Sélection et caractérisation agro-morphologique de nouvelles variétés de Niébé (Vigna unguiculata (L.) Walp.) issues d’une mutagénèse induite aux rayons gamma

Généralités sur le Niébé

Position systématique : Le Niébé [Vigna unguiculata (L.) Walp.] est une Dicotylédone appartenant à l’ordre des Fabales, à la super famille des Leguminoseae, à la famille des Fabaceae, à la tribu des Phaseoleae, au genre Vigna, à la section Catiang, à l’espèce Vigna unguiculata et à la sous espèce unguiculata. L’espèce Vigna unguiculata est diploïde (2n = 22) et la taille de son génome est estimé à 620 Mb (Arumuganathan et Earle, 1991). Le genre Vigna est pantropical, relativement hétérogène et comprend plus de 100 espèces sauvages. Il compte cinq (5) sous-genres (Haydonia, Lasiospron, Vigna, Plectrotropis, et Ceratotropis,) reconnus actuellement (Takahashi et al., 2016) et 10 espèces domestiquées à partir des sous-genres Vigna, Plectrotropis et Ceratotropis (Schrire, 2005; Takahashi et al., 2016).
La subdivision en sous-genres est basée sur les caractéristiques morphologiques, l’étendue de l’hybridation génétique/reproductive, l’isolement, la répartition géographique des espèces (Maréchal et al., 1978) et moléculaires (ADNcp) (Vaillancourt et Weeden, 1992).
Actuellement l’approche la plus utilisée pour la taxonomie des formes cultivées est celle proposée par Westphal (1974) qui utilise le rang de cultivar-groupe. Les formes cultivées ont été divisées en cinq Cultigroupes (Unguiculata, Biflora, Sesquipedalis, Textilis et Melanophthalmus) basés principalement sur les caractéristiques des gousses et des graines (Purseglove, 1968; Pasquet, 1999). Le genre Vigna regroupe plusieurs espèces cultivées importantes incluant V. unguiculata et V. subterranea (L.) Verdc. en Afrique, V. mungo (L.) Hepper, V. radiata (L.) Wilczek, V. aconifitifolia (Jacq.) Maréchal, V. angularis (Willd.) et V. umbellata (Thunb.) en Asie.

Etude de la diversité chez le Niébé

La diversité génétique des espèces résultent de processus naturels ou artificiels du fait de la dérive génétique, des flux de gènes, des mutations survenues au cours du temps. Elle est la différence qui existe entre les individus d’une même espèce ou d’une population. Sa connaissance permet de mieux comprendre les processus évolutifs de l’espèce et renseigne sur son histoire démographique et génétique. Elle est une source primaire pour l’amélioration des plantes (Baudoin et al., 2002) et son estimation est indispensable pour la gestion, la conservation et l’utilisation appropriée des ressources phytogénétiques (Dje et al., 2000).
La diversité peut être évaluée de façon fiable par l’utilisation des marqueurs morphologiques (à travers des descripteurs) et génétiques (à travers des techniques biochimiques ou moléculaires).

