L’introduction d’un groupware, une occasion de communication

L’introduction d’un groupware, une occasion de communication

L’hypothèse d’un déficit de communication repose sur un sentiment partagé par la plupart des acteurs dans les organisations que nous avons étudiées. Le passage de cette hypothèse d’abord vague, à un constat admis par tous, puis formulé sous la bannière « problème de communication », se situe bien souvent à l’origine de la mise en œuvre des groupwares dans les collectifs de travail. Pour autant, le problème énoncé recouvre des représentations fort différentes selon la place que l’on occupe dans l’entreprise. Il en va de même pour la définition du terme communication. L’impression d’un déficit de communication et d’une mauvaise organisation alimente un grand nombre de conversations informelles au sein de petits groupes. Ces conversations constituent autant d’occasions d’affirmer, à soi-même et aux autres, son engagement dans l’entreprise, par des prises de position, des idées d’action. Cependant celles-ci franchissent rarement le périmètre du groupe, atteignant ainsi difficilement le manager direct. C’est donc la question de la participation qui est interrogée ici. La mise en place d’un groupware, par les changements qu’elle semble apporter, représente alors une occasion privilégiée de conversation entre les managers et les salariés qui saisissent cette opportunité. Nos développements s’orientent autour de deux questionnements principaux : comment se traduit l’hypothèse d’un déficit de communication dans l’entreprise ? Comment se caractérisent les échanges entre les salariés et les managers au moment de l’introduction des groupwares ? 

L’impression partagée d’un déficit de communication

Nous l’avons vu dans notre première partie, les groupwares s’inscrivent, dans une vue mythique, comme régulateurs de déséquilibres (Perriault, 1989 : 211). Ces déséquilibres, si l’on s’en tient à la description fonctionnelle de l’outil, réfèrent à la communication, à la coopération et à la coordination. Les groupwares contribueraient à les résorber par un affranchissement des contraintes spacio-temporelles, par des capacités de traitement et de stockage de l’information. C’est pour résoudre de tels déséquilibres que des groupwares ont été mis en place dans les trois entreprises que nous avons étudiées. Si la formulation du problème, de l’énoncé fédérateur, a fait l’objet d’un consensus, obtenu lors de séances de groupes de travail (nous avons appelé cette étape « phase d’alignement », les représentations que les acteurs ont de ce problème, recouvrent des réalités pourtant fort différentes. Prenons le cas de l’entreprise Bank. Le wiki, en tant que plate-forme de partage des connaissances et des idées, y a la vocation de « doper la création d’un capital social et intellectuel, de promouvoir la création d’une culture d’innovation » (Source : compte-rendu de réunion, mai 2006). Plus précisément, c’est le développement d’un esprit « entrepreneur » (entrepreneurship) qui est souhaité explicitement par le management, ainsi que la mise en liaison des individus afin de créer des partenariats pour faire aboutir les idées d’amélioration en projets concrets. Si les managers rencontrés sont concients des difficultés liées au travail avec des équipes distantes, puisqu’ils dirigent plusieurs sites à la fois en tant que cadre cross border, ils ne perçoivent que de façon lointaine le mal-être qui s’est installé au sein des équipes luxembourgeoises, peu habituées à être gérées principalement via le téléphone et le courrier électronique.

Avoir son chef à soi

Dans les entreprises que nous avons observées, le fonctionnement par l’urgence ainsi que les occasions très ponctuelles de participation, nous entendons par là les possibilités de donner son avis quant au fonctionnement notamment, invitent à considérer la mise en place d’un groupware comme un moment de communication privilégié. Nous avons en effet pu observer une intensification des interactions entre les acteurs et leur responsable direct lors de ces périodes. Plus précisément, le groupware présenté comme une solution destinée à résorber un déséquilibre dans l’organisation, autorise et facilite les discussions concernant le fonctionnement de l’entreprise ou du département. Ces discussions à l’ordinaire entre collaborateurs trouvent ainsi un écho au niveau du management. Pour les collaborateurs, c’est l’occasion de formuler des opinions, mais aussi des idées d’amélioration témoignant ainsi de leur engagement au niveau de l’entreprise. Pour les managers investis de la mission de favoriser l’appropriation du groupware,  ces moments de communication acquièrent une priorité plus élevée, ils y accordent donc davantage de temps. Si pour le collaborateur il s’agit à travers ces discussions de manifester son engagement et sa participation à la vie de l’entreprise, elles lui fournissent aussi l’occasion de négocier la place et le rôle du groupware et par principe de symétrie, leur propre rôle et place dans l’entreprise. Ces négociations, dont le but est de trouver un arrangement acceptable, sont constitutivent des processus d’appropriation. « L’engagement humain est d’abord et avant tout un processus de négociation de sens » signalent Etienne Wenger et Fernand Gervais (Wenger, Gervais460, 2005 : 59). En effet, c’est par le test, l’adaptation en situation que le sens émerge. De façon générale, l’idée de négociation renvoie à celle d’accord, donc d’interaction avec un actant humain, mais « elle peut également décrire une action qui exige une attention constante et une adaptation, comme « négocier un virage » (ibid). Ces deux aspects sont convoqués dans les processus d’appropriation des groupwares : trouver un accord pour la réponse à la question « pourquoi un groupware ? » et négocier la prise en main, l’apprentissage de l’outil. La négociation s’apparente à un processus de décision. Par ailleurs, « la négociation suppose un jeu de pouvoir et de contre-pouvoir autour d’un problème à résoudre. […] La négociation, du fait d’enjeux explicités, généralement conflictuels, est un espace-temps où prédomine le registre utilitariste et stratégique. » (Bernard Fusulier, 2005461). Les négociations lors de l’introduction d’un groupware redonnent un poids à l’usager puisque c’est bien l’appropriation de l’outil qui est mise en jeu au final. Autrement dit, les résultats des négociations, ont une influence sur la constitution du projet d’usage fommenté par l’individu. Pour Henri Pierre Jeudy462(1996), la négociation est exclusivement de l’ordre de la croyance : « On veut croire en elle, parce que sans elle, il n’y a plus rien. Malgré les simulacres et les perversités qui la soutiennent, la négociation demeure le fruit d’une espérance partagée, parce qu’elle donne l’apparence d’une réciprocité des échanges humains. Toutes les illusions sur le rapport à l’autre s’engouffre dans un tel modèle de communication qui laisse ainsi croire à un minimum de respect. Même conduit avec l’esprit le plus retors, l’acte de négocier demeure le plus petit dénominateur commun d’une éthique universelle. » La négociation donne confiance à l’individu, une confiance nécessaire à l’appropriation de l’outil.

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