Les agences de moyens comme autorité scientifique 

Les agences de moyens comme autorité scientifique 

Au sein des systèmes nationaux de recherche, les agences de moyens (par exemple, la National Science Foundation aux États-Unis, le Conseil de recherche médicale au Canada ou le Fonds national de la recherche scientifique en Suisse), appelés également « conseils subventionnaires », sont des organismes financés par les pouvoirs publics et par lesquels une partie de la recherche publique est soutenue (Braun, 1998; Godin et al., 2000). En évaluant des projets de recherche et en acceptant, ou en refusant, leur financement, ces agences de moyens interviennent non seulement sur les conditions de production scientifique, mais également sur les modalités de reconnaissance des scientifiques, à savoir leur capital symbolique et, par-là même, sur les cycles de crédibilité (Bourdieu, 1975; Latour, Woolgar, 1988; Rip, 1994). Parce qu’elles organisent une partie de la distribution des ressources matérielles et idéelles du champ scientifique, les agences de moyens peuvent être considérées comme un pouvoir institué, une expression de l’« autorité scientifique », au sens où elles sont autorisées à se prononcer sur les normes, les critères, les valeurs et autres catégories de classement qui régissent le champ scientifique. Mais d’où tirent-elles leur légitimité et comment celle-ci est-elle constituée? Telles sont les questions abordées dans cet article. Dans le cas des agences de moyens, la question de la légitimation, c’est-à-dire les processus par lesquels ces agences sont considérées comme une autorité légitime, est d’autant plus pertinente et intéressante à étudier qu’elles occupent une position dite intermédiaire, à l’intersection du champ politique et du champ scientifique (Braun, 1998; Godin et al., 2000). Cette position est potentiellement productrice de tensions, de conflits dans la mesure où ces organismes peuvent être amenés à considérer différentes « demandes sociales»60 qui remettraient en question les normes et valeurs propres au champ scientifique ou qui en introduiraient de nouvelles61. De même, les décisions qu’ils prennent peuvent ne pas répondre aux attentes ou demandes du politique. Ces agences de moyens doivent donc gérer une double allégeance: la première vis-à-vis des représentants politiques qui leur octroient un budget et la seconde, à l’égard des représentants scientifiques, qui non seulement bénéficient matériellement et symboliquement de leurs subsides, mais participent en tant qu’experts à l’évaluation des projets subventionnés (Rip, 2000; Godin et al., 2000; Bourdieu, 2002). Cette configuration relationnelle est potentiellement source de tension en termes de conceptions de  la légitimité62. Et parce que la légitimité est liée à l’état des rapports de force et de sens entre le champ politique et le champ scientifique à un moment donné de l’histoire d’un pays, celle- ci peut être réévaluée, voire remise en question. Comme le souligne Lagroye, « la légitimité est toujours précaire » (Lagroye, 1985). Ainsi, en fonction des périodes historiques, les agences de moyens doivent faire co-exister une double légitimité: politique et scientifique. L’objectif de cet article est de rendre compte de la contingence de la légitimité des agences de moyens et d’analyser la pluralité des pratiques légitimatrices visant à asseoir leur autorité.

L’analyse de la construction de la légitimité des agences de moyens se fera donc dans une perspective diachronique et portera sur le cas du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS)63 Cette analyse repose à la fois sur les pratiques de financement du FNS et sur son organisation. Pour ce faire, trois périodes ont été retenues: 1) les années 1950, avec la création du FNS et la mise en place de subsides en faveur de la recherche fondamentale ; 2) les années 1970, et l’élaboration de programmes nationaux en faveur de la recherche orientée ; 3) les années 1990, avec la création de pôles de recherche nationaux. La création, en Suisse, d’un Fonds national de la recherche se fit en deux temps. Une première tentative, initiée par le président de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), échoua durant la Seconde Guerre mondiale en raison d’une opposition des représentants des universités cantonales. Ceux-ci trouvaient que le projet était trop orienté vers les intérêts de l’industrie, que l’EPFZ prenait trop de place dans le projet et que les sciences sociales et humaines étaient prétéritées. Après la guerre, le président de la Société helvétique des sciences naturelles, le professeur de Muralt de l’Université de Berne, reprit le projet en main. Il mit en place, au sein de cette société, une Commission dans laquelle était représenté l’ensemble des milieux académiques.

 

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