L’ESS, une économie historique et ancrée sur ses territoires

L’ESS, une économie historique et complexe…

Une économie empreinte de valeurs et de principes

Une ou des définition(s) de l’ESS ?
Au-delà des principes directeurs de l’économie sociale et solidaire, lesquels trouvant majoritairement consensus, il existe presque autant de définitions de l’ESS que d’acteurs qui la compose. En France, l’appartenance d’une structure à la famille de l’économie sociale et solidaire est déterminée par son statut juridique. Il existe ainsi 5 types de statuts pouvant relever de l’économie sociale et solidaire : les associations, les coopératives, les mutuelles, les fondations et plus récemment , les sociétés commerciales d’utilité sociale ou environnementale respectant les principes de l’ESS. Si, pour l’état français, l’appartenance à l’ESS reste strictement réservée à la nature du statut, il n’en est pas moins que le législateur a proposé une définition plus large de l’ESS en 2014. Elle est ainsi “un mode d’entreprendre et de développement de l’activité économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine” répondant à certains critères. Cette définition, volontiers généraliste, se heurte à des visions plus engagées de ce qu’est l’économie sociale et solidaire. Pour Jean-François Draperi, “l’économie sociale et solidaire ce sont des personnes qui se regroupent pour réaliser un projet social, culturel, économique, en vue de répondre à des besoins collectifs” . A cette notion de mise en commun et de faire ensemble, il ajoute que c’est surtout un mouvement social s’inscrivant dans la lutte du paradigme d’une économie génératrice d’externalités négatives (Draperi, 2011). Il s’en suit une interprétation de dynamique citoyenne et engagée. C’est dans ce sens qu’Éric Dacheux et Daniel Goujon définissent l’ESS “comme l’ensemble des initiatives impulsées par des citoyens pour démocratiser l’économie” (Dacheux et Goujon, 2018, p. 7).

A l’image de sa diversité, l’économie sociale et solidaire ne se réduit pas à une seule définition. Ainsi, pour Erika Flahault, Henry Noguès et Nathalie Schieb-Bienfait, l’ESS a trois significations : elle est une réponse à la “question sociale”, une façon de refuser l’asservissement provoqué par le travail de la société moderne et un moyen de résistance face au culte de la croissance économique et de ses inégalités engendrées (Flahault, Noguès et Schieb-Bienfait, 2011, p. 14-15).

Si les définitions de l’ESS sont nombreuses, toutes ont en commun des valeurs et des principes inhérents à ce mode d’entreprendre autrement.

L’ESS : des valeurs et des principes
En écho à sa construction historique, l’économie sociale et solidaire a toujours été un moyen de défendre ses opinions, sa position dans la société ou encore d’exprimer son engagement au travers d’une activité économique, lucrative ou non.

L’ESS tire son unité d’un système de valeurs (Draperi, 2007) qui fédère ses acteurs. Ces valeurs dites cardinales (Draperi, 2007) sont : la responsabilité, l’égalité, l’autonomie et la solidarité. L’ajout plus récent de la limitation des impacts écologiques (Swaton et Danand, 2014) permet d’intégrer les enjeux grandissants du réchauffement climatique auxquels l’économie sociale et solidaire est un acteur incontournable dans l’apport de réponses au travers d’initiatives localisées.

Les valeurs de l’ESS se traduisent dans des principes qui régissent ses différences avec l’économie classique capitaliste. En 1980, les principes de l’économie sociale sont publiés dans une charte par le comité national de liaison des activités mutualistes, coopératives et associatives (CNLAMCA). Cette charte posera ainsi les fondements de l’économie sociale et solidaire qui sont les suivants : une finalité visant l’intérêt général ou collectif, une gouvernance démocratique (1 personne = 1 voix), une lucrativité limitée et encadrée qui proscrit l’enrichissement individuel, la primauté de la personne humaine sur le capital, un ancrage territorial fort et une libre adhésion.

La redécouverte du principe de réciprocité de Karl Polanyi, permet d’ajouter une autre dimension aux principes de l’économie sociale et solidaire. Elle serait ainsi une forme d’intégration économique allant au-delà de la simple dualité marché redistribution (Servet, 2007). L’ensemble de ces valeurs et de ces principes constituent les fondements de l’économie sociale et solidaire à laquelle l’histoire complexe de ce mouvement permet d’en comprendre l’origine et la structuration.

