Une approche cognitive et classificatoire des graphiques

Une approche cognitive et classificatoire des graphiques

Une approche structurelle du graphique

Dans le cadre de notre analyse, nous partirons d’une analyse sémiologique des graphiques, à savoir la « science qui étudie les systèmes de signes », d’après Le petit Robert (2003). Ceci permettra de s’intéresser au langage graphique (A) puis d’avancer certaines classifications. Ces dernières seront ensuite distinguées selon qu’elles font référence à la structure des graphiques, à savoir leur forme et leurs composantes, ou aux différentes fonctions qui leur sont dévolues (B). Notre démarche nous conduira ainsi à faire référence aux différentes classifications des graphiques qui ont été opérées en explicitant les choix effectués. Ceci nous permettra d’expliciter les critères retenus pour notre analyse des graphiques ; critères à la fois relatifs à leur forme et aux fonctions1 (C). Enfin, nous nous intéresserons à l’évolution des formes graphiques (D). 1 Les variables retenues pour l’analyse quantitative des graphiques seront indiquées dans des encadrés. 18 A.

La spécification du langage graphique

Il convient dans un premier temps de catégoriser les graphiques en tenant compte des différents signes visuels qui peuvent être utilisés, de leur signification et de leur syntaxe entre deux. Il sera ainsi fait référence au langage graphique et à son rapport à une référence externe : un objet. Cela permettra de souligner la distinction entre deux catégories de graphiques : ceux relevant de la graphique et ceux relevant du graphisme. Enfin, nous nous intéresserons plus particulièrement aux schémas. 1. La notion de signe et le rapport aux objets La notion de graphique1 possède plusieurs synonymes comme ceux d’image ou de dessin. Le géographe et sémiologue Bertin (1977) donne une définition de l’image comme ensemble de signes perçus simultanément : « On constate que dans certaines constructions l’œil est capable d’englober toutes les correspondances définies par toute identification d’entrée dans un « seul coup d’œil », dans un seul instant de perception. Les correspondances se voient en une seule forme visuelle. Nous appellerons image la forme significative perceptible dans l’instant minimum de vision » (Bertin, 1977, p. 142). Cette définition met ainsi l’accent sur les séparations et les regroupements de signes qui interviennent au niveau de la perception. Les associations de signes se font selon des règles notamment décrites par la théorie de la forme (Gestalt), comme la continuité, la ressemblance ou la proximité. Cette définition de la notion d’image est très large dans la mesure où un mot peut être considéré comme une image. Nous pouvons ainsi distinguer chaque mot grâce à la présence d’espaces. Nous retrouvons cette considération pour le mot sous sa forme écrite, graphique chez certains linguistes et anthropologues (Gelb, 1973 [1952] ; Goody, 1977, 1994 [1993] ; Harris, 1986, 1989). Le fait d’aborder les graphiques comme des ensembles de signes présente un intérêt, puisqu’il nous incite à nous interroger sur la signification attribuée à chaque signe, 1 Nous faisons référence au nom masculin. Nous verrons la distinction avec la graphique. 19 sur la syntaxe entre les signes et sur la référence à des éléments externes. Nous reviendrons dans la partie suivante sur les deux premiers points. Concernant la référence à des éléments externes, le graphique peut être perçu comme plus ou moins iconique, à savoir qu’il peut représenter des objets avec une fidélité plus ou moins grande. Ainsi, si nous nous référons à l’étymologie du mot image, une idée de ressemblance avec un élément externe est présente. Ce terme provient du latin imaginem, accusatif de imago, qui signifie « représentation, image, copie, comparaison » (Dictionnaire de l’Académie Française, 1998). La notion d’iconicité qui fait référence à cette ressemble est ainsi définie par Moles : il s’agit de la « grandeur opposée à l’abstraction, (qui) serait, pour ainsi dire, la quantité de réalisme, la vertu iconale, la quantité d’imagerie immédiate, contenue ou retenue dans le schéma. C’est la proportion de concret conservée dans le schéma. L’objet, tel qu’il est, possèderait une iconicité totale, le mot qui le désigne (« le mot chien ne mord pas », dit Saussure) possède par contre une iconicité nulle : telles sont les deux extrémités de l’échelle » (Moles, 1981, p. 102). Le graphique se distingue ainsi du langage verbal par un degré d’iconicité plus important. En effet, le mot est une forme importante d’abstraction, qui ne possède plus aucune référence visuelle avec l’objet qu’il désigne. La question de l’existence d’un langage graphique se pose en relation avec ce degré d’iconicité. Par exemple, Paivio (1986), un psychologue qui s’est servi des représentations physiques pour analyser les propriétés des représentations mentales, considère que la « distinction la plus évidente est que certaines représentations physiques sont du type image et d’autres sont du type langage » (Paivio, 1986, p. 16). Il catégorise ainsi différentes formes de représentations et explique sa distinction en se référant notamment à la notion d’iconicité : « Picture-like representations include photographs, drawings, maps, and diagrams. Language-like representations include natural human languages as well as such formal systems as mathematics, symbolic logic, and computer languages. Representational theorists have tried to identify the features that distinguish these two classes of representation. Picture-like representations are variously described as having analogue, iconic, continuous, and referentially isomorphic properties, whereas language-like representations are characterized as being non-analogue, 20 noniconic, digital or discrete (as opposed to continuous), referentially arbitrary, and propositional or Fregian » (Paivio, 1986, p. 16). Ainsi, « la dimension fondamentale de distinction est le degré d’arbitraire de la relation de représentation entre la forme de la représentation et la forme du monde représenté » (Paivio, 1986, p.17). Moles (1981) propose une classification des graphiques selon cette dimension (voir Tableau n° 1) avec aux deux extrémités l’objet et l’écriture verbale.

