Vieillissement, dépendance et fragilité

Le vieillissement de la population est un phénomène majeur du XXIe siècle. Or, les débats sur cette question ne se sont souvent centrés que sur la question du financement des retraites. Le vieillissement suscite pourtant nombre d’autres interrogations. L’impact du vieillissement sur les dépenses de santé a été au centre d’un débat prolongé. Il y des centaines de rapports scientifiques, politiques et administratives sur la question de la dépendance des personnes âgées et leur prise en charge dans la littérature scientifique et médicale (Loones 2005, Trainar 2008, Hirtzlin 2009,….) .

En 2006, il y avait 688 millions de personnes de plus de 60 ans dans le monde, tandis qu’en 2050 elles seront 2 milliards. Dans le même temps, le groupe d’âge de 0-14 ans sera inférieure à celui de la population âgée de plus de 60 ans. La plupart de cette population vieillissante sera en Asie (54%), tandis qu’en Europe elle ne sera que de 22%. L’Asie deviendra donc le premier continent de personnes âgées devant l’Europe (UN, Population Division 2006) Aujourd’hui la population âgée de 60 ans et plus dans le monde, est équivalente à la population de moins de 5 ans. En 2050, la population âgée de 60 ans et plus sera en majoritaire. Ce changement de la structure d’âge de la population est la conséquence de l’augmentation de l’espérance de vie, de la diminution de la fécondité et de la mortalité dans la population. Cette transition démographique a duré 100 ans pour les pays développés, mais, dans les pays en voie de développement, ce changement ne va durer que 25 ans, donc les sociétés ayant les ressources les plus limitées auront le moins le temps de préparer leurs pays pour faire en face au vieillissement de la population. Le vieillissement de la population va augmenter la fréquence des pathologies chroniques, la dépendance et le handicap dans une société vieillissante. La définition et la signification du vieillissement, de la dépendance et de la fragilité, et du handicap sont différentes dans les pays développés et dans les pays en voie de développement.

La dépendance
Le terme de dépendance est très utilisé dans le langage courant des pays occidentaux pour caractériser les personnes âgées. La catégorie personnes âgées dépendantes existe dans les représentations collectives. Elle est de construction récente. Selon la définition de l’OMS, la dépendance est l’impossibilité partielle ou totale pour une personne d’effectuer les activités de la vie, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sociales, et de s’adapter à son environnement. Afin de distinguer différents niveaux de retentissement d’une maladie, l’OMS a repris l’analyse fonctionnelle des maladies de WOOD (1976). Cette analyse permet de distinguer 3 éléments :

• déficience (notion biomédicale) : correspond à une anomalie d’un organe, appareil ou système. Cette anomalie peut être sans conséquence pathologique, mais, le plus souvent, elle est symptomatique et équivaut à la maladie ;
• incapacité (notion fonctionnelle) : représente une des conséquences de la déficience et en est l’expression en terme de fonction ou de performance ;
• handicap (notion de comportement social) : c’est le désavantage résultant de l’incapacité.

La classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) a été présenté par l Assemblée mondiale de la Santé en 2001. Elle a remplacé le texte de 1980 sur la classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages (CIH). Cette nouvelle classification traduit l’évolution internationale des représentations sociales du handicap au cours des trente dernières années. A l’approche traditionnelle du handicap comme caractéristique individuelle ont été opposées des approches sociales du handicap, souvent radicales, interrogeant la place faite aux personnes handicapées dans la société et la discrimination dont elles sont l’objet par défaut d’accessibilité environnementale et d’accès aux droits communs. S’orientant vers une perspective systémique du fonctionnement humain, la CIF s’efforce d’intégrer ces deux types d’approche pour concevoir le handicap comme le résultat d’un processus où sont mis en interaction plusieurs dimensions : les structures organiques et les fonctions anatomiques, les activités de la vie quotidienne et la participation sociale, les facteurs environnementaux et les facteurs personnels.

