Précision des objectifs de recherche: cahier des charges du modèle et questions d’intérêt scientifique

Présentation générale du cycle de l’azote en forêt :

L’azote est un élément nutritif majeur limitant la production primaire des écosystèmes terrestres et aquatiques (Vitousek and Howarth, 1991). La production primaire en milieu forestier est donc fortement influencée par le cycle de l’azote, et en particulier par les différentes voies d’entrée d’azote assimilable par les plantes (azote ammoniacal, nitrates, acides aminées). Trois principales sources d’approvisionnement sont identifiées (Galloway et al., 2004, Figure 4 ci dessus): 1) les dépôts atmosphériques, 2) l’utilisation d’engrais azotés (produits à partir du diazote atmosphérique par le procédé de Harber-Bosch), et 3) la fixation biologique d’azote (la majorité de la fixation résultant de la symbiose entre les plantes légumineuses et les bactéries du genre Rhizobium). Les dépôts atmosphériques sont de deux types: des oxydes d’azotes formés lors de la combustion des matériaux fossiles contenant de l’azote organique ou par oxydation du diazote lors de l’émission importante de photons accompagnant la foudre; et de l’ammoniac volatilisé à partir des exploitations agricoles (engrais et déjections animales). Notons que dans certaines forêts situées en aval de zones agricoles fortement fertilisées, les apports de nitrates par les eaux souterraines peuvent être importants (Bravo and Hill, 2012).

Le cycle interne de l’azote dans l’écosystème forestier (Figure 4) implique l’assimilation par les plantes et la production de biomasse, puis le recyclage de la litière et de la matière organique par les champignons mycorhiziens (produisant essentiellement des acides aminés) (Lindahl et al., 2007) et par des bactéries ammonifiantes puis nitrifiantes (Schulze, 2000). Les pertes d’azote du système (Figure 4) sont liées au lessivage dans les eaux souterraines, aux bactéries dénitrifiantes en conditions anaérobiques, et aux exportations de la biomasse récoltées (Schulze, 2000). Les pertes par drainage sont surtout importantes en forêt cultivée, où il y a une augmentation importante de la minéralisation de l’azote organique après coupe rase et travail du sol (Dahlgren and Driscoll, 1994; Kreutzweiser et al., 2008). Enfin si la forêt est exploitée pour sa production de bois, l’azote organique contenu dans la biomasse est perdu lors de l’exportation. Dans les écosystèmes terrestres, la fixation biologique permet la création d’une quantité d’azote biodisponible équivalente à celle apportée par l’utilisation des engrais azotée (soit environ 100 Tg.an-1 d’azote, Galloway et al., 2004). La fixation biologique est d’autant plus importante en milieu forestier (e.g. Busse et al., 2007; Roggy and Prevost, 1999; Sanborn et al., 2002) où l’utilisation d’engrais azoté est nulle en forêt naturelle et limitée en forêt cultivée (e.g. Loustau et al., 1999). Les apports via les dépôts atmosphériques sont généralement plus faibles (Galloway et al., 2004), et les apports via les eaux souterraines sont limitées aux forêts dont les eaux souterraines communiquent avec des zones agricoles en amont fortement fertilisées.

La reproduction

L’ajonc est une espèce itéropare qui se reproduit tous les ans dès l’âge de 2 ans (Clements et al., 2001). Les bourgeons floraux se développent à partir du méristème à la base des épines des rameaux chlorophylliens (Tarayre et al., 2007). Même si l’autofécondation est possible, les fleurs doivent être visitées par des insectes pollinisateurs (principalement Apis mellifera et Bombis terrestris) pour que la fécondation ait lieu. Cependant il a été montré que la reproduction de l’ajonc d’Europe n’était pas limitée par les visites de pollinisateurs dans son aire d’origine (Bowman et al., 2008), incluant le massif landais, zone importante d’apiculture (Strange et al., 2007). Le nombre moyen d’ovules par gousse est proche de 10 (Gutierrez et al., 1996), mais une minorité se développe pour donner des graines. En effet, plusieurs études indiquent en moyenne entre 3 et 4 graines par gousses, que ce soit en milieu natif ou invasif (Barat et al., 2007; Rees and Hill, 2001; Tarayre et al., 2007). Ces graines sont arrondies et pèsent 6 mg pour un diamètre de 2 mm (Clements et al., 2001). Rees et Hill (2001) rapportent en milieu invasif des productions de graines par des peuplements matures d’ajonc très variables, et pouvant atteindre plus de 30 000 graines.m-². Les sources possibles de variation de la production des graines identifiées dans la littérature sont:

