Marguerite Pierry dans les films de Sacha Guitry

Marguerite Pierry dans les films de Sacha Guitry

Elle attendit longtemps pour jouer dans les films de Sacha Guitry et ce n’est que juste avant la guerre qu’il pensa à elle à une époque assez angoissante où chacun sentait bien que la guerre allait éclater. En effet, le tournage d’Ils étaient neuf célibataires commença le 31 mai et la guerre, évoquée dans le film éclata en septembre. Les rapports de travail de Sacha avec Marguerite Pierry eurent donc toujours pour cadre des périodes critiques : la déclaration de guerre, l’Occupation, la période, affreuse pour lui, de la Libération et enfin celle où il commença à comprendre que ses jours étaient comptés. Lors de la seule incursion qu’elle fit dans son théâtre, avant la guerre, elle participa à Châteaux en Espagne en 1933 et cette année-là non plus n’était pas excellente, en Allemagne ou ailleurs. Il lui confia alors le rôle assez grotesque et finalement mélancolique d’une actrice incompétente. La différence avec certaines autres actrices de Guitry, c’est qu’elle avait connu, comme Marguerite Moreno, une carrière brillante avant de le connaître. Au fond elle n’avait pas besoin de lui car elle était également la femme d’un brillant metteur en scène, bon acteur et parfois directeur de théâtre efficace qui lui trouvait et parfois lui offrait des rôles intéressants. Nous nous demanderons donc, pour chacun de ces films, si elle est différente chez Guitry, ou non, de ce qu’elle est dans ses autres pièces et les autres films. Nous tenterons de voir aussi si Guitry tient compte ou non de sa persona. Ne fait-il qu’utiliser sa persona sans créer autre chose ? Qu’apporte-t-elle au film (et à son auteur) et que lui apporte-il ?

La directrice joviale d’une « Maison Tellier » 

 Ils étaient neuf célibataires (1939) Le gouvernement ayant décidé de renvoyer tous les étrangers à la frontière, la solution pour les femmes célibataires, c’est de trouver un mari français. On choisira des clochards prêts à les épouser mais ce sera un mariage blanc, car après la cérémonie, elles ne reverront plus jamais leur époux d’un jour.Geneviève de Séréville, Marguerite Moreno, Betty Stockfeld, Elvire Popesco et Princesse Chyo épouseront respectivement de vieux messieurs qui sont presque tous des clochards : André Lefaur, Max Dearly, Victor Boucher. Aimos, et Sinoël. Isabelle Patureau, elle, dirige une maison close (Marguerite Pierry). Elle épousera Adhémar de la Jonchère (Saturnin Fabre) et sera comtesse. Un escroc, Jean Lécuyer, (Guitry) organise tous ces mariages blancs mais l’hospice où vivent les ex- clochards, désormais mariés, ferme soudainses portes et ils partent à la recherche de leurs épouses. L’un est bigame (Aimos), l’autre redoute ses gendres policiers (Dearly), le troisième (Lefaur) accepte de divorcer car sa femme est amoureuse d’un autre. Un quatrième (Sinoêl) jouera dans un cirque avec sa femme. Le comte (Saturnin Fabre) prendra en mains le bordel de sa femme (Marguerite Pierry) et Jean Lécuyer ( Guitry) épousera finalement Elvire Popesco qui n’était pas vraiment mariée. On se rappelle la phrase de Ginette Vincendeau parlant de Gabin « La star doit contenir des éléments de son « type » qui provient des personnages précédents à la fois dans leur diversité et dans leur continuité138.» Bien entendu Marguerite Pierry n’est pas une « star » mais ce qui est dit de Gabin peut tout de même lui être appliqué car, dans le rôle d’Isabelle Pâtureau, tenancière de maison close, elle fait une entrée peu conventionnelle dans le cinéma de Guitry. Ce rôle est similaire à ceux qu’elle a joués parfois précédemment. Sa persona comporte en effet un rapport évident à la sexualité et Guitry en est bien conscient quand il la choisit. En effet, dès son premier rôle à succès La Fleur d’oranger (1924), nous l’avons vu, elle tenait des propos audacieux sur la vie intime des amoureux. Dans Le Trou dans le mur, ses « expansions amoureuses débridées » eurent beaucoup de succès dit-elle. (cf note 107). Dans La Pâtissière du village (1932), elle tenait déjà un bordel à soldats.