L’environnement ici devient un facilitateur ou au contraire un obstacle à la réalisation des activités quotidiennes et à la participation des personnes à la vie en société, selon le degré d’adéquation constaté entre les difficultés qu’éprouvent une personne à effectuer une tâche et les possibilités qui s’offrent à elle pour être en mesure de réaliser cette tâche.(L’OMS ,2005) Dans les pays en voie de développement comme l’Iran, l’utilisation de CIF n’est pas encore développée donc la définition de la dépendance est limitée au premier niveau du CIH, la déficience. (Nasiri et Abbassi, 2003). En plus de l’image négative due à l’âge (âgisme1 ), les personnes âgées malades sont considérées comme dépendantes.

En revanche dans les pays développés, la notion de dépendance apparaît alors que disparaissent les appellations de vieillards, incurables, infirmes et invalides. La dépendance est une caractéristique normale de l’homme en société : dans le domaine des personnes âgées, on parle de dépendance lorsqu’il y a recours à une aide pour l’accomplissement des actes élémentaires de la vie courante (Loones 2005). Cette définition s’est progressivement imposée et fait maintenant l’unanimité. Mais ce n’est pas le cas en Iran, car on utilise le terme « personne âgée handicapée» dans tous les textes législatifs et dans les médias. Chaque fois qu’on parle du vieillissement, les termes de fragilité et d’incapacité sont déjà compris par l’interlocuteur. Le handicap est inséparable de la personne âgée.

La dépendance des personnes âgées est considérée comme un problème important en santé publique dans les pays développés, qui va s’amplifier au cours des prochaines années. Les médias évoquent souvent l’accroissement du nombre des personnes âgées et surtout celui des personnes très âgées, de leur dépendance, ainsi que les besoins d’aide professionnelle ou d’hébergement en institution qui en découleraient. On s’inquiète, et l’on inquiète les générations suivantes, du fardeau que cela représenterait pour le système de protection sociale. Pour être réaliste, il convient d’examiner les données permettant de mieux cerner le phénomène.

Pour pouvoir répondre aux besoins de ces futures populations âgées dans leur grande diversité, les décideurs ont besoin de compléter les perspectives quantitatives fournies par les démographes, par des informations plus qualitatives : quel sera l’état de santé de ces futures personnes d’âge élevé ? En d’autres termes : comment évolueront respectivement l’espérance de vie avec et l’espérance de vie sans incapacité ? Dans les pays occidentaux industrialisés, la maîtrise des maladies infectieuses, la généralisation de la protection sociale, l’amélioration des conditions d’hygiène générale et l’élévation globale du niveau de vie ont contribué à augmenter la durée moyenne de vie et, par conséquent, à donner aux maladies dégénératives (maladies cardio-vasculaires et respiratoires, cancer, rhumatismes…) l’opportunité de se développer. Pour rendre compte de l’état de santé des populations, il est maintenant nécessaire de disposer d’indicateurs plus fins que les classiques taux de mortalité (Henriette Gardent, 1994).

C’est dans ce contexte que se sont développées les recherches d’indicateurs caractérisant l’état de santé global d’une personne ou d’une population. L’impossibilité de s’appuyer sur les pathologies, en raison de la fréquente poly pathologie et de la chronicité des atteintes, a conduit à s’orienter vers la prise en compte des conséquences de l’état de santé global sur la vie quotidienne, et à chercher à évaluer les incapacités pour faire face aux nécessités quotidiennes que cet état de santé induit, indépendamment de la cause originelle. Parmi les cadres conceptuels les plus utilisés et sans doute les mieux définis, on peut citer l’approche de Katz en termes d’activités de la vie quotidienne, et celle de P. Wood développée à la demande de l’OMS pour mesurer les conséquences des maladies et des états chroniques : la séquence déficience – incapacité fonctionnelle et sa traduction sociale: le handicap (ou désavantage). Pour repérer ces conséquences sociales (i.e., le handicap) – bien évidemment très liées au contexte socio-culturel – Wood propose de s’attacher à un petit nombre (six) de dimensions communes à tout homme vivant en société qu’il appelle « rôles de survie » : l’indépendance physique pour les actes élémentaires de la vie courante ; la mobilité physique ; les occupations de type social; l’intégration sociale ; la suffisance économique ; l’orientation dans le temps et l’espace. Toute personne limitée totalement ou partiellement dans l’accomplissement de ces rôles de survie présente, par rapport à ses pairs, un désavantage (ou handicap). La dépendance est alors définie comme «la nécessité de recourir à un tiers pour l’accomplissement de ces rôles de survie». C’est en explorant ces dimensions par des questions appropriées, avec des échelles pertinentes et fiables, que l’on évalue l’état de désavantage (handicap) ou le niveau de dépendance. Par exemple, les dimensions d’indépendance physique, de mobilité, sont explorées à partir de questions portant, d’une part, sur les actes élémentaires de la vie courante : s’habiller, faire sa toilette, aller aux W.-C., contrôler ses sphincters, se déplacer (transfert lit/fauteuil, fauteuil/lit), manger ; d’autre part, sur les tâches permettant, dans le contexte des pays occidentaux industrialisés, de vivre seul dans un logement ordinaire. C’est dans ce contexte que se situe généralement le développement des instruments visant à mesurer la dépendance.

