Les modèles statiques de maximisation de taux

Les modèles statiques de maximisation de taux

Sous leur forme la plus simple, les modèles d’optimisation posent comme hypothèse que la sélection naturelle maximise certains paramètres utilisés comme estimateur de la ‘fitness’ d’un organisme: le taux d’acquisition d’énergie, le nombre de descendants, etc. Ces modèles d’optimisation « classiques » (‘static rate maximizing models’) analysent, par exemple, l’influence d’un ou plusieurs facteurs sur une décision comportementale donnée: la taille de l’hôte sur la décision de ponte chez un parasitoïde, la décision de quitter une parcelle (‘patch’) par un étourneau en fonction du temps nécessaire pour atteindre cette parcelle, le choix optimal de proies par un prédateur en fonction du niveau de profitabilité des proies (McArthur & Pianka 1966; Tinbergen 1981; Iwasa et al. 1984; Kacelnik 1984; Cuthill 1985; Stephens & Krebs 1986; Kacelnik & Cuthill 1987, 1990; Cuthill & Kacelnik 1990; Cuthill et al. 1990; Kacelnik et al. 1990). Ils conduisent à une prédiction fixe, c’est à dire indépendante de variables physiologiques (âge du parasitoïde/prédateur, nombre d’œufs disponibles, niveau des réserves énergétiques, etc.) et de variables écologiques (saison, probabilité de rencontre d’un hôte/proie, taux de mortalité, etc.) (Godfray 1994; Wilson 1994; Wilson & Lessells 1994). L’introduction de paramètres stochastiques tels que la probabilité de rencontre d’un hôte permet d’influencer le seuil critique de décision -e.g. taille de l’hôte où le comportement change- mais n’influence en rien le caractère figé des prédictions du modèle (Hugues 1979; Houston et al. 1980; Iwasa et al. 1984; Godfray 1994).

Modèles d’optimisation dynamiques état-indépendants

Certains comportements conditionnent fortement la probabilité de survie des organismes. De plus, cette probabilité de survie peut être fortement influencée par la saison ou bien encore l’âge de l’individu considéré. Les modèles dynamiques permettent d’intégrer au processus d’optimisation de la ‘fitness’ les effets du temps et du taux de mortalité. Ils utilisent alors le temps sous une forme discrète (temps décomposé en courtes périodes de taille déterminée) plutôt que sous une forme continue, tel que cela est supposé implicitement dans les modèles d’optimisation statiques (Clark & Mangel 2000). 

Modèles d’optimisation dynamiques état-dépendants

Amorcée dès les années 1930 (Fisher 1930), la prise de conscience progressive de l’importance de la physiologie des organismes dans leurs décisions gagna peu à peu du terrain au sein de la communauté scientifique. Il faut cependant attendre la fin des années 1980 pour Les modèles statiques de maximisation de taux 6 Introduction générale voir apparaître une démarche modélisatrice incorporant très clairement l’état physiologique des organismes avec le développement des modèles dynamiques à variables d’état (Houston et al. 1988; Mangel & Clark 1988). Depuis quelques années, le développement de ces modèles d’optimisation dynamiques état-dépendants est apparu comme un outil majeur en écologie évolutive. Un des principaux avantages de ce type de modèles est lié à l’utilisation de différentes variables, les variables d’état, reflétant certaines caractéristiques physiologiques majeures susceptible d’influencer les décisions comportementales de l’organisme (Mangel 1989; Chan 1991; Houston et al. 1992; Chan & Godfray 1993; Collier et al. 1994; Heimpel et al. 1994; Collier 1995a, 1995b). En effet, dans la plupart des cas, la décision optimale choisie par un organisme dépend des valeurs prises par certaines de ses variables d’état: réserves énergétiques, âge, etc. (e.g. Chan & Godfray 1993). L’aspect dynamique des modèles dynamiques à variables d’état permet en outre de considérer l’existence de stratégies fluctuantes au cours du temps en fonction de l’état physiologique des organismes et de l’âge des individus considérés (Collier 1995a). La prise en compte des changements d’états physiologiques subis par les organismes et d’une perspective temporelle a permis ainsi la création de modèles théoriques plus réalistes, et intégrant mieux les conditions réelles auxquelles sont confrontés les organismes. Nous reviendrons sur ces modèles dans la discussion générale.

