Se réintégrer socialement dans une communauté d’après-guerre

Le système des pensions

Avant l’établissement du ministère des Pensions en 1916, les pensions avaient été attribuées par les différentes branches des services de l’armée sur une base discrétionnaire plutôt que statutaire. Avec l’introduction de la conscription en 1916 la question de la responsabilité de l’État vis-à-vis des soldats blessés se posa. Le Royal Warrant de 1917 établit un ministère centralisé dont le but était de coordonner le traitement médical et la réintégration économique des hommes blessés au combat . Le Royal Warrant marqua un changement radical dans l’octroi des pensions à travers l’introduction du concept des pensions en tant que compensation pour handicap physique. Selon Jessica Meyer cette pratique reflétait le fait que l’homme était considéré comme un instrument de travail davantage que comme un être humain aux yeux du gouvernement.
Le ministère des Pensions administra des pensions de guerre et des indemnités aux hommes ayant combattu et ayant des personnes à charge. Cependant, les pensions versées aux vétérans blessés furent souvent source d’incompréhensions et pouvaient parfois être perçues comme inégales.
Le 22 janvier 1921, George Lansbury 202 écrit un article dans le Daily Herald dans lequel il fait part des problèmes concernant le système de pensions.

Les formations et résultats

Afin d’aider les hommes dans leur retour à la vie active, différents ateliers de travail furent mis en place. Le gouvernement, les hôpitaux, les associations de vétérans et les œuvres caritatives se mobilisèrent à différents niveaux afin de proposer le système de réinsertion suivant dans la vie active.

Les formations proposées par des professionnels du métier

Le ministère des Pensions avait pour but d’organiser des formations et de trouver des emplois pour les anciens combattants. Les formations étaient seulement attribuées aux hommes n’ayant pas la condition nécessaire à la reprise de leur poste d’avant-guerre. Elles n’étaient pas obligatoires car le ministère pensait qu’elles seraient vraiment efficaces si les soldats venaient de leur plein gré. Si cette idée semblait raisonnable, elle contribua au faible taux de souscriptions aux formations. Selon Sir Matthew Nathan, secrétaire au ministère des Pensions à l’automne 1917, il était estimé qu’entre 50 et 60 pour cent des soldats blessés bénéficieraient de ces formations, mais seulement 15 pour cent désiraient y participer. Non seulement les hommes ne voulaient pas suivre ces formations, ce qui entraîna un faible taux de souscriptions, mais le ministère des Pensions s’ajouta aussi au problème. Lorsque les hommes postulaient aux formations, il leur était souvent dit qu’il ne restait plus de place ou bien qu’ils ne pouvaient y participer pour des raisons techniques. De plus, au début, les hommes craignaient une diminution de leur pension s’ils retrouvaient une plus grande aptitude au travail. Cette crainte fut écartée petit à petit, comme le souligne Col. Sir Thomas Oliver, un membre du personnel de l’école de formation Joseph and Jane Cowen pour soldats et marins estropiés à Newcastle-Upon-Tyne. Col. Sir Thomas Oliver note que lorsque les écoles de formation furent ouvertes en 1916, elles avaient beaucoup de difficultés à recruter des hommes pour « venir apprendre un métier. Ils craignaient que leur pension diminuât mais une fois conscients que ce n’était pas le cas et que leur pension au foyer serait couverte par le ministère des Pensions, ils participèrent avec plaisir aux formations ».
Lors d’un discours en mai 1918, le fonctionnaire le plus haut placé dans la hiérarchie du ministère des Pensions déclara, au nom du ministère, que l’assistance rendue par les comités locaux avait été en général très bénéfique. Sans eux et leur touche locale et compatissante, l’administration des pensions aurait été quasi-impossible. Cependant, les comités et le ministère des Pensions suscitèrent également des critiques négatives. Un ancien assistant du ministère des Pensions écrivit :
La constitution de comités paritaires et comités locaux est tout à fait mauvaise. Il n’y a aucun signe de coordination dans leur travail. Les centres de formation sont totalement inadéquats. Les dispositions prises pour trouver un emploi selon le handicap d’un homme sont bloquées par des délais et une surabondance de paperasse… Il y a déjà une masse fourmillante d’hommes congédiés dont la sécurité future n’est pas plus assurée que celle d’un petit enfant qui traverserait une route encombrée… On se demande vraiment si le ministère des Pensions a une quelconque conception de ce que signifie un délai pour un homme en pleine souffrance, en proie au découragement et au désespoir .Dans un article du journal The Oswestry Advertiser datant du 22 mai 1918, l’association Comrades of The Great War dénonce le manque de réaction des autorités locales de la ville d’Oswestry (Pays de Galles) face à un vétéran amputé de sa jambe gauche . Ce vétéran attend depuis sept mois que le comité local de pensions de guerre lui accorde sa pension. Aucune aide ni conseil ne lui ont été donnés dans sa recherche d’emploi ou du moins une possibilité de formation. Le même cas est repris quelques semaines plus tard dans un article du 19 juin 1918.