En général, il existe 3 approches différentes pour mesurer la dépendance selon Isabelle Hirtzlin :

1-Approche bio-médicale qui mesure la déficience physique
2-Approche médico-sociale qui mesure l’incapacité
3-Approche sociétale qui mesure les désavantages sociaux ou le handicap .

La fragilité
La fragilité est un nouveau concept prenant de plus en plus d’ampleur depuis les années 1990. La notion de fragilité a initialement été traitée dans la littérature bio-médicale et physiologique, mais elle est devenue aussi un objet central de nombreuses recherches dans les sciences sociales. Malgré la multiplication de travaux sur la question, il n’existe toujours pas de définition et de critères universellement reconnus pour décrire la fragilité. Pourtant, de très nombreuses contributions ont été avancées. Parmi celles-ci, citons celle du groupe de recherche interdisciplinaire en santé, à l’institut universitaire de gériatrie de Montréal, qui propose que « la fragilité semble être la prise de conscience subjective de l’affaiblissement organique (organes sensoriels, système musculosquelettique, système cardio-pulmonaire) et du système immunitaire, qui entraîne chez la personne âgée la baisse du contrôle sur l’environnement, la perte de la force, de l’énergie, de l’endurance et de la capacité d’autoprotection et l’empêche de fonctionner selon ses plans et désirs ». Dans le cadre d’autres travaux, la fragilité correspond à une forme de « vulnérabilité » aux défis de l’environnement et à une perte de résilience qui altère la capacité de l’individu à préserver un équilibre donné avec son environnement, mais aussi à rétablir cet équilibre quand il est affecté. Dans la plupart des définitions actuelles, c’est habituellement l’aspect médical ou psychosocial qui domine. Selon Fried et ses collègues (Fried et al. 2001), la fragilité n’est pas réellement une maladie, mais c’est plutôt une combinaison du processus de vieillissement naturel et d’une grande variété de problèmes médicaux. Cinq caractéristiques du « phénotype de fragilité » ont été établies : sensation générale d’épuisement, faible endurance, activité physique réduite, vitesse de marche lente, et perte de poids involontaire. Or Rockwood et ses collaborateurs ont essayé de déterminer les facteurs de risque associés à l’apparition ultérieure de la fragilité, ce qui permet également d’en prévoir les effets fatals. Selon ces auteurs, la fragilité pourrait donc être définie comme une notion multi-dimensionnelle. Cette notion inclut les caractéristiques et les facteurs de risque de la fragilité dans différents domaines, tels que la santé physique ou cognitive, l’état nutritionnel et le métabolisme énergétique (Hogan 2003, Rockwood 2000, Fretwell 1994).

La fragilité n’est pas une maladie. Elle est néanmoins considérée comme un syndrome prédictif de risques de mortalité, maladie, chute, institutionnalisation, hospitalisation. La fragilité peut être patente ou latente. Elle est instable et souvent évolutive, mais parfois réversible. Dans cette optique, il est possible d’identifier une population de malades âgés à haut risque de décompensation ou d’évolution péjorative, à l’occasion de l’apparition d’une nouvelle pathologie. Il s’agit de patients âgés dits  » fragiles « . Les critères de fragilité les plus utilisés dans la pratique médicale ont été décrits par Winograd et comprennent : le grand âge, des pathologies invalidantes, la malnutrition, la polymédication, les problèmes médico sociaux et familiaux, et l’incontinence.