Physiologie intégrative

 Il y a environ 70 ans, Fisher (1930) soulignait déjà l’importance de comprendre les mécanismes physiologiques pour l’analyse des traits d’histoire de vie, une remarque très largement relayée par un grand nombre d’auteurs en écologie comportementale. Par exemple, Stearns (1992) souligne que « la physiologie permet de comprendre les mécanismes qui sont à la base des compromis évolutifs » et que « les compromis physiologiques sont impliqués dans quasiment tous les compromis micro-évolutifs. Plus récemment, Rivero & Casas (1999a) soulignent « la nécessité d’incorporer plus de réalisme physiologique dans les études d’écologie comportementale » chez les hyménoptères parasitoïdes, et Warburg & Yuval (1996) soulignent que « le comportement n’est généralement qu’une forme d’expression de la physiologie » d’un organisme. Malgré une prise de conscience réelle de l’importance de la physiologie en écologie évolutive, les mécanismes sous-jacents aux décisions comportementales et les bases  physiologiques de la plupart des compromis évolutifs restent à l’heure actuelle encore méconnus. Bien qu’indispensables, les études de physiologie intégrative, mêlant à la fois physiologie et écologie évolutive -par le biais des comportements ou des traits d’histoire de vie-, restent encore très peu nombreuses. Par conséquent, bon nombre de modèles théoriques, dont les modèles dynamiques à variables d’état, apparaissent aujourd’hui limités par leur manque de réalisme physiologique.

