONCLUSION

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