Méthodologie de chimie théorique et outils de la chémoinformatique

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Catalyse hétérogène

Environ 80 % des procédés de chimie industrielle sont dépendants d’un catalyseur [34, 35], majoritairement hétérogènes. Nous avons vu précédemment, figure 1.8, qu’il existe de nombreuses possibilités de conversion pour les sucres issus de la biomasse. Cela est possible par des processus réactionnels en conditions douces évitant la dé-composition complète des sucres. Une autre possibilité est celle de la gazéification en monoxyde de carbone et en dihydrogène, ouvrant la voie à une conversion en hydrocarbures par procédé Fischer-Tropsch [36, 37].
Le catalogue de réactions de catalyse hétérogène dont l’on dispose aujourd’hui est principalement adapté aux réactions en phase gaz, or la chimie de la biomasse impose de travailler en conditions aqueuses. En effet, les points d’ébullition et les températures de décomposition des composés issus de la biomasse sont trop basses pour travailler en phase gaz.
Les catalyseurs hétérogènes utilisés en phase gaz peuvent ne pas être adaptés à une utilisation en phase liquide. De manière générale, ces catalyseurs se présentent sous la forme de particules métalliques, pouvant être supportées. Il existe une grande variétés de particules métalliques, de métaux purs : platine, ruthénium, palladium, nickel, fer …, ou d’alliages : platine/nickel, palladium/or, rhodium/fer… Il en va de même pour les supports : charbon, alumine, dioxyde de titane, silice, ou bien encore les zéolithes (pouvant être elles mêmes le catalyseur).
Bien que les catalyseurs puissent conduire vers les réactions souhaitées, ils peuvent être rapidement désactivés, ne menant que quelques cycles catalytiques [38-40]. Les raisons à cela sont multiples, la présence de l’eau peut empecher l’accès à la surface du catalyseur, le catalyseur et le support peuvent êtres sujets à dissolution par l’eau. D’autre part, des réactions en phase liquide peuvent avoir lieu sans intervention du catalyseur, pouvant rentrer en compétition avec les réactions de surface [41]. Une meilleure compréhension est la clé d’un développment rapide de catalyseur efficace.

Modélisation

Rôle de la chimie théorique

Les nombreuses études expérimentales concernant la conversion de la biomasse, posent de nouvelles questions concernant les mécanismes réactionnels. La modélisa-tion peut se placer à l’intérieur d’un cycle reliant les observations expérimentales et la modélisation à travers des prédictions.
La chimie théorique est un outil performant pour l’étude et la conception de cataly-seurs, elle peut permettre d’orienter les recherches en sélectionnant de bons candidats, ouvrant la voie à l’élaboration de nouveaux catalyseurs performants [42], permettant de sortir du cycle en figure 1.9 en aboutissant vers un catalyseur fonctionnel.
L’une des caractéristiques de la biomasse, est la présence d’eau, qu’elle soit conte-nue dans la matière première ou bien utilisée en tant que solvant. L’eau utilisée en tant que solvant peut également être réactive avec certains composés. Cela implique d’en tenir compte dans la modélisation de ces systèmes. Nous verrons dans le cha-pitre consacré à la méthodologie qu’il existe plusieurs méthodes et modèles pour rendre compte d’effets de solvants, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients en terme de précision et de coût de calcul.
Une autre caractéristique, mais non des moindres, est la complexité et la taille des réseaux réactionnels auxquels la modélisation doit faire face. Si l’on considère une molécule comme le sorbitol, figure 1.10, qui serait un bon modèle d’étude pour enrichir les connaissances sur la réactivité des polyols, le nombre d’intermédiaires réactionnels possibles serait de l’ordre de 5000, et ce rien que pour sa décomposition. Il faudrait ajouter à cela les états de transition correspondants à chaque réaction, et dans tout cela, la recherche de la meilleure conformation pour chaque structure.
La modélisation est donc face à un problème dont les deux paramètres clés sont le rôle du solvant, et le grand nombre de possibilités. Ces deux problèmes sont com-plémentaires, étant donné que la prise en compte des effets de solvant doit pouvoir se faire pour un très grande nombre de structures. Il nous faut donc des méthodes adaptées, permettant la prise en compte de ces deux paramètres, ce qui constitue l’objectif principal de cette thèse.

Stratégie

Problème du nombre

La stratégie que nous proposons d’employer peut être décrite comme multi-échelle. L’idée est de traiter un très grand nombre d’échantillons avec des méthodes peu pré-cises, mais adaptées au traitement de plusieurs milliers de possibilités, puis d’utiliser des méthodes de plus en plus fines et précises au fur et à mesure que le nombre de possibilités diminue.
Nous allons donc utiliser des méthodes comme l’additivité par groupes [43, 44], pour estimer les énergies de réactions et des relations linéaires de type BEP [45-47] pour estimer les énergies d’activation de ces réactions. Ces résultats peuvent ensuite être utilisés comme entrées pour une simulation en micro cinétique [48, 49], ce qui permet l’identification des étapes clés des chemins réactionnels. À ce stade, le nombre de possibilités est drastiquement réduit et le traitement par des méthodes de calculs plus fines et précises devient possible.
Le problème qui se pose avant d’appliquer cette méthode de travail, est qu’il faut tenir compte des effets de solvant, et donc les intégrer dans les prédictions faites en amont pour les énergies de réaction et d’activation. Il faut également échantilloner les conformations d’adsorption à la surface, ce que nous avons fait avec la méthode décrite dans le chapitre 2.