Des premiers mouvements sociaux à la reconnaissance étatique

Si le concept de coopérative a été identifié pour la toute première fois au XIVème siècle dans le Jura avec la création de coopératives de production fruitière par les producteurs de lait, c’est au XIXème que l’économie sociale prend réellement son essor. Cette période industrielle, marquée par le libéralisme de marché, a donné naissance à de nombreux mouvements ouvriers de contestation en réponse aux inégalités, à la grande précarité et pauvreté qui résultaient de la nouvelle organisation du travail gouvernée par les machines. L’économie sociale permettait alors de réconcilier l’économie et la morale (Azam, 2003) et la solidarité qu’elle générait était considérée comme “un principe de protection susceptible de limiter les effets perturbateurs de l’extension de l’économie de marché” (Chanial et Laville, 2005).

Jean-François Draperi, dans son ouvrage Histoires d’Économie sociales et solidaire (2017), nous livre que c’est d’abord en réponse aux conditions de travail extrêmement rudes que sont nées les premières associations coopératives, mutualistes et syndicales en 1848. L’auteur souligne ensuite que la première coopérative d’envergure, à la fois de consommation et de production, fut le Familistère, fondée par l’industriel Jean-Baptiste Godin, en 1880. Tant le projet de Godin était novateur pour son époque, l’auteur le considère comme l’inventeur de l’économie sociale.

Dans un esprit de solidarité et de fraternité, les associations, ont commencé leur essor dès 1780 dans l’esprit des Lumières. Après avoir alterné de nombreuses périodes de répression telles que la Loi Chapelier, et de tolérance par la République française, l’associationnisme est définitivement autorisé et reconnu par la Loi 1901 sur la liberté d’association. Ce sera le mouvement ouvrier socialiste qui deviendra le “laboratoire des formes associatives” (Chanial et Laville, 2005). A cette époque, les ouvriers mutualisent et s’associent.

Ainsi au XIXème siècle et au début du XXème siècle, il est question d’économie sociale où deux visions coexistent : le solidarisme avec les associations et les mutuelles, et le coopératisme avec les coopératives (de production, de consommation…) (Azam, 2003). L’économie sociale connaîtra un succès grandissant jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale mais s’essoufflera faute de ne pas avoir trouvé sa place dans une nouvelle vision postguerre Keynésienne et d’un Etat Providence (Azam, 2003). Le terme “économie sociale” finira même par disparaître complètement pendant la période des 30 Glorieuses  pour réapparaître après les années 70 sous la notion de “non-profit sector” ou “tiers-secteur”, qui dans la vision anglo-saxonne, désigne des “organismes sans but lucratif voués à pallier les défaillances de l’État et du marché” (Azam, 2003). Les années 70 marquent un certain dynamisme dans l’économie alternative. C’est à ce moment que l’économie solidaire fait son apparition avec notamment, les structures d’insertion par l’activité économique (IAE). Apparue un siècle après l’économie sociale, l’économie solidaire se développe en réponse à la précarisation du travail, à la conscience écologique et au taux de chômage élevé (Dreyfus, 2017). Pour Geneviève Azam (2003), l’économie solidaire naît de la “prise de conscience de l’échec de l’économie sociale traditionnelle sous l’angle politique”. De son côté, l’économie sociale, en réponse au désengagement de l’Etat sur la Question Sociale (Chanial et Laville, 2005), se structure et ses différents mouvements convergent pour la première fois avec la création en 1970 du Comité national de liaison des activités mutualistes coopératives et associatives (CNLAMCA).

