LES THÉORIES DU CONTRAT SOCIAL COMME MÉTHODE

LES THÉORIES DU CONTRAT SOCIAL COMME MÉTHODE

 Le traitement que J. W. Gough réserve, dans The Social Contract, a Critical Study of its Development140, à la synthèse qu’Alfred Fouillée fit entre contractualisme et organicisme, n’a plus de quoi étonner. J. W. Gough n’ignorait certainement pas le fait que, pour cet auteur, l’organisme social et le contrat ne se limitaient pas à deux théories politiques antagonistes mais que celles-ci étaient associées à des méthodes et programmes scientifiques distinctes. Nous l’avons vu, Fouillée ne cherchait pas en dernière analyse à apaiser le conflit existant entre les deux grandes « écoles » de la science sociale dans l’idée de réconcilier leurs démarches, qu’il estimait si différentes, mais avait imaginé un « organisme contractuel » susceptible d’absorber leurs imaginaires à toutes deux. Dès lors, peut-être est-il naturel que la question de la méthode occupe en définitive un espace tout aussi restreint chez J. W. Gough qui, tout en désignant le sociologue français comme l’un des rejetons du contractualisme, ne se sentait que peu convaincu par ses idées :En mettant au point cette théorie, Fouillée a dit beaucoup de choses qui méritaient d’être dites ; sa critique des deux points de vue extrêmes auxquels il s’opposait était souvent exacte et avisée. Je doute néanmoins que la solution qu’il offrait à leur conflit réalise ce qu’il prétend, et je me demande si l’expression « organisme contractuel » constitue quelque chose de plus, justement, qu’une expression. C’est que quelque soit la relation entre membres d’une société politique, elle ne correspond pas au vrai contrat légal ; de même, la société n’est pas vraiment un organisme comme peut l’être un corps individuel vivant. Appeler la société « organisme » revient à se servir d’une analogie ou métaphore. De la même manière, l’appeler [un tel « organisme »] « contractuel » revient à emprunter une métaphore ou analogie à la relation légale entre individus. (…) Aucune des deux opérations n’est adéquate dans la mesure où chacune des deux est incomplètes. Car après tout, on ne peut demander à aucune analogie de correspondre à tout point de vue, sinon il ne s’agirait pas d’analogie mais d’identité. À certains égards, la société est comme un organisme ; à d’autres, elle est comme un contrat. Mais si aucune des deux métaphores ne convient exactement, est-ce en les combinant que nous allons mieux les cadrer141 ?

En France, la situation n’aurait pas été très différente. Sans vouloir sous-estimer les motifs intellectuels de l’affaiblissement des théories contractualistes, J. W. Gough rappelle que ni l’atmosphère politique d’un Second Empire peu admiratif des principes libéraux, ni l’esprit pragmatique propre à la constitution de la Troisième République ne rendirent le milieu favorable aux philosophies du contrat social. Par le terme de lecture « politique », il ne faut cependant pas entendre nécessairement l’idée de lecture « partisane ». J. W. Gough résume les critiques formulées par une petite dizaine d’auteurs (après Hume, dont il souligne la profondeur, il passe en revue Bentham, Burke, Paley, Whately, Austin, Lewis et Maine, notamment) dont la cible commune est la philosophie politique des contractualistes. Dans quelle mesure s’agit-il là d’un parti pris de la part de Gough, qui choisit bien sûr à la fois ses auteurs et les questions à poser ? Nous l’avons déjà mentionné, Gough n’est pas insensible à ce qui nous occupe au premier plan. Pour lui en effet, le principe des théories du contrat social a beaucoup trop souvent souffert de méconnaissance. Voici comment il commente la contribution de William Paley (1743–1805), théologien britannique influent, au démantèlement d’une théorie du contrat social jugée « infondée dans ses principes et dangereuse dans son application » : Les objections pratiques formulées par Paley à l’encontre de la théorie de contrat laissent indemne sa valeur philosophique d’analyse de l’obligation politique, et il en est de même quant à ses arguments concernant son inadéquation historique. Ainsi, dans la mesure où il appréhende [cette théorie] dans son sens philosophique, il paraît qu’il la comprend mal. Il a toutefois probablement considérablement secoué la foi que l’on pouvait garder en l’ancienne théorie, incitant ainsi ceux qui continuaient à trouver quelque chose de précieux dans l’idée de contrat, à remanier leur doctrine pour l’harmoniser avec ses arguments. Ce qui est à la fin le plus surprenant, c’est que la théorie a réussi à résister à de telles attaques renouvelées. En effet, de très nombreux auteurs continuaient à penser, pendant plus qu’un demi-siècle à venir, qu’il était nécessaire de débarasser le terrain de ses ruines avant de pouvoir bâtir leurs propres systèmes politiques143.

 

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