Les marqueurs morphologiques

Traditionnellement, la diversité génétique est évaluée en mesurant la variation de traits phénotypiques (la couleur et la forme de la graine, la couleur de la fleur, l’habitus de croissance, la présence de poils, etc.) ou de traits agronomiques quantitatifs (le rendement et ses composantes, etc.). Chez les formes cultivées, les principaux facteurs de variabilité sont: la forme des feuilles (rhomboïde ou hastée), la pigmentation anthocyanique des entre-nœuds, la longueur du pédoncule floral, la photosensibilité et la morphologie des graines et des gousses (Pasquet, 1996b). Les caractéristiques des graines et des gousses sont très diversifiées chez les formes cultivées et sont largement utilisées pour décrire les cultivars et identifier les cultigroupes (Piper, 1912 ; Pasquet et Fotso, 1994 ; Pasquet, 1996b). Ces marqueurs ne nécessitent pas des équipements sophistiqués et permettent d’évaluer directement le phénotype. En effet, le germoplasme du Niébé a d’abord été identifié, caractérisé sur la base de traits morphologiques (Xiong et al., 2016). Cependant, les déterminations agromorphologique et botanique doivent être réalisées par un expert de l’espèce, d’où l’importance d’un descripteur. Ainsi, sur la base de ces caractères agromorphologiques (caractères qualitatif et quantitatif), un descripteur a été conçu pour faciliter la caractérisation du germoplasme du Niébé. Un descripteur est un trait ou un caractére identifiable et mesurable, il est spécifique aux espèces. Leur nombre dépend de la culture et de l’importance de la description de la culture. C’est un système de caractérisation standardisé, qui fournit un format international et une «langue» universellement comprise sur les données des ressources phytogénétiques. Il inclut à la fois les stades de développement de la plante (végétatif, floraison et reproduction), la résistance ou la sensibilité aux contraintes abiotiques et biotiques, les données du site, la composition allo enzymatique, les caractères cytologiques et l’identification de gène (IBPGR, 1983 ; Alercia, 2011). Des travaux récents utilisant ces descripteurs, ont permis de caractériser et/ou de classer des morphotypes de nombreux types de cultivars et des populations de RIL (Recombinant Inbred Lines), de NIL (Near Isogenic Lines) et de mutants. Gobinath et Pavadai (2015) ont utilisé 10 variables quantitatives pour caracteriser 4 générations (M1, M2, M3 et M4) de mutants du soja. Chez le Niébé, on peut citer les travaux de caractérisation d’Ogidi et al. (2010) ; Cobbinah et al. (2011); Gnanamurthy et al. (2012) ; Doumbia et al. (2013) ; Ishiyaku et Aliyu (2013); Gbaguidi et al. (2015); Horn et al. (2016); Odireleng et al. (2016) ; Rodrigues et al. (2016) ; Bouba et al. (2016) et Adetiloye et al. (2017), utilisant des caractères quantitatifs et/ou qualitatifs.
L’analyse de ces caractères morphologiques révèle la diversité telle qu’elle est perçue et sélectionnée par les agriculteurs. Ce descripteur a permis de collectionner 15 371 variétés de Niébé cultivées et plus de 2 000 variétés sauvages apparentées, détenues à l’IITA (Institut International d’Agriculture Tropicale) du Nigéria (Boukar et al., 2016), à cela s’ajoutent les collections de l’Université de Californie à Riverside (Etats-Unis d’Amérique) et du Département d’Agriculture des USA (USDA) qui détiennent respectivement 6 000 et 10 000 accessions avec des redondances (Boukar et al., 2015).

Limites des marqueurs morphologiques

Les caractères morphologiques sont aisés à évaluer, mais ils sont sujets à des changements dus à des facteurs environnementaux et/ou endogènes, ils varient selon les stades de développement et leur nombre est limité (de Vicente et Fulton, 2003). Les limites de ces traits résultent de la plasticité de certains traits et des modifications causées par les conditions environnementales. En outre, les marqueurs morphologiques sont limités en nombre, ne couvrent que les régions exprimées du génome d’une espèce végétale et sont donc moins appropriés pour être utilisés comme marqueurs (Omondi et al., 2016). Leur utilisation dans les études génétiques est limitée, car les caractéristiques phénotypiques sont généralement déterminées par plusieurs gènes, et les caractères quantitatifs sont fortement influencés par le milieu (de Vicente et Fulton, 2003). Par conséquent, on ne parvient pas à distinguer la contribution de chaque gène et les différences génétiques précises entre individus ne sont pas décelables. Ils sont généralement dominants, rendant impossible la distinction entre individus homozygotes et hétérozygotes (Lefebvre et Chèvre, 1995; Kumar, 1999).
Enfin, les caractères morphologiques monogéniques ne peuvent être utilisés comme marqueurs génétiques que si leur expression est reproductible sous différents environnements (Staub et al., 1996).

