Agents antimicrobiens ciblant le complexe III de la chaîne respiratoire mitochondriale

Agents antimicrobiens ciblant le complexe III de la
chaîne respiratoire mitochondriale

La mitochondrie 

Structure et fonctions

 Les mitochondries, uniquement présentes chez les eucaryotes, forment au sein de la cellule un réseau extrêmement dynamique. En effet, la distribution intracellulaire mais également le nombre de mitochondries et leur morphologie, modifiés par des processus continuels de fusion et fission des membranes, varient en fonction des besoins de la cellule (pour revue, (Malka et al., 04)). Cet organite est constitué d’une double membrane : une membrane externe composée d’un grand nombre de porines permettant le passage de molécules hydrophiles d’une masse inférieure à 10 kDa (anions, cations, acides gras, pyruvate…) et une membrane interne relativement imperméable, ample et hautement repliée en une série de crêtes. Le transfert de molécules chargées à travers cette membrane se fait via des transporteurs spécifiques et rend la membrane interne polarisée ; le maintien de ce potentiel de membrane est primordial pour l’intégrité et les fonctions de la mitochondrie. Les deux membranes délimitent trois espaces : le cytoplasme de la cellule, l’espace intermembranaire et la matrice mitochondriale où sont assurées de nombreuses fonctions métaboliques comme le cycle de Krebs et la biogenèse des clusters FeS (matrice). Elle assure notamment une fonction vitale à toute cellule aérobie stricte : la production d’ATP, principale source d’énergie de la cellule, par le processus de phosphorylation oxydative (membrane interne); la mitochondrie est pour cette raison souvent nommée « centrale énergétique de la cellule ». Au cours de ce processus, il peut y avoir production d’Espèces Réactives de l’Oxygène (ERO). Ces ERO ont un rôle important dans les voies de signalisation qui coordonnent noyau et mitochondrie ainsi que dans l’homéostasie cellulaire. Cependant, en forte concentration, elles peuvent provoquer des dommages responsables de la mort cellulaire. La mitochondrie joue également un rôle dans l’apoptose par l’intermédiaire de Bcl2 (membrane externe) et du cytochrome c (espace intermembranaire), deux facteurs apoptotiques. 

