Variabilité du chant de la paruline à gorge grise (oporornis agilis)

Ce projet vise essentiellement à déterminer si les individus, chez la paruline à gorge grise, présentent une stabilité temporelle et comportementale dans leurs chants qui est suffisante pour utiliser ces manifestations vocales comme marqueur individuel, sans avoir à les capturer. Considérant que le projet fait intervenir des champs d’études variés, il est apparu nécessaire que l’introduction présente une revue de littérature détaillée. Après une brève introduction générale, une section consacrée aux vocalisations chez l’oiseau permet de présenter la diversité et les rôles des vocalisations et de préciser des bases à propos de l’apprentissage du chant, des sources possibles de variations du chant ainsi que de la perception du son chez l’oiseau. Par la suite, on retrouve une section sur l’analyse du chant chez les oiseaux en général, c’est-à-dire sur les approches méthodologiques utilisées pour la description acoustique du chant. Plus précisément, cette section présente certaines notions dans le domaine de l’acoustique, dont quelques outils d’analyse acoustique ainsi que plusieurs méthodes d’étiquetage des chants. L’espèce à l’étude et la problématique sont ensuite introduites pour en venir à la présentation des objectifs et des hypothèses de l’étude.

Le suivi des populations aviaires constitue une activité fondamentale pour concevoir des programmes de gestion et de conservation de cette ressource. La surveillance, conjuguée à la recherche fondamentale et à l’intervention directe dans le milieu, permet de déceler les menaces possibles, de les évaluer rapidement et de s’y opposer. Ainsi, les données de suivi, à des échelles temporelles et géographiques pertinentes, permettent d’évaluer la situation de diverses populations d’oiseaux, de fixer les priorités en matière de gestion et de recherche scientifique et d’orienter les mesures de conservation (Bookhout 1996; Bureau du vérificateur général du Canada 2013).

Les méthodes de surveillance utilisées pour la faune aviaire sauvage qui requièrent une identification de chaque individu permettent non seulement d’estimer l’abondance des populations des espèces, mais également d’acquérir une multitude de connaissances sur la biologie des individus, leurs comportements et leur écologie (Bookhout 1996; Birds Banding Laboratory 2011). Ces méthodes fournissent notamment des informations sur la répartition et les déplacements de l’espèce, de même que sur sa fécondité, la fidélité des couples, le taux de survie annuel et le recrutement par de nouveaux individus (Cottam 1956). L’identification individuelle permet aussi d’évaluer la fidélité au site, les limites des territoires, ou encore, de cartographier les domaines vitaux pour la gestion des habitats (Cottam 1956).

À l’heure actuelle, le baguage est la méthode la plus couramment utilisée, afin d’identifier individuellement les oiseaux. Souvent capturés à l’aide d’un filet japonais, ils sont ensuite marqués à l’aide d’une bague métallique, fixée à une de leurs pattes et dotée d’un numéro unique (Gustafson et al. 1997; Environnement Canada 2013). En plus de cet anneau métallique, d’autres dispositifs peuvent être utilisés comme marqueurs auxiliaires. Ces derniers permettent de reconnaître un oiseau à vue sans avoir à le capturer de nouveau pour relever le numéro sur la bague métallique. Des bagues en plastique colorées, formant un code de couleur unique à chaque individu, remplissent le plus souvent cette fonction.

Au-delà de cette méthode désormais classique et officiellement reconnue par les instances gouvernementales (Environnement Canada 2013), émerge depuis les deux dernières décennies une méthode d’identification alternative, qui vise à utiliser les vocalisations comme marqueur individuel (Terry et al. 2005; Laiolo et al. 2007). Cette technique d’identification vocale des individus s’appuie sur l’analyse acoustique des productions sonores et sur le postulat que chaque individu dispose d’une signature vocale lui permettant d’être distingué des autres individus de la même espèce. Cette méthode non invasive de suivi des populations aviaires apparaît comme une alternative prometteuse aux techniques de marquage physique, puisqu’elle n’implique ni capture ni manipulation des individus (Terry et al. 2005; Laiolo et al. 2007). Son utilisation diminue les risques chez les espèces sensibles aux perturbations causées par la capture et la manipulation (Terry et al. 2005; Tripp et Otter 2006). En outre, certaines espèces sont difficiles à capturer et chacune réagit différemment au leurre (Terry et al. 2005; Tripp et Otter 2006). Chez d’autres espèces, la détection d’un quelconque marqueur s’avère très difficile. Leurs déplacements fréquents, leur taille réduite, la coloration de leur plumage qui se fond dans le paysage ou encore l’abondance de feuilles sont d’autant de facteurs qui contribuent à les camoufler (Terry et al. 2005; Tripp et Otter 2006). L’identification vocale des individus présente également l’avantage d’un gain de temps considérable, puisqu’il n’est pas nécessaire de capturer et d’identifier les individus à vue. Ainsi, cette technique en émergence permettrait non seulement d’améliorer l’efficacité et le rendement des suivis de populations, mais également de ne pas affecter les chances de survie des individus. L’identification vocale individuelle des oiseaux constitue donc un secteur de recherche original dans lequel ce mémoire s’inscrit.