Une recherche fructueuse, un retour positif

La recherche de travail et le retour à la vie active ne furent pas un échec pour tous les soldats blessés. Le public pouvait aussi lire des récits plus positifs de réhabilitation de vétérans blessés. Dans un article du Pavilion Blues de décembre 1919 , sept vétérans amputés font part de leur expérience à la suite de leur départ de l’hôpital Queen Mary à Brighton. Dans cet article, les vétérans expriment leur gratitude et leur estime envers le directeur des ateliers de travail de cet établissement. Les sept vétérans sont désormais employés par la même entreprise commerciale basée à Londres. Les hommes précisent que leurs services sont appréciés et cela se perçoit dans leurs salaires.

La mise à disposition des prothèses

Les prouesses accomplies en ce qui concerne la fabrication de prothèses sont indéniables. Cependant, la mise à disposition de celles-ci pour les vétérans amputés présenta un aspect plus délicat.
Les vétérans amputés protestèrent en septembre 1925 contre une décision du ministère des Pensions réduisant les choix de prothèses à seulement deux entreprises afin de réduire les coûts du ministère de 10 %429 . Selon un vétéran amputé de la jambe cette décision du ministère est « une pure honte ». Il explique que sa prothèse de jambe a nécessité des études, des modifications pour être adaptée à sa personne. Il déclare ensuite que si les 40 000 amputés actuels doivent recourir aux mêmes études et ajustements que lui à travers seulement deux entreprises de prothèses, cette tâche sera sûrement des plus difficile voire impossible. Il ajoute que :
Ce n’est pas une chose facile pour un homme amputé qui porte une prothèse d’un certain type de s’adapter à cette dernière avec une grande aisance. Cela veut dire des mois de douleurs, de gênes et de contrariétés, ce qu’une personne avec deux jambes ne comprend pas. Il doit y avoir des centaines de cas comme le mien, et c’est une honte que le ministère des Pensions fasse des économies au détriment d’hommes qui ont déjà assez souffert et qui doivent continuer à vivre avec une jambe ou un bras en moins . À la date du 1 er mars 1926, le nombre de pensionnaires mutilés incluant ceux résidant à l’étranger fut environ de 37 100, répartis comme suit.

La vie privée du soldat blessé

À la fin de la guerre on promettait aux recrues une meilleure vie de famille comme récompense pour services rendus . Peu de temps après leur retour, les jeunes soldats célibataires, les pivots de l’armée britannique, se marièrent et fondèrent une famille. Le taux de mariages durant l’entre-deux-guerres était très élevé : 41 % de la population des 15 à 39 ans se mariait . Le mariage était considéré comme bénéfique pour un soldat, lui apportant une certaine stabilité émotionnelle, c’est pourquoi certaines organisations représentant les vétérans blessés encourageaient les femmes à les épouser. La pitié féminine envers les handicapés de guerre devint alors un sujet de débat dans la société britannique tout comme la corporéité masculine et la responsabilité féminine envers les hommes qui s’étaient battus pour le pays . Cette pitié allait indéniablement causer des souffrances pour les hommes et pour leur épouse . Parallèlement, après une longue séparation, d’autres vétérans blessés retrouvèrent leur femme et leurs enfants dont la vie avait continué malgré leur départ au front.
Les normes et les valeurs sociales de l’époque, dont la masculinité, allaient sans aucun doute causer du stress et des tensions au sein de certains foyers comprenant un vétéran blessé.
En 1918, le Bureau de Guerre rédige un communiqué annonçant la délivrance du King’s Certificate on Discharge à tous les soldats démobilisés pour cause de blessures ou de handicaps dus à la Grande Guerre. Ce communiqué explique que ce certificat est une initiative du roi.