ADN mitochondrial

 La mitochondrie possède son propre ADN indiquant une origine exogène de cet organite. En effet, la mitochondrie est issue de l’internalisation d’une α-protéobactérie par une cellule pré-eucaryotique. Cependant, au cours de l’évolution, une partie du génome de l’endosymbionte a été perdue et une autre partie a été transférée vers le noyau. Une partie des gènes procaryotiques maintenus dans le génome mitochondrial code pour des protéines très hydrophobes qui ne peuvent être importé dans l’organite ; c’est le cas du cytochrome b, une sous-unité catalytique du complexe bc1 (Claros et al. 95). L’ADN mitochondrial (ADNmit) codant de manière générale pour des sous-unités de la chaîne respiratoire et des composants de la machinerie de traduction mitochondriale (ARNr, ARNt et parfois des protéines ribosomales) présente une grande diversité de structure (circulaire ou linéaire), de taille (de 6 à plusieurs centaines de kb) et d’organisation (nombre de gènes, longueur des régions intergéniques, nombre de régions introniques) (Figure 1). L’ADNmit est associé à des protéines et forme une structure compacte appelée nucléoïde lié à la membrane interne (pour revue,(Chen & Butow 05)). Son code génétique diffère du code génétique nucléaire. Le génome mitochondrial des plantes et des animaux est hétéroplasmique, en d’autres termes, différentes formes peuvent coexister au sein d’une même cellule. 21 Figure 1: Représentation de l’ADNmit de la levure S. cerevisiae (A) et de l’Homme (B). L’ADNmit de la levure code pour deux ARN ribosomaux (ARNr 21S et 16S), une protéine du ribosome mitochondrial (Var1p), un ARN de la RNaseP (ARNr 9S), une endonucléase qui peut être absente chez certaines souches (Ens2p) et sept des sous-unités des complexes OXPHOS III (Cyt b), IV (Cox1p, Cox2p et Cox3p) et V (Atp6p, Atp8p et Atp9p) ainsi que pour 24 ARNt indiqués par des traits marrons. RF1 et RF2 sont deux phases ouvertes de lecture interrompues par des séries de GC. Le nombre d’introns codants (en hachuré) ou non codants (en damier), chez cet organisme, peut varier selon les souches. L’ADNmit de l’Homme code pour deux ARN ribosomaux (ARNr 12S et ARNr 16S), ARNt et 13 des sous-unités des complexes OXPHOS I (Nd1-6p), III (Cyt b), IV (Cox1p, Cox2p et Cox3p) et V (Atp6p et Atp8p). La boucle D est la région de régulation de la réplication et de la transcription. Les flèches indiquent le sens et l’unité de transcription. Figure réalisée par G. Dujardin. C. Interactions nucléo-mitochondriales L’expression coordonnée des gènes mitochondriaux et nucléaires ainsi que l’import de certaines molécules et protéines dans la mitochondrie sont essentiels à la biogénèse mitochondriale. La coordination entre le noyau et la mitochondrie se fait via des signaux allant du noyau vers la mitochondrie (signalisation antérograde) ou de la mitochondrie vers le noyau (signalisation rétrograde). La signalisation antérograde se fait pour répondre à des besoins énergétiques ou à des changements environnementaux. Les protéines codées par le noyau sont alors importées dans la mitochondrie par l’intermédiaire des translocases de la membrane externe (TOM, Translocase of the OuterMembrane) et de la membrane interne (TIM, Translocase of the InnerMembrane) (pour revues, (Chacinska et al., 09; Neupert & Herrmann, 07)). L’import peut être post-traductionnel lorsque les protéines sont traduites par des ribosomes libres dans le cytosol ou co-traductionnel quand elles sont traduites par des ribosomes liés à la mitochondrie (Kellems et al. 74; Kellems & Butow 74; Kellems et al. 75; Crowley & Payne 98). Afin de faciliter leur importation dans la mitochondrie, les protéines sont associées à des chaperonnes qui les maintiennent dans une conformation non repliée et possèdent, le plus souvent, une séquence d’adressage généralement en Nterminale et clivable qui détermine avec la nature de la protéine (membranaire, tonneau β, soluble) le lieu de leur insertion dans l’organite (pour revues, (Neupert & Herrmann 07; Chacinska et al. 09)). La signalisation rétrograde, quant à elle, est un processus qui permet d’ajuster le métabolisme cellulaire en réponse à un changement d’état de la mitochondrie (déficience respiratoire, production d’ERO,…) (pour revue, (Butow & Avadhani 04)).