Objectifs de la thèse et modèles d’étude

 Cette thèse s’inscrit résolument dans une perspective de physiologie intégrative et cherche à préciser les règles d’acquisition et d’allocation des nutriments ainsi que leurs conséquences sur les traits d’histoire de vie des hyménoptères parasitoïdes. Dans ce cadre, je m’intéresse plus particulièrement aux deux compromis évolutifs majeurs, le « coût de la reproduction » et le « compromis nombre-fitness des descendants ». J’explore ainsi les mécanismes physiologiques sous-jacents aux décisions comportementales et aux stratégies d’histoires de vies chez les parasitoïdes. Cette thèse se situe donc à l’interface entre l’écologie fonctionnelle et l’écologie évolutive. Les parasitoïdes sont des insectes dont les larves se développent en consommant le corps d’autres arthropodes, généralement d’autres insectes. Ils constituent ainsi un groupe très important dans les écosystèmes naturels ainsi que dans les agrosystèmes en tant qu’auxiliaires de lutte contre les insectes ravageurs de cultures. Ils permettent en effet d’influencer, voire de réguler, les densités de populations de leurs hôtes. Ce succès, réel mais non systématique, dans les programmes de lutte biologique a généré de nombreuses recherches sur le comportement et l’écologie d’un grand nombre d’espèces de parasitoïdes. A l’origine essentiellement descriptives, ces différentes études se sont progressivement développées dans de multiples directions mettant ainsi en évidence l’importance des parasitoïdes en tant que modèle expérimental pour les études de dynamique des populations, d’écologie comportementale et d’écologie évolutive (Charnov & Skinner 1984; Charnov & Skinner 1985; Godfray 1994; Quicke 1997). Un des principaux objectifs de l’écologie évolutive moderne est de comprendre les règles physiologiques, comportementales ou autres, permettant à un organisme de mettre en place une stratégie favorisée par la sélection naturelle. Les parasitoïdes constituent un modèle  idéal pour de telles questions en raison du lien direct qui existe entre leur comportement et leur ‘fitness’, et de leur manipulation expérimentale relativement aisée (Godfray 1994). Il existe une abondante littérature concernant les traits d’histoire de vie des parasitoïdes, tels que la fécondité, la longévité, la durée de développement, etc. (Price 1973; Askew & Shaw 1986; Blackburn 1991a, 1991b; Godfray 1994; Jervis & Copland 1996; Quicke 1997). Deux compromis évolutifs majeurs ont fait l’objet d’une attention particulière: le compromis évolutif entre reproduction immédiate et reproduction future chez les parasitoïdes pratiquant le nourrissage sur l’hôte, et le compromis taille et nombre des descendants chez les parasitoïdes grégaires. Les parasitoïdes offrent en effet une opportunité idéale de tester la plupart des théories concernant l’évolution des traits d’histoire de vie et les compromis évolutifs. L’alimentation de la larve de parasitoïde conduit généralement à la mort de son hôte ce qui rapproche le comportement des parasitoïdes de celui des prédateurs. Sur la base de leur comportement alimentaire larvaire, les parasitoïdes peuvent être divisés en deux classes. Certains parasitoïdes se développent au stade larvaire au sein de l’organisme hôte et sont ainsi qualifiés d’endoparasitoïdes. Les ectoparasitoïdes se développent quant à eux à la surface de leur hôte. La plupart des parasitoïdes peuvent être regroupés selon ces deux catégories mais il existe également des cas intermédiaires où le parasitoïde accomplit une partie de son cycle larvaire au sein de l’hôte avant de sortir pour accomplir la suite de son développement, ou vice versa (Godfray 1994; Quicke 1997). Les parasitoïdes pondant un seul œuf par hôte sont connus sous le terme de parasitoïdes solitaires, par opposition aux parasitoïdes grégaires pondant de deux à plusieurs centaines d’œufs par hôte. Certains parasitoïdes permettent à leur hôte de continuer à se développer après leur parasitisme. Ils sont alors dit koïnobiontes. Les idiobiontes, au contraire, bloquent le développement de leur hôte obligeant ainsi la larve de parasitoïde à n’utiliser que les ressources présentes dans l’hôte lors de la ponte. Les parasitoïdes peuvent également être classés en fonction de leur dynamique d’allocation des ressources dans la production d’œufs (Flanders 1950). Les parasitoïdes pro-ovigéniques émergent avec tout, ou une grande partie de leur stock d’œufs déjà matures et prêts à être pondus. Les parasitoïdes synovigéniques n’émergent quant à eux, qu’avec un très faible nombre d’ovocytes matures, l’essentiel de la maturation étant réalisé au cours du stade adulte. Ici encore, il existe un continuum entre ces deux situations « extrêmes » et toutes les situations intermédiaires ont pu être observées (Jervis et al. 2001). Pour les parasitoïdes proovigéniques, l’intégralité des ressources énergétiques adultes est donc allouée à la maintenance de l’organisme. Pour les parasitoïdes synovigéniques, l’allocation des ressources est plus complexe et chaque individu doit pouvoir à la fois assurer les dépenses métaboliques indispensables à la maintenance et à la reproduction. Pour faire face à ces différentes dépenses, les parasitoïdes synovigéniques peuvent utiliser leur hôte à des fins de nutrition et non plus pour y déposer un œuf. Ce comportement est qualifié de nourrissage sur l’hôte. Parallèlement, de nombreuses espèces de parasitoïdes, pro- et synovigéniques, sont connues pour consommer de la nourriture autre que l’hôte, telle que du nectar, du pollen ou du miellat (Rogers 1985; Hagen 1986; Jervis & Kidd 1986; Jervis et al. 1992, 1993; May 1992; Evans 1993; Jervis & Kidd 1996). Les espèces utilisées dans cette thèse sont les parasitoïdes Eupelmus vuilletti (Crawford) (Hymenoptera: Eupelmidae), et Dinarmus basalis (Rondani) (Hymenoptera: Pteromalidae). Ces deux parasitoïdes présentent des caractéristiques biologiques très proches. Ce sont des ecto-parasitoïdes tropicaux solitaires qui se développent au dépens de coléoptères Bruchidae et notamment aux dépens des larves de Callosobruchus maculatus (Fabricius) (Coleoptera: Bruchidae) infectant les gousses et les graines de Vigna unguiculata (Walper) (Fabaceae). Les femelles de ces deux espèces sont synovigéniques et pratiquent le nourrissage sur l’hôte.

