Pour une analyse des associations sportives en milieu rural à travers l’angle des connectivités

Pour une analyse des associations sportives en milieu rural à
travers l’angle des connectivités

La question du lien social en sociologie : entre individu et société

Dans ses travaux, Pierre Bouvier225 analyse l’histoire du vaste spectre que recouvre l’expression « lien social » dans les sciences humaines et propose une ouverture vers des questionnements nouveaux. L’auteur retrace l’histoire de la pensée intellectuelle des philosophes tels que Rousseau ou Hobbes autour de la question sociale. Il démontre que cette notion a toujours préexisté au mot, mais qu’elle prit de l’importance quand elle devint objet d’une discipline nouvelle : la science de la société. Pour l’auteur, la sociologie s’inventa en même temps qu’elle inventa l’expression « lien social ». Or, le concept et son objet paraissent difficiles à cerner en raison de l’association des termes « lien » et « social » qui, d’un point de vue étymologique peut paraître redondante226. Pour Pierre Bouvier, le lien social « apparaît plutôt comme un moyen que comme une fin, celui de regrouper, en interne, des affidés en nombre suffisant.227 » Il s’agit alors de dégager les pratiques génératrices que les individus et les collectifs mettent en place, élaborées dans l’entre-soi et pour soi. L’auteur distingue trois catégories fondamentales de liens impliquant soit de la positivité, de la négativité ou une neutralité. Les liens sociaux positifs désignent des relations orientées vers l’émancipation, la liberté, l’égalité, la solidarité. Ils s’inscrivent plutôt dans les perspectives de Locke, Rousseau, Durkheim. Les liens sociaux négatifs s’attachent plutôt au conflit et renvoient à Marx ou Bourdieu avec des situations contraignantes, des rapports de domination etde subordination. Les liens sociaux neutres se présentent comme vecteurs et pratiques, permettant aux individus de s’exprimer et d’atteindre les buts qu’ils se sont fixés, liens instrumentalisés par la finalité que poursuit l’individu : Weber, Goffman, Boudon228. Ainsi, dans une acceptation générale, le lien social pourrait être défini comme un ensemble de forces (analysant des rapports) ou de caractéristiques (décrivant des traits) ou des mécanismes (étudiant les interactions) qui permettent de relier les individus entre eux et, simultanément, de rattacher chaque individu à une collectivité. Le lien social décrit le mode selon lequel un individu invente en même temps qu’il reproduit son intégration dans les groupes auxquels il participe. Par ailleurs, nous observons une montée en puissance des travaux traitant de cette problématique du lien social avec des questionnements autour de leur forme et de leur évolution. Toutefois, la particularité de ces travaux porte essentiellement sur une impression de dégradation, de décomposition et d’affaiblissement de ces liens. C’est comme si un vent de crise était en train de souffler229, comme si les changements sociaux entraînaient une glaciation des relations sociales dont le réchauffement passerait par la convivialité, notamment par les mouvements associatifs, censés être autant de facteurs de restauration du lien social. Pour Henri Mendras, le lien social est entré dans les discours de tout un chacun, notamment dans les expressions de perte, d’érosion, d’effritement des logiques d’attachement. « Dans les dictionnaires des idées reçues, le lien social est apparu récemment230. Tout le monde aujourd’hui s’accorde à penser que « le lien social » se distend, s’affaiblit, se délite…231 ». Pour autant, cette question du lien social est un phénomène plus ancien et date du tournant du XIXème au XXème siècle. Cette question demeure au centre des théories empreintées aux pères fondateurs de la sociologie inséparable d’une vision historique de la société et des conditions du changement social de longue durée. Ferdinand Tönnies, Emile Durkheim, Max Weber et surtout Georg Simmel appréhendent dans leurs travaux la place occupée par le lien social dans la compréhension des phénomènes sociaux et notamment du passage d’une société traditionnelle à une société dite moderne. Pour Dominique Schnapper, comme pour d’autres intellectuels232, le projet sociologique est né à cette période de ce questionnement et de « l’inquiétude sur la capacité d’intégration des sociétés modernes : comment entretenir ou restaurer les liens sociaux dans les sociétés fondées sur la souveraineté de l’individu ?