La graphique, le graphisme et la question du langage graphique

Il convient ici de revenir sur les deux premiers points de l’étude des images comme ensembles de signes et qui ont été laissés de côté précédemment, à savoir la signification des signes et la syntaxe utilisée. Deux catégories de graphiques sont généralement distinguées : la première concerne ce que Bertin nomme « la graphique » et comprend les diagrammes, réseaux et cartes (Bertin, 1973 [1967]) et la seconde, relative au graphisme (Bertin, 1973 [1967] ; Cossette, 1982), comprend ce que nous appelons généralement les schémas. Le critère de distinction est lié à l’interprétation qui peut être faite du signe (Bertin, 1973 [1967]). Dans la première catégorie, ce dernier donne lieu à une seule signification possible (monosémie), ce qui n’est pas le cas pour la seconde catégorie de graphiques (polysémie). En effet, Moles (1981) distingue les schémas des diagrammes, réseaux et cartes en montrant que la fonction n’est pas la même et que celle-ci induit un mode de représentation ne respectant pas les mêmes principes : « Il est nécessaire de distinguer nettement les schémas proprement dits des graphiques ou diagrammes à deux ou trois dimensions que nous proposent les systèmes de coordonnées : les graphiques cartésiens en O, x, y, les graphiques économiques, les lignes de courant d’écoulement en hydrodynamique, les lignes 23 équipotentielles d’un champ dynamique, n’entrent pas dans la catégorie des schémas : ils représentent des grandeurs dans des espaces abstraits ; ils ne prétendent pas, au moins au premier abord, le « schématiser », ils visent à l’exactitude et non à la simplification, au réalisme et non à l’abstraction. Par contre, les pictogrammes, quelques basés eux-mêmes sur des représentations graphiques, entrent dans la catégorie des schémas, puisqu’ils modifient, par l’abstraction ou le symbole, les relations de l’individu avec le réel » (Moles, 1981, p. 103). De même, pour Cossette, les images appartenant à la graphique sont scientifiques, dans le sens où ces images ont un « contenu sémantique (qui) est contrôlé de façon absolue » (Cossette, 1982, p. 71). Avant les caractérisations de Moles et Cossette, Bertin (1973 [1967]) avait explicité ce principe d’exactitude pour les diagrammes, réseaux et cartes en montrant leur détermination mathématique. En effet, il est possible de produire ces représentations à partir de tableaux à double entrée contenant des données chiffrées. C’est ce qu’il nomme « la théorie matricielle de la graphique ». Les rapports de proportion sont alors respectés dans ces graphiques et chaque signe du graphique possède une signification unique préalablement définie par convention ou par une légende. Ces graphiques appartiennent ainsi au langage monosémique. Dès lors, il n’est pas nécessaire d’appréhender l’ensemble du graphique pour comprendre chaque élément de celui-ci. Dans la mesure où chaque signe est connu, l’interprétation du graphique ne porte que sur la relation entre ces différents signes. L’auteur nomme cette catégorie de graphiques : « la graphique » ou « la représentation graphique » : « La représentation graphique fait partie des systèmes de signes que l’homme a construit pour retenir, comprendre et communiquer les observations qui lui sont nécessaires. « Langage » destiné à l’œil, elle bénéficie des propriétés d’ubiquité de la perception visuelle. Système monosémique, elle constitue la partie rationnelle du monde des images. Pour l’analyser avec précision, il convient d’en écarter les écritures musicales, verbales et mathématiques (liées à la linéarité temporelle, la symbolique) essentiellement polysémique, et l’image animée (dominée par les lois du temps cinématographique) » 

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