L’amélioration du Niébé

L’amélioration des plantes se traduit par la création de populations végétales ayant acquis de nouveaux caractères. Dans le domaine de la sélection végétale, une variété est une population avec des caractéristiques agronomiques bien définies, créée pour réponde mieux aux besoins des utilisateurs et de la société.
Le Niébé est du point de vue agronomique, bien adapté aux conditions climatiques, édaphiques, technologiques et socioéconomiques de l’Afrique Subsaharienne. Ces adaptations sont :
une tolérance à la sécheresse à diffèrents stades (Gwathmey et Hall, 1992 ; Ehlers et Hall, 1997; Hall, 2004; Muchero et al., 2008),
un haut potentiel de fixation biologique de l’azote (Elowad et Hall, 1987; (Martins et al., 2003) et du phosphore, une adaptation aux sols acides et basiques (Fery, 1990), une tolérance aux hautes températures durant son stade végétatif (Ehlers et Hall,1997), un bon comportement sous l’ombrage, une croissance végétative rapide.
Cependant sa production est limitée par plusieurs contraintes (biotiques et abiotiques). Pour les surmonter, les chercheurs se sont lancés dans la création de variétés résistantes, tolérantes ou capables de les éviter.
Au Sénégal, l’amélioration variétale du Niébé fut entreprise dans les années 60 en utilisant une approche consistant à croiser deux variétés. Elle a permis d’obtenir des variétés telles que la Ndiambour (parent 58-57) qui a un port rampant, un cycle de 75 J.A.S (jour après semis) et avec un poids moyen de 100 graines de 16 g. Puis, la recherche pour la sélection de variétés à cycle court pour une adaptation à la sécheresse s’est poursuivie et a abouti à la création des variétés Mougne, puis Bambey 21. Cette dernière est la première variété extra-précoce (60 jours) à port érigé, développée (Cissé et al., 2005). Par la suite, d’autres variétés précoces (Mouride, Melakh et Yacine) ont été développées, mais elles se sont révélées sensibles à certains parasites et maladies du Niébé (Hall et al,. 2003). La variété Mouride a constitué grâce à ses propriétés (productive, tolérante à la sécheresse intervenant à mi-cycle), un bon géniteur de départ pour la création de nouvelles variétés au Sénégal. Ainsi, les techniques de la biologie moléculaire ont été associées à la sélection variétale telle que la sélection assistée par marqueur. Celle-ci a permis d’identifier des gènes et/ou des QTL impliqués dans la résistance/tolérance à plusieurs contraintes biotiques et abiotiques.
Cependant, force est de constater que la base génétique de Niébé cultivé est assez réduite (Cissé et al., 2003). Ainsi, les biotechnologies modernes telles que la culture in vitro, la transgenèse et la mutagenèse constituent un moyen pour élargir la base génétique du Niébé.

La découverte de la mutagenèse

C’est en 1901 que la mutation fut introduite par De Vries, qui observa régulièrement dans ses cultures d’Oenothera lamarckiana l’apparition d’une forme géante qu’il baptisa “gigas” et qui, par la suite, s’avère être un mutant tétraploïde à 4n=28 chromosomes (Génin, 1990). Cette dernière, dite mutation spontanée, apparait avec de faibles fréquences (10-5 à 10-8). Les mutations peuvent être des mutations spontanées ou provoquées, intragéniques (se produisant dans un gène) ou intergéniques. Elles peuvent affecter la structure des chromosomes occasionnant des inversions, des translocations, des duplications et des délétions. Elles peuvent conduire à des changements du nombre chromosomique (polyploïdie, aneuploïdie et haploïdie). En outre, elles peuvent porter sur le génome nucléaire ou cytoplasmique (principalement les chloroplastes et les mitochondries), qui ont un intérêt considérable pour l’agriculture (Pathirana, 2011 ; Oladosu et al., 2016). Dans notre étude, nous nous intéresserons aux mutations induites.
La mutagénèse induite : Grâce aux travaux de Muller (1927) sur la Drosophile et de Stadler (1929 ; 1928a, b) sur les céréales, les scientifiques ont découvert que des mutations pouvaient être induites (mutagénèse induite), alors elles furent utilisées en amélioration des plantes comme un outil pour développer de nouvelles variétés. Ainsi le premier mutant obtenu était un mutant de tabac appelé «Chlorina» qui a été développé par l’irradiation aux rayons X des bourgeons floraux dans les années 1930 (Tollenaar, 1934). Depuis lors, elles ont été utilisées avec succès pour améliorer le rendement et les composantes de diverses cultures comme Oryza sativa (Rao et Siddiq, 1977; Awan et al., 1980 ; Singh et al., 1998) ; Hordeum vulgare (Gustafsson, 1963 ; Ramesh et al., 2001), Triticum durum (Sakin et Yildirim, 2004), Vicia faba (Ismail et al., 1976), Cicer arietinum (Shaikh et al., 1982; Sharma et al., 1990), Vigna unguiculata (Manesah et Akomeah, 1992), Cajanus cajan ((Srivastava et Singh, 1996)), Vigna mungo (Kundu et Singh, 1981; Singh et Singh, 2001) et Lens culinaris (Kumar et al., 1995; Rajput et al., 2001; Khan et al., 2006).