La phosphorylation oxydative chez les eucaryotes 

La phosphorylation oxydative (OXPHOS) est un processus métabolique qui couple l’oxydation de molécules de NADH et FADH2, produites lors du cycle de Krebs et de la β-oxydation, par les quatre complexes de la chaîne respiratoire et la synthèse d’ATP au niveau d’un cinquième complexe, l’ATP synthase. Comme mentionné précédemment, ce processus est vital pour un grand nombre d’organismes dont des pathogènes de l’Homme et de plantes. Ces complexes enzymatiques sont donc des cibles de choix pour lutter contre ces derniers. Figure 2: Représentation de la chaîne respiratoire mitochondriale (complexe I à IV) et de l’ATP synthase (complexe V). EIM: espace intermembranaire; MI: membrane interne; UQ: ubiquinone. Le transfert des électrons entre les complexes est représenté par les fléches vertes et rouges. 23 Les molécules de NADH et de FADH2 fournissent leurs électrons aux complexes I (NADH déshydrogénase) et II (succinate déshydrogénase) qui sont ensuite transmis, par l’intermédiaire de l’ubiquinol, au complexe III (ubiquinol-cytochrome c oxydoréductase ou complexe bc1). Le cytochrome c, localisé dans l’espace intermembranaire, sert de navette entre les complexes III et IV (cytochrome c oxydase). Ce dernier constituant l’étape finale du transfert des électrons en réduisant l’oxygène en eau. Le passage des électrons via les complexes I, III et IV est couplé à un transfert de protons à travers la membrane interne. Les protons ainsi accumulés dans l’espace intermembranaire génèrent un gradient électrochimique qui, en se dissipant, permet au complexe V de catalyser la condensation de l’ADP et du phosphate inorganique en ATP, source principale d’énergie de la cellule (Figure 2). Le nombre de complexes enzymatiques peut cependant varier selon les organismes. Par exemple, S. cerevisiae ne possède pas de complexe I mais trois NADH déshydrogénases : deux internes permettant l’oxydation du NADH produit par le cycle de Krebs et une externe catalysant l’oxydation du NADH produit dans le cytosol. Ces NADH déshydrogénases réalisent un transfert d’électrons non couplé à une éjection de protons. D’autres organismes comme les plantes, certains champignons et protistes possèdent deux NADH déshydrogénases dites alternatives, en plus du complexe I, et une oxydase alternative (AOX). Les NADH déshydrogénases interne et externe permettent un contournement du complexe I (pour revue, (Kerscher et al. 08)). L’AOX est, quant à elle, une seconde oxydase qui transfère les électrons des quinols à l’oxygène en contournant ainsi les complexes III et IV. Elle est insensible à l’antimycine et au cyanure, des inhibiteurs des complexes III et IV respectivement (Sluse & Jarmuszkiewicz 98). Comme les NADH déshydrogénases, l’AOX ne permet pas le transfert de protons de la matrice vers l’espace intermembranaire ce qui a pour conséquence une diminution de la production d’ATP lorsque celle-ci est exprimée. Néanmoins, dans le cas de la forme sanguine du protozoaire Trypanosoma brucei, responsable de la maladie du sommeil, la respiration cellulaire repose uniquement sur la voie de l’oxydase alternative (Clarkson et al. 89; Chaudhuri et al. 06). Chez les plantes, cette oxydase a notamment pour rôle d’oxyder rapidement les substrats respiratoires lorsque la charge énergétique est élevée et de réduire le niveau d’ERO produites par le complexe III (pour revue, (Juszczuk & Rychter 03)). En conditions normales, elle est faiblement exprimée. Chez certains champignons, elle l’est uniquement en cas de déficience du complexe III et/ou IV. L’AOX 24 peut ainsi participer à la résistance aux fongicides ciblant le complexe III tels que les strobilurines (Miguez et al. 04). Cependant, comme l’utilisation de cette voie génère moins d’ATP, ces fongicides sont encore efficaces dans la prévention de la germination des spores qui est un processus requérant une quantité importante d’énergie (AvilaAdame & Köller 03). Ces complexes respiratoires ne s’organisent pas de façon linéaire, comme représentés dans la figure 2, mais forment une structure particulière appelée supercomplexes (pour revue, (Boekema & Braun 07)) que l’on peut observer par Blue Native Poly Acrylamide Gel Electrophoresis (BN-PAGE) et par microscopie électronique (Figure 3). Ces supercomplexes joueraient un rôle dans la stabilité des complexes respiratoires. Le complexe III, par exemple, est requis dans le maintien du complexe I chez les mammifères (Acín-Pérez et al. 04). Un rôle de ces structures dans l’optimisation du transfert des électrons a également été proposé. Cependant, Trouillard et ses collaborateurs n’ont pas observé de différence dans la vitesse d’oxydation du cytochrome c entre des cellules intactes de S. cerevisiae et celles d’un mutant présentant une diminution de la stabilité des supercomplexes III-IV (Trouillard et al. 11). 