Table des matières

Chapitre I Introduction
1. Vieillissement, dépendance et fragilité
2. Population, société et système de soins en Iran
2.1. Evolution démographique de la population de l’Iran au cours des trente dernières années
2.2. Structures existantes de la prise en charge de la dépendance liée au vieillissement en Iran
2.2.1. Prise en charge sociale
2.2.2 Le système sanitaire de prise en charge de la dépendance en Iran
3. Transition démographique et sa modélisation
3.1. « Window’s Opportunity » en Iran : transition démographique et épidémiologique
3.2. Expériences des pays développés et des pays en voie de développement sur la prise en charge de la dépendance
3.3. Projections démographiques : dynamique et statique
Quel avenir pour les personnes âgées en Iran ?
5. Objectifs de ce travail
5.1. Objectifs généraux
5.2. Objectifs spécifiques incluent
Chapitre II Méthodologie de l’enquête pour l’estimation de la prévalence de la dépendance actuelle des personnes âgées dans une ville d’Iran
1. La population
2. Les questionnaires
3. Analyse statistique
Chapitre III Méthodologie concernant la simulation démographique de la dépendance des personnes âgées iraniennes à l’horizon 2099 
1. Présentation du modèle DOPAMID (Dynamic Projection of Old Aged Disability in Iran)
2. Détails et origine des statistiques initiales de la population
2.1. Pour l’Iran
2.2. Pour la France
3. Mécanismes d’interpolation des données manquantes
4. Validation du modèle avec les données françaises
Chapitre IV Résultats
1. Résultats de l’enquête descriptive de la prévalence à Karaj
1.1. La prévalence de l’incapacité et de la dépendance sur 187 personnes âgées admises à Karaj durant la période d’avril 2007 à avril 2008
1.1.1. La prévalence de la dépendance selon ADL et IADL (Indicateur Katz)
1.1.2. Les profils sociodémographiques de notre échantillon
1.1.3. Eléments de l’évaluation gériatrique standardisée
1.2. FI-CGA Score ou Score de fragilité pour 60 sujets âgés de Karaj
1.3. La prévalence de la dépendance évaluée avec l’échelle de COLVEZ
1.4. Le niveau de dépendance des 4060 personnes âgées de plus de 60 ans habitant à Mohammad Shahr, estimé par l’échelle de Colvez
1.5. Effectif des places nécessaires pour couvrir les besoins sanitaires des personnes âgées de plus de 60 ans à Mohammad Shahr (4060 habitants)
1.6. Effectifs nécessaires en personnel de soins
2. Résultats de DOPAMID
2.1. Evolution du nombre de personnes âgées dépendantes : 2009-2099
2.2. Effectifs des personnes âgées dépendantes par âge et par sexe
2.3. Effectif des personnes âgées de 80 à 89 ans, rapporté à celui des personnes de 50-59 ans
2.4. Evolution du nombre de personnes âgées dépendantes 80-89 ans /50-59 ans : 2009 2049
2.5. Pyramides de DOPAMID par classes d’âge, tous les 10 ans
2.6. Comparaison DOPAMID – FELICIE
Chapitre V Discussion
1. Discussion des résultats de l’enquête descriptive
2. Discussion des résultats du modèle DOPAMID
Chapitre VI Perspective et réflexions sur un système de prise en charge de la dépendance liée au vieillissement, adaptées à l’Iran
1. Place pour les soins à domicile pour les personnes âgées en Iran
1.1. En faveur de l’intérêt des soins à domicile
1.2. En faveur de difficultés attendues dans la mise en œuvre
2. Proposition d’un système de soins adapté à l’Iran
2.1. Intégration du soin gériatrique en zones rurales
2.2. Intégration du soin gériatrique en milieu urbain
Chapitre VII Conclusion

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