Une ouvreuse sans texte 

 La loi du 21 juin 1907 (1942) Gertrude (Arletty) est furieuse contre son père qui refuse son mariage avec Gaston (Fernand Gravey).Maitre Blanc-bec (Fernand Ledoux) qui est dans la salle apparait un l’écran dont il va bientôt descendre, tel Woody Allen dans La Rose pourpre du Caire (1985) et annonce aux 504 amoureux que la loi du 21 juin 1907 les autorise à se marier sans l’accord de leurs parents. Il retourne ensuite dans la salle où travaille l’ouvreuse (Marguerite Pierry). Le film est présenté une seule fois, le 28 mars 1942, et il semble bien qu’il soit perdu. Ce n’est pas la première fois que Guitry mêle, comme ici, réalité et fiction. Déjà dans Quadrille (1937), il avait demandé aux acteurs de jouer, un jour, une partie du script sur l’écran et une autre sur la scène Dans Toâ, Lana Marconi, épouse de Guitry mais aussi sa maîtresse dans la pièce, jouait un rôle dans la salle et pénétrait ensuite sur la scène. Les décors de la maison de Guitry étaient souvent transportés sur scène. Ses tableaux personnels paraissaient sur la scène où à l’écran, quels que soient les époques et les contextes : le portrait du jeune Zamore, par exemple, est partout dans ses films. Marguerite Pierry n’a ici qu’un rôle très modeste. Elle est ouvreuse et elle apparaît dès le deuxième plan du film pour vendre des esquimaux. Sur l’écran, Arletty se met en colère car Marguerite ne s’est pas aperçue que le film avait commencé. Elle dit « Demandez des esquimaux ! Qui veut des esquimaux ? », et « Oh Pardon, Madame, excusez-moi ! ». L’année d’avant, elle jouait dans Vive l’empereur et Guitry lui donnera bientôt une très belle scène dans Donne-moi tes yeux (1943). Mais elle ne rejouera pour Guitry au cinéma que dans Le Comédien, six ans plus tard, en 1948. On est très loin ici de l’inoubliable d’Isabelle Patureau 

Une tragédienne : Donne-moi tes yeux (1943)

 Pendant l’Occupation allemande, Bressolles (Guitry), sculpteur consacré, tombe amoureux d’une jeune fille Catherine Collet (Geneviève de Séréville). Il devient peu à peu aveugle et tente donc d’éloigner de lui la jeune fille en feignant l’indifférence mais elle découvrira finalement la vérité et se consacrera à lui quand elle aura compris qu’elle lui est indispensable. Au moment où il découvre sa cécité, Bressoles sollicite l’aide de Mademoiselle Thomassin (Marguerite Pierry) dont le métier consiste à s’occuper d’aveugles. Elle ne rencontre aucun des protagonistes du film et ne dispose qu’une seule scène avec Guitry, au cours de laquelle elle lui apprend, avec beaucoup de droiture et d’humanité, quel type de comportement il doit adopter A première vue, dans ce film, il semblerait que Guitry ne tienne guère compte de la persona de Marguerite Pierry qui est presque toujours présentée soit comme une actrice comique élégante mais un peu « borderline », soit comme une mégère venimeuse et inquiétante. Guitry lui a vraiment donné ici une nouvelle chance. Il la démaquille et lui retire les vêtements élégants d’Isabelle Pâtureau. Elle ne garde qu’un grand chapeau noir 505 en équilibre instable sur sa tête, ce qui surprend avec sa tenue austère mais un petit chignon étriqué lui barre la nuque. 

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