Table des matières

INTRODUCTION
I. La mitochondrie
A. Structure et fonctions
B. ADN mitochondrial
C. Interactions nucléo-mitochondriales 21
II. La phosphorylation oxydative chez les eucaryotes
III. La levure S. cerevisiae, un organisme modèle dans l’étude des fonctions respiratoires
IV. Le complexe III (ou complexe bc1)
A. Structure du complexe bc1
1. Les sous-unités catalytiques
a. Le cytochrome b
b. Le cytochrome c1
c. La protéine de Rieske (ou Rip1)
2. Les sous-unités surnuméraires
B. Assemblage du complexe bc1
C. Activité du complexe bc1
1. Le cycle Q
a. Liaison des quinones dans les poches catalytiques Qo et Qi
i. Site Qo
ii. Site Qi
b. Importance de la bifurcation des électrons au centre Qo
c. Conduction des protons
D. Inhibiteurs et résistance
1. Inhibiteurs du site Qo (QoIs)
a. Les fongicides
b. L’atovaquone
2. Inhibiteurs du site Qi (QiIs)
3. Inhibiteurs des deux sites
4. Développement de nouveaux inhibiteurs ciblant le complexe bc1
a. Les antipaludiques
b. Les fongicides
5. Sensibilité différentielle aux drogues
a. Sensibilité différentielle aux QoIs
b. Sensibilité différentielle aux QiIs
CHAPITRE I : LES ANTIPALUDIQUES CIBLANT LE COMPLEXE BC1
CHAPITRE I-A : ETUDE DE LA SENSIBILITE DIFFERENTIELLE ENTRE LES ENZYMES DE LA LEVURE,DE P. FALCIPARUM ET DE L’HOMME A DES ANTIPALUDIQUES CIBLANT LE SITE QO DU COMPLEXE
BC1
I. Introduction
II. Résultats
A. Modélisation du site Qo de P. falciparum dans la levure
1. Choix des variations introduites dans la levure
2. Impact des variations sur la croissance respiratoire, l’assemblage et l’activité du complexe bc1
3. Recherche de suppresseurs capables de compenser l’effet délétère de Δ158 -161
a. Recherche de suppresseurs mutlicopies
b. Recherche de mutations compensatoires
i. Suppresseurs de classe I
ii. Suppresseurs de classe II
iii. Autres modifications apportées à Rip1
4. Conclusion et perspectives
B. Modélisation du site Qo humain dans la levure
1. Choix des variations introduites dans la levure
2. Impact des variations sur la croissance respiratoire, sur l’assemblage et l’activité du complexe bc1
3. Cas du mutant L5F-F8A (LFFA)
C. Analyse des différentes versions du complexe bc1
1. Sensibilité des mutants à l’atovaquone
2. Sensibilité des mutants à RCQ06
3. Sensibilité à l’azoxystrobine
III. Conclusion et perspectives
CHAPITRE I-B : HDQ, UN PUISSANT INHIBITEUR DE LA PROLIFERATION DE PLASMODIUM
FALCIPARUM, SE LIE AU SITE QI DU COMPLEXE BC1
I. Introduction
II. Article
III. Résumé de l’article et résultats supplémentaires
A. HDQ bloque la croissance respiratoire de S. cerevisiae via une inhibition du complexe bc1
B. HDQ agit au niveau du site Qi du complexe bc1
C. Conclusion
CONCLUSION DU CHAPITRE
CHAPITRE II : LES FONGICIDES ET ANTIOOMYCETES CIBLANT LE COMPLEXE BC1
CHAPITRE II-A : EFFET DELETERE DE LA MUTATION DE RESISTANCE AUX INHIBITEURS DU SITE QO,G143A, CHEZ LES PHYTOPATHOGENES POSSEDANT UN GENE, CODANT POUR LE CYT B, AVEC INTRON ET MECANISMES DE CONTOURNEMENT
I. Introduction
II. Article
III. Résumé de l’article et résultats supplémentaires
A. Effet de G143A sur l’épissage de l’intron bi2 du cytochrome b de la levure
B. Mécanismes de contournement du défaut respiratoire
1. Mutations compensatrices dans le génome mitochondrial
2. Suppresseurs multicopies
C. Conclusion
CHAPITRE II-B : DEVELOPPEMENT D’UN TEST RAPIDE POUR CRIBLER, DANS DES CHIMIOTHEQUES,DES DROGUES CAPABLES D’INHIBER LA FONCTION RESPIRATOIRE
I. Introduction
II. Article 1
III. Résumé de l’article et résultats supplémentaires
IV. Conclusion et Perspectives
CHAPITRE II-C: ETUDE DE LA DIFFERENCE DE SENSIBILITE DE PLUSIEURS ORGANISMES AUX
ANTIOOMYCETES CIBLANT LE SITE QI DU COMPLEXE BC1
I. Introduction
II. Résultats
A. Détermination du site de liaison de l’ametoctradine
B. Identification des résidus impliqués dans la liaison des antioomycètes au site Qi
III. Conclusion et perspectives
CONCLUSION DU CHAPITRE
DISCUSSION GENERALE
I. Rechercher de nouvelles molécules capables d’inhiber le complexe bc1
A. Etude des sensibilités différentielles aux inhibiteurs
B. Identifier des nouveaux composés dans des chimiothèques
II. Caractérisations des nouveaux inhibiteurs du complexe bc1
A. Cas des molécules inhibant l’enzyme de S. cerevisiae
B. Cas des molécules se liant peu voire pas au complexe bc1 de la levure
III. Etude de l’évolution de la résistance aux molécules capables de bloquer l’activité du complexebc1
IV. Autres applications : étude des mutations et polymorphismes humains
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE

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