Structure de la thèse

 Les modèles développés pour prédire les décisions comportementales des parasitoïdes reposent fortement sur diverses suppositions quant à la nature et la fonction des nutriments acquis au cours du nourrissage sur l’hôte. Plus précisément, lorsqu’une femelle parasitoïde synovigénique rencontre un hôte, elle se trouve face à toute une série de décisions comportementales telles que l’utilisation de cet hôte à des fins reproductrices ou nutritives, le nombre d’œufs à pondre et le sexe des descendants produits, etc. Les prédictions des modèles s’intéressant à de telles questions dépendent très étroitement de la nature biochimique des nutriments consommés et si le nourrissage sur l’hôte fournit des nutriments utilisés uniquement dans la maintenance de l’organisme, uniquement dans la reproduction ou dans les deux fonctions (Jervis & Kidd 1986; Houston et al. 1992; Chan & Godfray 1993; Collier et al. 1994, Heimpel et al. 1994; Collier 1995a; Heimpel et al. 1998). Les chapitres 1 et 2 sont centrés sur l’identification et la quantification des nutriments consommés lors du comportement de nourrissage sur l’hôte et sur leur impact sur la survie et la fécondité de femelles parasitoïdes synovigéniques.Au cours du chapitre 1, nous analysons la composition biochimique des fluides consommés par le parasitoïde Eupelmus vuilletti au cours du nourrissage sur l’hôte à l’aide de techniques de colorimétrie et de chromatographie en couche mince. Cette analyse vise principalement à tester l’hypothèse communément admise depuis 1933, mais jamais rigoureusement testée, selon laquelle les parasitoïdes consomment l’hémolymphe de leur hôte lors du nourrissage sur l’hôte (Fulton 1933). L’identification de la nature réelle des principaux nutriments consommés lors du nourrissage sur l’hôte nous permet, dans un second temps, de tester l’influence de ce comportement sur la survie des femelles parasitoïdes synovigéniques pratiquant le nourrissage sur l’hôte. Grâce à une série de microinjections nous testons en effet l’impact des principaux sucres consommés sur la survie des femelles parasitoïdes. Les résultats obtenus nous permettent d’apporter quelques réflexions quant aux stratégies comportementales d’acquisition des nutriments chez les hyménoptères parasitoïdes pratiquant le nourrissage sur l’hôte. Plus précisément, la nécessité de rechercher de la nourriture autre que l’hôte pourrait être fonction des nutriments potentiellement consommés lors d’un nourrissage sur l’hôte. De telles considérations permettraient d’expliquer certaines différences comportementales observées au niveau interspécifique. Le chapitre 2 consiste en une mise en évidence puis une quantification du lien unissant le nourrissage sur l’hôte et la reproduction. Il étudie principalement la dynamique d’incorporation des nutriments acquis lors du nourrissage sur l’hôte dans les œufs par le biais d’éléments radiomarqués. Pour les insectes holométaboles, le succès reproducteur est fortement influencé par les ressources nutritives dont dispose la femelle. En complément des nutriments acquis au stade adulte, lors du nourrissage sur l’hôte par exemple, les ressources utilisées dans la production d’œufs peuvent provenir de réserves accumulées au cours du développement larvaire. C’est pourquoi nous nous intéressons également dans ce chapitre à la dynamique de gestion des réserves larvaires. L’utilisation de techniques de double radiomarquage nous permet de suivre simultanément l’incorporation dans les œufs des ressources stockées au cours du développement larvaire et des nutriments acquis au cours du stade imaginal. Les résultats obtenus soulignent l’importance des nutriments stockés dans la compréhension des flux de nutriments et dans l’obtention d’un budget énergétique global. Suite aux résultats obtenus, nous proposons différentes explications mécaniques et adaptatives concernant la dynamique de gestion des ressources nutritives en fonction de leur origine larvaire ou adulte. Nous formulons ainsi diverses hypothèses quant aux règles de stockage des nutriments et à l’organisation spatio-temporelle des lieux de stockage.

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