Le développement économique, une nouvelle fonction controversée de l’AICT

Le développement économique, une nouvelle fonction controversée de l’AICT

L’intérêt des collectivités territoriales pour le développement d’activités économiques à l’échelle internationale s’est multiplié dans les années 1980. Il se déclinait alors par l’organisation de salons et de foires spécialisés et par des échanges commerciaux alimentant, déjà à l’époque, les débats nationaux sur les retombées économiques des jumelages et sur la promotion économique des Villes à l’international691 .Aujourd’hui, face à des budgets contraints et l’obligation pour les élus locaux d’arbitrer entre les dépenses locales et les dépenses internationales, l’usage de l’AICT dans les politiques économiques locales prend une ampleur importante. De plus en plus d’élus considèrent que « si on veut garder cette politique, il faut mobiliser les entreprises ». En 2013, l’Atlas de la coopération décentralisée du Ministère des Affaires Étrangères recense 479 partenariats économiques menés entre les collectivités françaises et leurs partenaires dans des domaines aussi divers que sont l’agriculture, l’artisanat, l’industrie agro-alimentaire, l’entreprenariat, les finances solidaires, la création de filières innovantes, l’insertion des jeunes, ou encore le tourisme solidaire. Les partenariats européens et internationaux des collectivités territoriales peuvent ainsi représenter un outil de prolongement de leur politique de développement économique notamment pour les Régions qui en détiennent la compétence. La diversité des termes utilisés par les collectivités territoriales pour évoquer l’introduction de la dimension économique dans l’Action Internationale révèle la coexistence de différentes visions et stratégies. On parle tour à tour de « coopération économique décentralisée », de « diplomatie économique », de « codéveloppement économique », d’« action économique extérieure des collectivités territoriales » ou encore d’« aide au développement économique ». A travers une brève analyse des actions portées par les collectivités territoriales françaises dans le sens de l’une ou de plusieurs de ces modalités d’actions, nous tenterons de comprendre les grandes tendances de ce phénomène selon les ères géographiques concernées. Nous identifierons ensuite deux visions du rôle de l’AICT au service du développement économique. Celle-ci peut intervenir dans un objectif strictement économique et commercial, ou au contraire, s’inscrire dans les principes traditionnels de la coopération décentralisée en tenant compte d’un certain nombre de principes éthiques liés à l’Économie Sociale et Solidaire. 691 Vion, A., 2001, op cit. Le développement économique, une nouvelle fonction controversée de l’AICT 290 1- Répartition thématique et géographique de l’Action Économique Extérieure des Collectivités Territoriales Une étude portant sur la coopération économique décentralisée a été réalisée en 2011, à partir de 154 projets menés par 35 collectivités territoriales françaises. Elle a permis de dresser un premier état des lieux de l’action des collectivités françaises dans ce domaine692 . Ces actions s’articulent autour de nombreuses thématiques, réparties dans le graphique 19. Graphique 19: Répartition thématique des actions de coopération économique décentralisée Source : AFD, CNER, CUF, MAE, 2013, Coopération économique décentralisée, État des lieux, Agence Française de Développement, Cités Unies France, Ministère des Affaires Étrangères, CNER (Fédération des Agences de développement et des comités d’expansion économiques), 38p Les actions de coopération économique décentralisée de l’échantillon étudié portent principalement sur le domaine de l’agriculture (27%), puis de manière relativement homogène sur l’entreprenariat (13%), le tourisme (10%), la promotion du tissu économique (10%), les partenariats inter-entreprises (10%), la formation (8%) et les pôles de compétitivité et de recherche (8%). Dans une moindre mesure sont également concernées les activités menées dans le domaine de l’urbanisme (6%), des outils de développement économique (4%), et du financement direct (3%). Ces actions concernent une grande diversité de pays, répartis dans 4 principales zones géographique que sont le Maghreb, l’Afrique subsaharienne, l’Amérique Latine et l’Asie. Sur la base de cet état des lieux et afin d’illustrer au plus près les tendances de cette coopération économique décentralisée, il convient d’analyser la manière dont sont réparties ces thématiques dans ces quatre zones géographiques. Le graphique 20 illustre cette répartition. 692 AFD, CNER, CUF, MAE, 2013, Coopération économique décentralisée, État des lieux, Agence Française de Développement, Cités Unies France, Ministère des Affaires Étrangères, CNER (Fédération des Agences de développement et des comités d’expansion économiques), 38p 10% 27% 6% 13% 10% 8% 4% 3% 8% 11% Tourisme Agriculture Formation Entreprenariat Partenariat entreprises Pôle de compétitivité et recherche Outils de développement économique Financement Urbanisme Promotion du tissus économique 291 Graphique 20: Part des actions de coopération économique décentralisée par thématique et par zone géographique Source : AFD, CNER, CUF, MAE, 2013, op cit. On note en premier lieu une nette différenciation des stratégies de coopération économique décentralisée selon les ères géographiques avec lesquelles elles coopèrent. Alors que les actions en direction de l’Afrique subsaharienne sont clairement orientées dans le domaine agricole (25 actions, menées principalement autour de l’appui aux filières céréalières et maraîchères), en Asie les collectivités territoriales s’engagent plutôt sur des actions de promotion du tissu économique local (15 actions). Ces chiffres étayent l’analyse fournie dans le chapitre 8 de ce document à propos d’une réciprocité plus ou moins attendue par les collectivités territoriales selon leurs territoires de coopération. Aussi, l’Afrique et le Maghreb sont les deux seules zones dans lesquelles ces actions s’inscrivent dans une logique d’appui à travers la formation, la création d’outils de développement économique et le financement direct. On retrouve le détail de ces répartitions thématiques par zone géographique dans les graphiques 21. Cette idée de différenciation est confirmée par un fait significatif. La même collectivité territoriale peut adopter des objectifs différents selon les caractéristiques de ses différents partenaires situés parfois sur différents continents. « La Bretagne n’agit pas avec le Mali (agriculture) comme elle le fait avec la Chine (promotion du tissus économique)693» indique ainsi l’étude.