A partir de 1980, suite à l’arrivée de la gauche au pouvoir, commence la lente institutionnalisation et donc reconnaissance de l’économie sociale et de l’économie solidaire (de manière séparée) par la sphère politique. A l’initiative de Michel Rocard, la Délégation Interministérielle à l’économie sociale (DIES) est créée en 1981, ainsi qu’un secrétariat d’état. La structuration de l’économie solidaire s’effectuera 10 années plus tard, en 1990 et sera suivie de la dédication d’un secrétariat d’état à son tour en 1999. Or, le chemin de la reconnaissance par les pouvoirs publics est loin d’être abouti puisque ces deux secrétariats disparaîtront très rapidement (Chanial et Laville, 2005). A l’échelle territoriale, la structuration s’opère également avec le réseau des Chambres Régionales de l’Économie Sociale et Solidaire, institué en 1993. Le Conseil National des Chambres Régionales de l’Économie Sociale (CNCRES) sera lui créé en 2004 .

Malgré le poids de l’économie sociale et solidaire dans le PIB (environ 10%), peu de reconnaissance de la part des pouvoirs publics ne lui était accordée jusque récemment. C’est finalement la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’ESS, dite Loi Hamon, qui va concrétiser le long chemin de l’unicité des familles de l’ESS et leur intégration dans les politiques publiques (Draperi, 2014). Sa mission est de reconnaître et développer l’ESS grâce à : “une meilleure identification des acteurs par les financeurs, un accès à des financements dédiés, une sécurisation de l’environnement juridique, une consolidation du modèle économique des entreprises de l’ESS et une inscription de la politique publique de l’ESS dans la durée”14. L’économie sociale et solidaire a donc traversé des décennies d’expérimentation sociale et économique avant d’être définitivement politisée en 2014.

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : L’ESS, UNE ÉCONOMIE HISTORIQUE ET ANCRÉE SUR SES TERRITOIRES
A/ L’ESS, UNE ÉCONOMIE HISTORIQUE ET COMPLEXE
1. Une économie empreinte de valeurs et de principes
2. Des premiers mouvements sociaux à la reconnaissance étatique
3. L’ESS, mouvement social, économique ou politique ?
B/… INÉGALEMENT ANCRÉE SUR SES TERRITOIRES
1. ESS et territoire : un lien indéniable mais questionné
2. Les acteurs territoriaux de l’ESS
3. Une répartition inégale sur les territoires
PARTIE 2 : L’IMPLANTATION DE L’ESS : LES FACTEURS TERRITORIAUX QUI INFLUENCENT LA PRÉSENCE D’OESS
A/ UN ANCRAGE ORIENTÉ PAR DES FACTEURS D’IMPLANTATION EXTRINSÈQUES
1. Une économie étroitement liée à la situation socio-économique d’un territoire
2. Les pouvoirs publics : de la reconnaissance à la gouvernance territoriale
3. De la coordination à la coopération
B/ … QUI DEMEURE INFLUENCÉ PAR DES FACTEURS D’IMPLANTATION INTRINSÈQUES
1. Les réalités de la géographie et de la démographie dans le tissu socio-économique
2. Le territoire axiologique comme vecteur de mobilisation collective
3. Les ressources territoriales pour réactiver la conscience de production
PARTIE 3 : L’ESS DANS LA RÉGION GRAND EST : ANALYSE DE LA CONSTRUCTION TERRITORIALE LOCALE DANS 3 DÉPARTEMENTS
A/ ETUDE DE CAS : CONSTATS ET MÉTHODOLOGIE
1. L’ESS et ses particularités en Grand Est
2. Réflexion méthodologique : 3 départements d’analyse
3. Les acteurs interrogés
B/ LES RÉGIMES TERRITORIAUX DE L’ESS SUR 3 DÉPARTEMENTS EN GRAND EST : LEURS LEVIERS ET LEURS FREINS AU
DÉVELOPPEMENT DE L’ESS
1. La Meurthe-et-Moselle, un dynamisme associatif comme résultat d’une institutionnalisation
précurseur
2. Le Bas-Rhin, un territoire de gouvernance territoriale exacerbé par une identité régionale
3. La Haute-Marne, un développement de l’ESS freiné par le manque de proximité spatiale et institutionnelle
C/ LES ENJEUX À RELEVER POUR FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT DE L’ESS EN GRAND EST
1. Développer la gouvernance territoriale : rapprocher et structurer les acteurs
2. Réactiver les ressources territoriales : entre politique d’attractivité et développement du
patrimoine
3. Accroître les projets de coopération : impulser une culture coopérative
CONCLUSION 

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