Les vocalisations des oiseaux peuvent être regroupées en deux grandes catégories : les cris et les chants (Catchpole et Slater 2008). Les cris sont des vocalisations de structure souvent moins complexe que les chants et sont sous forte influence génétique. Produits par les mâles et les femelles tout au long de l’année, leurs fonctions sont très variées : appel, alarme, attaque ou demande (Marler 2004a; Tibbetts et Dale 2007). Le chant est, pour sa part, remarquable par sa diversité. Le nombre de chants peut grandement varier d’une espèce à l’autre, depuis le chant unique du bruant à couronne blanche (Zonotrichia leucophrys; Marler 1970a) jusqu’aux 150 chants différents d’un seul bruant des marais (Melospiza georgiana; Campan et Scapini 2002) et aux 2000 chants du virtuose qu’est le moqueur roux (Toxostoma rufum; Canady et al. 1984; Marler et Slabbekoorn 2004). Le nombre d’éléments qui composent le chant est également très variable. Les chants de certaines espèces comme la mésange à tête noire (Pœcile atricapillus; Pieplow 2017) ne sont composés que de deux ou trois éléments, alors que d’autres telles que celui du troglodyte des forêts (Troglodytes hiemalis; Marler et Slabbekoorn 2004) se composent de 50 à 100 notes et peut durer près de 10 secondes. La gamme de fréquences couverte par les chants peut être grandement diversifiée elle aussi. Un chant comme celui de la mésange à tête noire (Pieplow 2017) couvre moins de 1 kHz, alors que celui du vacher à tête brune (Molothrus ater) couvre 10 kHz (Marler et Slabbekoorn 2004).

Les oiseaux présentent, à la jonction de la trachée et des bronches primaires, un organe vocal complexe, la syrinx (par ex. Delsaut 1986). Chez les Passeriformes (communément appelés passereaux), l’anatomie de la syrinx permet de les séparer en deux groupes : les oscines (ou sous-ordre des Passeri), qui produisent des chants, et les suboscines (ou sous-ordre des Tyranni), qui n’en produisent pas (Delsaut 1986). Ces derniers produisent seulement des cris.

Le chant des oiseaux remplit diverses fonctions, dont entre autres la séduction du partenaire, habituellement rôle du mâle, la délimitation du territoire et la signalisation de la localisation ou même de la simple présence (Marler 1970a, 2004a). Chez la plupart des oiseaux, la possession d’un territoire revêt une importance cruciale pour la reproduction et la survie de l’individu. Lieu d’accouplement, de nidification et d’alimentation, ses frontières sont par conséquent activement défendues par des chants de proclamation territoriale, mais aussi par des cris, des postures de menace, voire des attaques (Hinde 1956). Le chant fait partie intégrante du comportement territorial qui vise principalement à écarter un mâle conspécifique du secteur choisi. Les dépenses excessives de temps et d’énergie dans la défense du territoire peuvent affecter le succès reproducteur du mâle titulaire d’un territoire donné (Lovell et Lein 2004a). Un mâle territorial qui possède la capacité à distinguer ses voisins (familiers) des étrangers (non familiers) peut donc économiser considérablement d’énergie. Les voisins présentent peu de risques pour le titulaire du territoire, puisqu’ils maintiennent et défendent déjà leur propre territoire. Cependant, les mâles non familiers pourraient être des intrus à la recherche d’un territoire, constituant ainsi une menace potentielle plus forte (Lovell et Lein 2004a). Plusieurs études ont souligné la capacité de certaines espèces à discriminer les mâles étrangers de leurs voisins pour éviter les conflits inutiles avec des mâles familiers (Yasukawa et al. 1982; Lovell et Lein 2004a; Hamao 2016; Parker et al. 2018). Chez ces espèces, la réaction comportementale des mâles à l’écoute d’un chant non familier est beaucoup plus forte et agressive qu’à l’écoute d’un chant familier. L’influence de ce comportement de défense sur l’exécution du chant des oiseaux est cependant encore très peu connue (Yasukawa et al. 1982; Lovell et Lein 2004a; Hamao 2016; Parker et al. 2018).

Table des matières

1. INTRODUCTION
1.1 Introduction générale
1.2 Les vocalisations chez l’oiseau
1.2.1 Diversité et rôles des vocalisations
1.2.2 Apprentissage du chant
1.2.3 Sources possibles de variation du chant
1.2.3.1 Variations en fonction des caractéristiques de l’habitat
1.2.3.2 Variations géographiques
1.2.3.3 Variations en fonction du stade de développement et de l’état énergétique
1.2.3.4 Variations en fonction du niveau de bruit ambiant
1.2.4 Perception du son chez l’oiseau
1.3 Analyse du chant chez l’oiseau : approches méthodologiques utilisées pour la description acoustique du chant
1.3.1 Prémisses acoustiques
1.3.2 Outils d’analyse acoustique
1.3.3 Structure et étiquetage des chants
1.4 Description de l’espèce à l’étude et problématique
1.5 Objectifs et hypothèses
1.5.1 Objectifs
1.5.2 Hypothèses
2. MÉTHODOLOGIE
2.1 Échantillonnage
2.2 Types d’enregistrement et taille des échantillons
2.3 Protocole et conditions d’enregistrement
2.4 Traitement des données
2.4.1 Étiquetage des chants
2.4.2 Analyse symbolique : n-grammes
2.4.3 Analyse acoustique : fréquence fondamentale
2.5 Analyses statistiques
3. CONCLUSION

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