Promotion économique des territoires à l’international : une AICT au service de la concurrence entre les territoires ?

Le néologisme de « glocalisation », alliant les deux concepts du local et de la globalisation, exprime la relation renforcée des territoires à l’économie mondiale694 . Cette articulation suppose que les pouvoirs publics locaux, dont la première des préoccupations est de faire face aux conséquences de l’exacerbation de la concurrence sur les marchés internationaux des capitaux et du travail695 , s’inscrivent dans une stratégie de compétitivité économique. Elle vise à renforcer l’attractivité des territoires afin de leur permettre de capter des flux mondiaux de richesse et d’assurer ainsi leur prospérité. L’économiste Bernard Pecqueur rappelle que cette prospérité repose tant sur des éléments exogènes (leur capacité d’intégration dans l’économie mondiale) que sur des éléments endogènes (leurs spécificités). La volonté d’accroître les participations ou les implantations d’entreprises étrangères en France par le biais d’aides directes (primes, avantages fiscaux) ou indirectes (création d’un environnement propice au développement économique par le soutien à la recherche, l’innovation, la mise en place de pôles et clusters, etc.), atteste, depuis les années 70, de la manière dont la dimension internationale de la Ville constitue une nouvelle norme du gouvernement urbain696 . Selon Antoine Vion, les collectivités territoriales, parce qu’elles acquièrent des compétences en termes de développement économique et sont confrontées à une concurrence fiscale, affirment de plus en plus leur rôle au niveau de la création d’emploi et de la dynamisation de l’économie locale. Elles peuvent par exemple être à l’origine de la création d’agences de prospection. Cette analyse concerne particulièrement les collectivités territoriales disposant dans leurs compétences du développement économique (c’est-à-dire principalement les Régions) sur lequel elles jouent un rôle d’incitation et d’impulsion697 . Ces Actions Économiques Internationales des Collectivités Territoriales peuvent prendre plusieurs formes. Elles permettent par exemple de soutenir le développement du tissu économique local ou régional en mobilisant des entreprises dans des territoires nouveaux, leur faisant ainsi bénéficier d’un cadre institutionnel fiable. Ces projets peuvent reposer sur des échanges entre des acteurs économiques, sur l’export de PME françaises à l’étranger ou encore sur l’implantation d’entreprises étrangères sur les territoires français. Cette stratégie conduit les collectivités territoriales à tisser des liens de plus en plus étroits avec des acteurs économiques diversifiés. Ce rapprochement concerne principalement des institutions et des réseaux : les Centres d’Expansion Économique, l’Agence Française de Développement, les Agences de Développement Économiques, les Chambres de Commerce, les différents réseaux d’ingénierie, les entreprises en présence, etc. Les actions internationales à dimension économique, qui sont considérées comme étant porteuses d’un fort intérêt local, reposent sur la vision de partenariats « gagnant-gagnant », expression issue du monde de l’entreprise et fréquemment utilisée par les acteurs concernés. Les impacts de ces actions sur les territoires français sont plus aisément chiffrables que dans les autres domaines d’action internationale. Par exemple, dans le cadre de la coopération décentralisée entre la Région Île-deFrance et Hanoï (Vietnam), les retombées sur le territoire peuvent commencer par l’achat par le Comité Populaire de 200 bus auprès de la RATP. L’exemple de la Région Île-de-France révèle le fait que l’échange inter-entreprises se base sur une égalité d’intérêts et d’ambition et vise le retour financier sur investissement. 

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