Des changements législatifs

Certains changements législatifs concernant le divorce apparurent successivement à la suite de la Grande Guerre. Nous essayerons de savoir si les vétérans blessés eurent un impact quelconque sur ces décisions législatives, de même que nous tenterons de comprendre si ces lois impactèrent les familles comprenant un vétéran blessé.
Le retour de soldats blessés introduisit selon Barham une nouvelle tendance dans l’institution qu’était le mariage . Pour de nombreuses femmes, l’homme qu’elles avaient épousé hâtivement n’était plus le même homme suite à son retour du front. De plus, pour les soldats handicapés, leurs blessures physiques et psychologiques entraînèrent de nouveaux besoins différents de ceux qu’ils avaient au début de leur vie maritale. Barham cite de nombreux cas dans le livre de Jay Winter : Sites of Memory, Sites of Mourning , de mariages d’après-guerre sous la contrainte due aux blessures physiques et plus particulièrement aux blessures psychologiques à long terme des soldats revenant du front.
Les motifs de divorce étaient fondés sur le Matrimonial Causes Act de 1857 qui donnait différentes raisons pour une demande de séparation d’un homme ou d’une femme. Un homme qui voulait divorcer de sa femme avait besoin de présenter un seul motif alors qu’une femme devait en présenter deux. Pour un homme, l’adultère de sa femme suffisait pour prononcer un divorce. Cependant, pour une femme, l’adultère de son mari devait être aggravé par l’inceste, la bigamie, le viol, la sodomie, la bestialité, la cruauté ou la désertion durant deux ans . Le cas du Colonel Maximilian de Bathe décrit dans un article de The Echo en 1920, fut sans aucun doute un cas typique de l’époque. Le colonel obtint le divorce pour cause d’adultère de sa femme Ada Mary de Bathe avec un soldat. Les accusations étaient fondéessur les propos d’un domestique évoquant les constantes visites du soldat Simpson.

Les suicides : des actes au nombre difficile à déterminer

Les statistiques concernant les suicides de soldats blessés durant la période d’aprèsguerre en Grande-Bretagne sont voilées par de nombreux facteurs, parfois inquantifiables, d’où des difficultés à tirer des conclusions précises. Après quatre années durant lesquelles, tous les jours, les journaux publiaient la liste des morts au front, il est compréhensible que les suicides, du fait de leur aspect sensible, fussent cachés au public. Ceci fut renforcé par le Parlement avec le Defence of the Realm Act selon lequel « aucune personne ne devra par bouche à-oreille ou par écrit divulguer des faits qui pourraient être interprétés comme minant le moral des Britanniques ». Les propos de Clive Emsley comme quoi « l’étude des articles de presse au sujet des crimes violents fait transparaître une société luttant avec sa compréhension du genre, particulièrement celui de masculinité, au lendemain d’une guerre industrialisée sans précédent qui tua et blessa des centaines de milliers de jeunes hommes » éclairent la façon dont les suicides de soldats étaient racontés dans la presse. De toute évidence, dans les années d’après-guerre, les suicides de soldats blessés étaient sujets de discorde au sein de la société. Comme le conclut Emsley, « la presse trouvait que ce serait risqué de créer un stéréotype stigmatisé des hommes qui étaient revenus de la Grande Guerre ». Bien que l’analyse d’Emsley ne soit pas centrée sur les suicides, son raisonnement selon lequel « l’image de l’armée britannique avait changé et la nouvelle armée qui, à l’origine, était remplie de patriotisme, de volontaires issus de la classe moyenne, puis renforcée par la conscription » signifiait que le public « voulait s’accaparer le retour des soldats » ce qui est important dans le signalement des suicides. Le manque de sensationnel dans les comptes rendus de suicides était en partie dû à la prise de conscience que « les lecteurs, ceux qui avaient des fils, des frères et des amis qui rentraient au pays, seraient mécontents s’il y avait trop de sensationnel » surtout autour d’un sujet sensible comme celui du suicide.