Les associations sportives en milieu rural : support de connectivités 

Des « institutions intermédiaires » 250 productrices de liens sociaux Cette forme de vie collective en matière de sport produit de la solidarité sociale au sein des localités. Elles constituent des « institutions intermédiaires251 » au sens de Renaud Sainsaulieu. Les institutions intermédiaires sont des instances de socialisation, de construction identitaire et de lien social renvoyant également à l’influence exercée par un collectif sur les conduites et les modes de pensée de ses ressortissants. Cette position intermédiaire, entre la sphère de l’Etat et celle de la société civile, confère aux associations sportives une légitimité institutionnelle en tant qu’organisme productif. D’une manière générale, les institutions intermédiaires s’inscrivent dans une dynamique de « reliance252 » qui renvoie au processus de création du lien social entre l’individu et un acteur social collectif. Autrement dit, l’association crée des ponts, des médiations permettant de relier des entités différentes entraînant la création ou la recréation d’une forme de liant social. Parallèlement, le domaine sportif est perçu comme un « modèle idéalisé de lien social253 ». Pour Michel Bouet, la recherche d’un réseau de relations avec autrui, ce « besoin d’affiliation », fait partie des motivations de base des pratiquants de sport ; il joue un rôle fondamental dans l’activité sportive254. Dans le même temps, partant du fait que le sport est un phénomène humain signifiant, il identifie différentes fonctions aux pratiques sportives dont « la fonction de relations interpersonnelles ». Pour lui, le sport crée des relations sociales dont la fonction s’étend au-delà du cadre de la pratique. « Le sport fournissant des relations interpersonnelles dont il a lui-même besoin, celles-ci constituent donc une fonction qu’il assume pour l’humanité en même temps que pour lui-même255 ». Le club sportif semble donc être un modèle dans la production de relations interindividuelles. En effet, pour lui, « les relations interpersonnelles entre sportifs sont sensibles dans les clubs, ces cellules de la vie sociale du sport – « grandes familles » aime-t-on à répéter (…)256 ». Lieux où convergent les adhésions volontaires, des formes de participation 257 et d’implication plus ou moins fortes, les associations sportives en milieu rural sont des lieux où s’établissent des échanges sociaux, des relations d’interconnaissance. Les associations sportives en milieu rural constituent donc un « microcosme » 258 des formes d’attachement entre individus. Elles permettent de créer du lien social au sein de cet espace rural en mutation.

Les différentes formes du lien social au sein des associations sportives en milieu rural

Ce type de discours autour d’une construction naturelle de lien social au sein des associations sportives tend à se généraliser dans la sphère publique et à devenir une « catégorie de pratique » 259 sociale et politique. Nous l’avons vu en introduction, ces rôles sont encore très forts aujourd’hui et bénéficient de la vigilance des grandes institutions à le conserver. Toutefois, la prégnance de l’usage qui est fait de nos jours de l’expression « lien social » comme catégorie de pratique n’implique pas que nous devions en faire usage comme catégorie d’analyse. Le seul emploi de ce terme comme catégorie de pratique ne suffit pas à en disqualifier l’emploi comme catégorie d’analyse260 sous peine d’avoir un vocabulaire pour l’analyse sociale plus pauvre et artificiel qu’il ne l’est. Concernant ce concept de « lien social », la théorie sociologique souffre d’une faiblesse essentielle : elle reste insuffisante pour saisir finement les formes d’affiliations, notamment sportives. D’un point de vue quantitatif, il s’agit généralement de comptabiliser un nombre d’interlocuteurs pour cerner un réseau social261 ou de mesurer la fréquence des activités collectives (nombre d’adhésions associatives, fréquence des sorties262, etc.) pour apprécier les formes de liens sociaux, notamment en terme de sociabilités263. Mais connaître la répétitivité d’une rencontre nous renseigne relativement peu sur la qualité, la nature des relations, le déroulement des interactions. La corrélation entre une fréquence de contact et l’intimité d’un lien n’est que très approximative. Comme le souligne Clotilde Talleu264, ce n’est pas parce qu’on rencontrera une personne très régulièrement que la relation sera forcément intense, proche de l’amitié. Inversement, nous pouvons rencontrer certaines connaissances qu’épisodiquement et entretenir avec elles un rapport beaucoup plus intime. Sur ce point, nous pouvons relever l’apport de la sociologie économique qui nous permet de relier les interactions microsociales et les phénomènes macrosociaux. Les travaux de Mark Granovetter, plus particulièrement, proposent de mesurer la force des liens sur une base de quatre critères : la durée de la relation, l’intensité émotionnelle, les services réciproques que se rendent les partenaires et la multiplexité de la liaison, c’est-à-dire la pluralité des contenus de l’échange265. La vision de la structure sociale du chercheur est appelée aussi la théorie des liens faibles. Il montre que sa force est bien évidemment faible mais d’un point de vue structurel, ce lien constitue une base d’échange, de rencontre et de communication forte et davantage disposée à l’interaction ou au lien social qu’un lien fort. Ils apparaissent comme indispensables aux individus pour saisir des opportunités, notamment professionnelles, et pour l’intégration sociale. Au contraire, les liens forts engendrent de la cohésion sociale entre les groupes, se traduisant par une forte structuration de l’ensemble sociale.

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