Effets de solvant

La prise en compte des effets de solvant peut se faire par deux grandes familles de méthodes, à savoir les méthodes implicites, dans lesquelles le solvant est par exemple considéré comme un continuum, et les méthodes où les molécules de solvant sont explicitement présentes.
Les méthodes implicites comme la solvatation Polarizable Continuum Model (PCM) ont déjà été largement utilisées pour les systèmes moléculaires [50, 51], et plus ré-cemment pour les systèmes périodiques [52-54]. Nous montrerons dans le chapitre 5, que le solvant PCM peut avoir un impact non négligeable sur les les ruptures C-H et O-H de polyols en catalyse hétérogène sur platine (111). Cependant l’impact de la microsolvatation, c’est-à-dire celui de quelques molécules de solvant explicites, sur les chemins reactionnels en catalyse hétérogène est connu pour être important[55-57]. C’est ce que nous montrerons dans le chapitre 6, pour les énergies de réaction et les états de transition d’alcool en catalyse hétérogène sur platine (111).
Pour la solvatation explicite, il faudrait tenir compte de la dynamique du système, mais des calculs de dynamique ab initio pour des systèmes en catalyse hétérogène sont extrêmement coûteux [58-60]. Une des approches pour contourner ce problème est de considérer le solvant au niveau mécanique moléculaire, avec des approches comme la perturbation d’énergie libre [61] ou l’intégration thermodynamique, méthodes qui sont détaillées dans le chapitre 2
Nous allons dans un premier temps commencer par détailler les méthodes utilisées pour modéliser la catalyse hétérogène ainsi que les outils informatiques adaptées à de grands réseaux réactionnels. Puis nous nous intéresserons à l’influence de l’es-pacement des fonctions alcools et du solvant sur la réactivité du butanediol, avant d’explorer une méthode de solvatation explicite. Ensuite sera détaillé le développe-ment d’une méthode d’estimation de propriétés thermodynamiques de polyols sur une surface de platine (111) en phase aqueuse, et enfin l’influence de la solvata-tion implicite et de la microsolvatation sur les énergies de réactions et d’activation d’alcools sur platine (111).

Modèle de catalyseur hétérogène

Un catalyseur hétérogène se présente sous la forme d’un solide, qu’il soit un oxyde, un métal pur, un alliage etc. La taille de ces particules peut varier de quelques atomes, à plusieurs centaines de nanomètres. Ces catalyseurs, sont le plus souvent supportés par un autre matériau, comme l’alumine ou le charbon. Le système à modéliser peut donc rapidement dépasser plusieurs milliers d’atomes, rendant l’utilisation de la DFT inenvisageable, pour décrire la réactivité en catalyse par exemple. Si l’on ne prend en compte qu’une nanoparticule de faible taille, comme en figure 2.1, soit
≈ 2, 5nm, le nombre d’atomes, et d’autant plus, d’électrons, reste élevé. L’étude ab initio de nanoparticules supportées est cependant possible [1, 2], mais ne convient pas à l’étendue et à la complexité des réseaux réactionnels étudiés lors de cette thèse.
Il faut trouver un modèle adapté.
Figure 2.1 – Modèle d’une
nanoparticule de platine (Pt675)
Figure 2.2 – Modèle simplifié Figure 2.3 – Couche finie
On utilisera un modèle en couche finie (ou slab), consistant à ne prendre en compte que la surface de la particule. Le catalyseur étudié lors de cette thèse est le platine sous forme métallique, ayant une structure cristalline de type cubique face centrée, ou fcc (face centered cubic). Une nanoparticule présente différentes facettes, qui peuvent être qualifiées par les indices de Miller, illustrés en figure 2.1. On parlera par exemple de surface (100) ou (111). Dans le cas du platine, la surface la plus stable et la plus présente est la (111), figure 2.8.
Le plan de coupe de la maille élémentaire fcc représenté figures 2.6 et 2.7, permet d’obtenir la surface (111). Le modèle que nous utiliserons est périodique, c’est-à-dire qu’en pratique, la surface est étendue à l’infini (figure 2.9). La couche finie est caractérisé par le type de surface et par la dimension de la cellule primitive dans laquelle il est construit. La figure 2.10 représente la cellule d’un slab de 4 couches et de 4 atomes de côté. Ce modèle étant périodique, il est répliqué dans toutes les directions des vecteurs ~a, b et ~c définissant la cellule (figure 2.11). Afin de modéliser au mieux les propriétés du catalyseur, il convient de choisir un nombre de couches suffisant, pour que les atomes de surface reproduisent le comportement qu’ils auraient sur une grande nanoparticule. On gèle les atomes éloignés de la surface dans la configuration du bulk, ce dernier étant optimisé au même niveau de calcul qu’utilisé par la suite. La norme du vecteur ~c doit être suffisamment grande pour laisser assez de vide entre la dernière couche et la première du slab voisin, afin de ne pas avoir d’interaction entre ces deux couches.

Théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT)

La DFT quant à elle optimise la densité électronique du système jusqu’à obtenir un champ auto-cohérent. Cette méthode tient compte de la corrélation électronique et le coût de calcul est bien moindre qu’un calcul WFT avec corrélation électronique pour un même système.
Le théorème d’Hohenberg et Kohn [5] énonce qu’il est possible de calculer de ma-nière exacte l’énergie de l’état fondamental électronique d’un système en ne connais-sant que sa densité électronique. L’énergie s’exprime alors comme une fonctionnelle de la densité n : E[n] = T [n] + VNe[n] + Vee[n] (2.6)
La DFT Kohn-Sham [6] consiste à considérer la structure électronique comme un ensemble de structures indépendantes, on en revient donc à résoudre des équa-tions de Schrödinger mono-électroniques (ici les équations Kohn-Sham). Le terme cinétique renvoie une valeur numérique exacte (énergie cinétique des électrons non-interagissants Ts[n] et du système réel T [n]). En théorie il existe donc une fonction-nelle échange corrélation de la densité 2.7.
Il reste encore à trouver un bonne approximation de cette fonctionnelle, Exc[n]. Exc[n] = (T [n] − Ts[n]) + (Vee[n] − EH [n]) (2.8)
L’approche Kohn-Sham est exacte en théorie, mais ne l’est pas pratique, les fonc-tionnelles Exc[n] étant approximatives, car la fonctionnelle exacte n’ayant pas d’ex-pression analytique connue.
Dispersion
Les approximations usuelles en DFT ne prennent pas suffisamment en compte les interactions faibles et à longue distance comme les forces de dispersion de London [7, 8]. Pour les molécules issues de la biomasse, ces dernières peuvent avoir une contribution non négligeables dans les réactions de catalyse hétérogène, il est donc important de les prendre en compte [9, 10]. Pour ce faire, il éxistent différentes méthodes telles que celles de Grimme [11, 12], Tkatchenko-Scheffler [13], Many-body dispersion energy [14], ou encore celle qui a été utilisée durant cette thèse, la dDsC (density dependant dispersion corrections) [15, 16]. Elle a été paramétrée pour les fonctionnelles GGA, de manière à ce que les forces de dispersion soient dépendantes de la structure électronique, et non pas uniquement sur des coéfficients C6 empiriques. Ainsi, l’expression originale 2.9 des forces de dispersion (amorties) additives par paires de London devient dépendante de la structure électronique.

Table des matières

1 Introduction 
1.1 Lignocellulose
1.2 Valorisation de la biomasse lignocellulosique
1.2.1 Matière première
1.2.2 Catalyse hétérogène
1.3 Modélisation
1.3.1 Rôle de la chimie théorique
1.4 Stratégie
1.4.1 Problème du nombre
1.4.2 Effets de solvant
2 Méthodologie de chimie théorique et outils de la chémoinformatique
2.1 Modèle de catalyseur hétérogène
2.2 Théorie
2.2.1 Fonction d’onde (WFT)
2.2.2 Théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT)
2.2.3 Calculs en conditions périodiques
2.2.4 Mécanique moléculaire
2.3 Solvatation
2.3.1 Solvatation implicite
2.3.2 Solvatation explicite
2.3.3 Intégration thermodynamique
2.3.4 FEP
2.4 Interface SolvHybrid
2.4.1 Préparation des fichiers AMBER via LEaP
2.4.2 Préparation des systèmes pour l’intégration thermodynamique
2.4.3 Minimisation, thermalisation et pressurisation
2.4.4 Intégration thermodynamique
2.5 Thermodynamique
2.5.1 Énergie d’adsorption et de réaction
2.5.2 Incréments de Benson
2.6 Énergie d’activation
2.6.1 NEB
2.6.2 Dimer
2.7 Boîte à outils chémoinformatique
2.7.1 Illustration : génération de conformères
3 Réactivité des butanediols 
3.1 Introduction
3.2 2,3-butanediol
3.2.1 Adsorption
3.2.2 Première & seconde déhydrogénation
3.2.3 Première déhydrogénation
3.2.4 Seconde déhydrogénation
3.2.5 Décomposition
3.3 1,2-butanediol
3.3.1 Réactivité primaire et secondaire
3.3.2 Décomposition du 1,2-butanediol
3.4 1,3-butanediol
3.4.1 Adsorption
3.4.2 Première & seconde déhydrogénation
3.4.3 Décomposition du 1,3-butanediol
3.5 1,4-butanediol
3.5.1 Adsorption
3.5.2 Vers la formation d’un cycle
3.6 Discussion
4 Exploration : solvatation explicite 
4.1 Introduction
4.1.1 Contexte
4.2 Mise en place
4.3 Résultats
4.4 Limites
4.5 Conclusion
5 Additivité par groupes 
5.1 Article
6 Effet de solvant PCM et microsolvatation 
6.1 Article
7 Conclusion générale et perspectives 

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