Table des matières

Remerciements
Résumé
Table des matières
Abréviations 
Liste des figures et tableaux 
Introduction 
Les vétérans blessés en Grande-Bretagne
Contexte historique
État des lieux de la recherche
Méthodologie 
Présentation des sources 
I. La réinsertion dans la vie active 
1. 1. Le contexte politico-économique
1. 1. 1. L’économie de la période après-guerre
1. 1. 2. Le King’s National Roll Scheme
1. 1. 3. Le système des pensions
1. 2. Les formations et résultats
1. 2. 1. Les formations proposées par des professionnels du métier
1. 2. 2. Les vétérans blessés formés dans les hôpitaux
1. 2. 3. Les centres de formation caritatifs
1. 3. Les réactions du public et des blessés eux-mêmes face à leur retour dans la vie active
1. 3. 1. Un appel à la reconnaissance du public
1. 3. 2. La réinsertion des blessés dans la vie active
1. 3. 2. 1. Une recherche difficile
1. 3. 2. 2. La réinsertion professionnelle des soldats blessés : source de tensions
1. 3. 2. 3. Les syndicats
1. 3. 2. 4. Le cas des hommes souffrant de névrose de guerre
1. 3. 2. 5. Une recherche fructueuse, un retour positif
1. 3. 3. Les prothèses : source de bien-être professionnel ?
1. 3. 3. 1. Les prouesses en matière de prothèses
1. 3. 3. 2. La mise à disposition des prothèses
1. 3. 3. 3. Les prothèses et leur maniement
Conclusion
II. La vie privée du soldat blessé
2. 1. Vie conjugale et familiale
2. 1. 1. Le divorce
2. 1. 1. 1. Un changement d’attitude envers le mariage dans l’après-guerre
2. 1. 1. 2. Des changements législatifs
2. 1. 2. Les différentes réactions des proches et des vétérans blessés à leur retour
2. 1. 3. Les représentations du handicap dans la sphère familiale à travers la fiction
2. 2. Suicide
2. 2. 1. Le suicide et le contexte social de l’époque
2. 2. 2. Les suicides : des actes au nombre difficile à déterminer
2. 2. 3. Le thème du suicide influencé par de nombreux aspects culturels et politiques
2. 3. Alcoolisme
2. 3. 1. L’alcool au front
2. 3. 2. Les attitudes envers la consommation d’alcool
Conclusion
III. Se réintégrer socialement dans une communauté d’après-guerre
3. 1. Le statut social du vétéran handicapé
3. 1. 1. L’idée de masculinité
3. 1. 1. 1. Le statut du soldat blessé, relégué au statut d’enfant
3. 1. 1. 2. L’endossement d’un uniforme
3. 1. 2. Le regard des civils
3. 1. 2. 1. Des hommes cachés lors des cérémonies officielles ?
3. 1. 2. 2. Des hommes oubliés de la mémoire populaire
3. 1. 3. Les loisirs et le sport en compétition : un moyen de retrouver une certaine normalité ?
3. 1. 3. 1. La mise en place de dispositifs facilitant la pratique de différentes activités
3. 1. 3. 2. Le sport en compétition : un moyen de retrouver une part de masculinité ?
3. 2. Des blessures dévastatrices et incomprises : le cas des soldats défigurés et des soldats traumatisés
3. 2. 1. Le cas des soldats défigurés
3. 2. 1. 1. Une présence choquante ?
3. 2. 1. 2. Les soldats défigurés exclus de la catégorie des héros
3. 2. 1. 3. Les reconstructions faciales
3. 2. 2. Les blessures psychologiques graves
3. 2. 2. 1. Le terme « shell-shock »
3. 2. 2. 2. Les théories autour des causes de troubles psychologiques
3. 2. 2. 3. L’intervention du gouvernement pour aider les soldats traumatisés
3. 2. 2. 4. Les symptômes des soldats traumatisés
3. 2. 2. 5. Les traitements pour les soldats traumatisés
3. 2. 2. 6. La reconnaissance sociétale des soldats traumatisés
3. 3. Les associations : une aide précieuse pour les vétérans blessés
3. 3. 1. Les associations de vétérans : une influence notable dans la réinsertion sociale des vétérans blessés ?
3. 3. 1. 1. La création d’associations pour vétérans et leurs activités
3. 3. 1. 2. La British Legion
3. 3. 1. 3. La Limbless Ex-Servicemen Association
3. 3. 2. L’importance des associations caritatives
3. 3. 2. 1. St Dunstan’s
3. 3. 3. 2. La Disabled Society
3. 3. 3. 3. La Star and Garter Home
3. 3. 3. 4. La Ex-Services Welfare Society
3. 3. 3. 5. La Not Forgotten Association
3. 4. Les représentations visuelles et littéraires des soldats blessés
3. 4. 1. Les affiches : des illustrations créées dans la retenue ?
3. 4. 2. Les cartes postales : une image déguisée des blessés de guerre ?
3. 4. 3. Les peintures de blessés sous l’influence d’une sobriété ?
3. 4. 4. La représentation des vétérans blessés à travers le cinéma britannique : le reflet d’une censure ?
3. 4. 5. Le statut social du vétéran dans la littérature
Conclusion 
Conclusion générale
Bibliographie 
Index 

projet fin d'etude

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