1) le polymorphisme de floraison. La phénologie de floraison de l’ajonc est très variable. Ce polymorphisme a un déterminisme en partie génétique (Atlan et al., 2010). Sur la façade atlantique, il se traduit par des individus à périodes de floraison et fructification longues (de l’automne au printemps), et d’autres individus à floraison courte uniquement concentrée au printemps (Tarayre et al., 2007). La floraison longue permettrait d’échapper à deux insectes dont les larves se nourrissent au printemps des graines d’ajonc durant leur maturation à l’intérieur des gousses: le charançon Exapion ulicis et le papillon Cydia succedana (Barat et al., 2007). Mais en hiver, le risque d’avortement et de pourrissement des graines est plus fort (Bowman et al., 2008). Le polymorphisme aboutirait donc à une stratégie de diversification des risques entre la rigueur de l’hiver et l’activité des prédateurs au printemps (Tarayre et al., 2007). Il semblerait que les climats plus doux favoriseraient la présence des phénotypes à floraison longue (Hill et al., 1991), mais dans le massif landais, la grande majorité des individus ont une floraison courte au printemps (Augusto, comm. pers.).

2) La reproduction dépendante de la taille des individus et de l’allocation des ressources à la reproduction. La production des organes reproducteurs consomme des carbohydrates et des nutriments fournis par l’appareil végétatif des plantes. Il existe donc des relations universelles dans le règne végétal entre la taille des individus et leur performance de reproduction qui augmente au cours de leur croissance (Niklas and Enquist, 2003). Selon la richesse en ressources de l’environnement dans lequel les plantes évoluent, des changements de taux de croissance permettront d’aboutir à des plantes de tailles différentes, et cela impactera indirectement le nombre de graines qui seront produites (Weiner, 2004). Lorsque l’accès aux ressources est limité, les différentes fonctions que la plante doit assurer, et qui consomment ces ressources (e.g. croissance, reproduction, lutte contre les prédateurs), peuvent interférer entre elles. Par conséquent, la possibilité pour les plantes de modifier leur allocation à la reproduction en réaction directe à des variations environnementales pourrait être une capacité adaptative importante (Weiner et al., 2009a). Cela pourrait permettre d’ajuster de manière optimale l’investissement des ressources dans la reproduction au niveau des ressources disponibles, sans compromettre les autres fonctions et la survie de la plante (Obeso, 2002). Chez les plantes ligneuses, s’il est clair que les performances de reproduction sont liées à la taille des individus (Dodd and Silvertown, 2000; voir aussi Stokes et al (2004b) pour une espèce proche, l’ajonc nain), et à l’influence indirecte de l’environnement sur leur taux de croissance (e.g. Debain et al., 2003; Jennings and Baima, 2005), leur capacité à modifier directement leur allocation à la reproduction est peu connue.

La prédation des graines avant la dispersion

Le charançon Exapion ulicis est un prédateur spécifique de l’ajonc d’Europe. Les adultes se nourrissent du feuillage ou des fleurs de l’ajonc d’Europe, et les femelles pondent au printemps exclusivement dans ses gousses (Barat et al., 2007). Le papillon Cydia succedana a aussi une forte préférence pour l’ajonc d’Europe, mais étant bivoltin (i.e donnant deux générations par an), les femelles pondent aussi sur des gousses d’ajonc nain qui mûrissent à l’automne (Hill and Gourlay, 2002). Ces deux insectes sont responsables de la destruction d’une part importante des graines avant leur dispersion, mais les gousses produites en dehors des périodes de reproduction des prédateurs sont non infectées (voir paragraphe précédent). Au printemps, les taux d’infection indiqués dans la littérature pour la façade atlantique vont de 30 à 80 % de gousses infectées par le charançon, et d’environ 25 % de gousses infectées par le papillon (Barat et al., 2007). Comme pour d’autres espèces invasives (Ghazoul, 2002), l’absence des prédateurs de graines dans les zones introduites est avancée comme une des raisons importantes du caractère invasif de l’ajonc d’Europe (Hornoy et al., 2011; Rees and Hill, 2001).