Les agents mutagénes et leurs applications

Les mutations induites sont provoquées par l’action d’agents mutagènes de nature physique ou chimique afin de créer et d’augmenter la variabilité au sein d’une population. Les agents mutagènes chimiques les plus utilisés sont le méthanesulfonate d’éthyle (EMS) et le diéthylsulfonate (DES) qui sont des agents alkylants occasionnant des transitions au niveau de l’ADN induisant ainsi des mutations. L’utilisation de l’EMS a permis de développer de nouvelles variétés de Niébé résistantes au virus de la mosaïque du Niébé [Cowpea severe mosaic virus (CPSMV)] d’après les travaux de Souza et al. (2016). En revanche, les agents physiques mutagènes sont les rayons ultraviolets, cosmiques, X, gamma, les particules alpha et les neutrons. Dans notre étude, on ne traitera que des rayons gamma qui sont des radiations ionisantes. Ces dernières, induisent la formation d’espèces réactives d’oxygène lesquelles provoquent des modifications ou des cassures au niveau de l’ADN. Ces cassures sont réparées par recombinaison homologue ou recombinaison non homologue. Cette dernière s’accompagne de délétions, d’inversions ou d’insertion au niveau du site de réparation (Kirik et al., 2000; Shikazono et al., 2005). Les radiations ionisantes sont divisées en deux groupes, celles ayant une haute LET (Linear Energy Transfer) comme les particules alpha et les neutrons qui causent des délétions comprises entre 300 pb et 12 kb (Nagano et al., 2008).
Quant aux particules gamma et les rayons X, elles ont une faible LET. Récemment, des études ont montré que l’irradiation des plantes par des particules gamma conduit à plusieurs types de mutations qui sont: de petites délétions (1-16 pb), de larges délétions (9,4-129,7 kb), des substitutions et des inversions. Par cette approche, il est plus facile de déterminer la fonction des gènes en comparant la séquence du mutant avec celle du non mutant en relation avec la fonction acquise ou éteinte (Morita et al., 2009).
Aujourd’hui, ils existent 3 258 variétés de mutants officiellement enregistrées dans la base de données conjointes FAO/AIEA, développée par la mutagenèse induite et dont 48% sont des céréales. Les caractères améliorés sont subdivisés en cinq (5) grandes catégories : les traits agronomiques et botaniques (48%), la qualité et trait nutritionnels (20%), le rendement et ses composantes (18%), la résistance aux stress biotiques (9%) et la tolérance aux stress abiotiques (4%) (MVD, 2017). Quant à l’application de la mutagénèse induite chez le Niébé, elle a permis de développer treize (13) variétés à haut rendement et tolérantes aux stress biotiques (MVD, 2017). Cependant, aucune de ces variétés n’est tolérante aux stress abiotiques (MVD, 2017).

Table des matières

INTRODUCTION 
ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE 
1. Généralités sur le Niébé 
1.1. Position systématique
1.2. Origine, diffusion et répartition
1.2.1. Origine
1.2.2. Diffusion et répartition
1.2.3. Biologie et description agro-morphologique
1.3. Etude de la diversité chez le Niébé
1.4.1. Les marqueurs morphologiques
1.4.2. Limites des marqueurs morphologiques
2. Les contraintes biotiques : impacts des nématodes 
3. L’amélioration du Niébé 
4. La mutagenèse 
4.1. La découverte de la mutagenèse
4.2. La mutagénèse induite
4.3. Les agents mutagénes et leurs applications
MATERIEL ET METHODES
1. Matériel 
2. Sites d’études 
3. Méthodes 
3.1. Expérimentation sous serre-ombrière
3.2. Expérimentation au champ école
3.3. Observations et mesures des paramètres agro-morphologiques
3.3.1. Suivi phénologique et observation des variables qualitatives
3.3.2. Mesures des variables quantitatives
4. Résistance aux nématodes
5. Analyses statistiques
RESULTATS
1. Suivi phénologique des mutants
1.1. Taux de germination des mutants
1.2. Impact de la mutagénèse sur la date de floraison
2. Impact de la mutagénèse sur les caractères qualitatifs 
3. Variables quantitatives 
3.1. Poids moyen de la graine
3.2. Longueur moyenne de la graine (taille)
3.3. Longueur moyenne de la gousse
3.4. Nombre moyen de graines par gousse
4. Analyses en composantes principales (ACP) des variables quantitatives 
4.1. Répartition graphique des individus
4.2. Classification ascendante hiérarchique des mutants
4.3. Corrélation des variables quantitatives
4.4. L’héritabilité
5. Résistance des mutants aux nématodes 
DISCUSSION
1. Impact de la mutation sur les caractères qualitatifs
2. Impact de la mutation sur les caractères quantitatifs 
3. Induction de la résistance aux nématodes
CONCLUSION ET PERSPECTIVES 
RÉFÉRENCES

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