Ces prédateurs ont donc été introduits dans les zones invasives dans le cadre de la lutte biologique contre l’ajonc, en particulier en Nouvelle-Zélande (Hill et al., 2000). Mais les taux d’infection reportés sont très variables (Hill et al., 1991) et rarement élevés (e.g. Cowley, 1983 (35 %)). Là encore, les décalages entre la phénologie de reproduction de l’ajonc, et celle des prédateurs expliquent en partie les faibles taux de prédation (Hill et al., 1991; Sixtus et al., 2007). Dans notre contexte landais, où la majorité des ajoncs ont une floraison courte au printemps, les phénologies de reproduction de la plante hôte et de l’insecte prédateur correspondent. Les variations possibles des taux de prédations pourraient donc avoir plusieurs autres origines: 1) Les gradients environnementaux influencent la performance de reproduction des plantes, et donc la densité de la ressource pour les prédateurs. Cette densité peut influencer l’activité des prédateurs, pouvant être attirés par une ressource abondante (e.g. Moravie et al., 2006), mais aussi incapables de maintenir des taux de prédations élevés quand la ressource augmente abondamment (i.e. satiété, Jones and Comita, 2010). Les modifications abiotiques de l’environnement (e.g. lumière, température) peuvent aussi directement influencer le comportement des insectes (Herrera, 1995). 2) Par ailleurs, les femelles des 2 insectes sont en compétition pour l’accès à une même ressource (ici les gousses d’ajoncs disponibles pour la ponte).

Elles peuvent perdre du temps et de l’énergie dans cette compétition (Ives et al., 2005). Ainsi la somme totale de la prédation correspondrait à un « Effet Prédateurs Multiples », et ne pourrait pas être interprétée comme la somme de l’action des 2 prédateurs agissant seul (McCoy et al., 2012). 3) Enfin, les larves étant confinées dans l’environnement choisi par les femelles lors de la ponte, l’hypothèse de « préférence – performance » indique que les femelles pondent dans des sites où leurs larves ont un maximum de chance de réussir à atteindre le stade adulte (Gripenberg et al., 2010; Jaenike, 1978). Ainsi, comme suggéré par Barat et al (2007), les gousses d’ajonc ayant un nombre plus important de graines en développement pourraient être préférées lors de la ponte, car elles fournissent une quantité de nourriture plus importante pour le développement des larves.

Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre 1: ETAT DE L’ART
L’écosystème landais et la sylviculture du pin maritime
L’ajonc d’Europe: écologie et cycle de vie dans le contexte de la sylviculture du pin maritime
Modélisation de la dynamique des populations végétales, modèles d’espèces de sous-bois et modèles dédiés à la dynamique de l’ajonc d’Europe
D. Précision des objectifs de recherche: cahier des charges du modèle et questions d’intérêt scientifique
Chapitre 2: MATERIEL ET METHODES
La démarche expérimentale vue dans son ensemble
L’étude de la fécondité des ajoncs d’Europe
L’impact de la prédation
Chronologie du protocole suivi pour l’étude de la fécondité et de la prédation
Facteurs influençant l’émergence et le développement des plantules d’ajoncs en phase pionnière
Chapitre 3: RESULTATS
A. Plasticity of reproductive allocation of a woody species (Ulex europaeus) in response to variation in resource availability
B. Multi-scale analysis of pre-dispersal seed predation of gorse (Ulex europaeus) by the weevil Exapion ulicis and the moth Cydia succedana along a light and a density gradient: implications for biological control
C. Spatiotemporal variability of the recruitment of a leguminous shrub: the contribution of Hutchinson to the regeneration niche concept.
Chapitre 4: MODELE CONCEPTUEL, CHOIX DES FORMALISMES ET DEFINITION DES PARAMETRES
A. Présentation du modèle conceptuel
B. Description du modèle étape par étape: choix des formalismes et définition des paramètres:
Chapitre 5: DISCUSSION GENERALE ET PERSPECTIVES
A. La dynamique des populations d’ajoncs dans la parcelle de pins maritimes, originalité et avancement de la démarche de modélisation
B. L’ajonc d’Europe, un modèle d’étude pour la recherche en écologie
C. Apports pour l’écologie de la régénération des ligneux
D. Perspectives
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

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