Bref historique des manteaux protéiques

La cellule est une structure hautement compartimentée. La membrane plasmique délimite le cytoplasme au sein duquel se trouvent plusieurs organelles, telles que le réticulum endoplasmique et l’appareil de Golgi, définies également par des membranes lipidiques. L’appareil de Golgi, riche réseau membranaire, a été identifié à la fin du XIXème siècle par histologie par Camillo Golgi. Au milieu du XXème siècle, l’avènement de la microscopie électronique a permis l’étude fine des systèmes endomembranaires. Très tôt, l’existence d’un tel réseau soulève la question de la biogenèse, du maintien et de la communication des structures membranaires.

George Palade publie en 1964 la première description de la voie sécrétoire (Caro and Palade, 1964). Par microscopie électronique, il suit le devenir des protéines. Les protéines en cours de synthèse sont transloquées dans le réticulum endoplasmique, puis transportées vers l’appareil de Golgi afin d’y subir des modifications post-traductionnelles avant de rejoindre leurs destinations finales. Quelques années plus tard, grâce à James Rothman et Lelio Orci, la reconstitution in vitro du transport des protéines au sein de l’appareil de Golgi révèle la présence de vésicules de transport (Orci et al., 1986). L’appareil de Golgi purifié, incubé avec du cytosol et une source d’énergie (de l’ATP), génère des vésicules de 70 nanomètres de diamètre . En suivant une protéine (du virus VSV) contenue initialement dans les saccules golgiens, les auteurs mettent en évidence qu’elles sont l’intermédiaire de transport entre les différents saccules golgiens.

La microscopie électronique montre que les vésicules, produites par bourgeonnement des membranes golgiennes, sont recouvertes d’un manteau qui diffère manifestement du manteau à clathrine connu depuis les années soixante (Roth and Porter, 1964). La découverte de ce nouveau manteau appelé COPI est une étape-clé dans l’étude du trafic intracellulaire. Des inhibiteurs sont rapidement mis en évidence, en particulier le GTPγS. Dans le système reconstitué, le GTPγS fige définitivement le manteau sur les vésicules et provoque donc leur accumulation. Même si ce mécanisme d’inhibition était à l’époque incompris, cette réaction avait l’avantage de permettre de purifier les vésicules. L’étude biochimique de ces vésicules révèle ensuite l’existence de huit protéines. Sept protéines appelées COP (coat protein) sont associées en un large complexe, le coatomer, formant la brique élémentaire du manteau (Serafini et al., 1991b). A ce complexe, est associée la petite protéine G Arf1. Elle est enrichie dans les vésicules COPI par rapport aux membranes golgiennes et, est retrouvée en quantité stœchiométrique avec les composants du manteau. Or, Arf1 était connue pour osciller entre un état GDP cytosolique, et un état GTP lié aux membranes. C’est pourquoi Rothman (Serafini et al., 1991a) ainsi que Klausner (Donaldson et al., 1992) proposent indépendamment que la protéine Arf1 sous forme GTP est le « récepteur » du manteau qui recrute les protéines COPI sur les membranes. Le GTPγS bloquant la protéine G sous forme active et attachée aux membranes, ceci expliquerait l’inhibition de la dissociation du manteau. La conclusion essentielle de ces études est que la protéine Arf1 par son cycle GDP/GTP contrôle le cycle d’assemblage et de désassemblage du manteau COPI.

En parallèle aux études in vitro, le rôle du coatomer dans le transport membranaire au niveau de l’appareil de Golgi est établi in vivo par Schekman par des études de génétique dans la levure. Ainsi, parmi les gènes essentiels à la fonction sécrétoire in vivo, on retrouve dans la levure Sec21, l’homologue d’une sous unité essentielle du coatomer de mammifère (Hosobuchi et al., 1992). Pour l’anecdote, le premier mutant Sec1 (protéine de liaison à une SNARE) avait été identifié en 1979. En 2004, en hommage à George Palade, Schekman et Novick publient dans Cell « 23 genes, 23 years later » où ils reviennent sur la liste des mutants de sécrétion identifiés alors (Schekman and Novick, 2004).

Initialement décrit pour assurer le transport antérograde des protéines de la face cis à la face trans de l’appareil de Golgi, la fonction du manteau COPI a été depuis réévaluée (Lippincott-Schwartz et al., 1989). Il semble ainsi que le manteau COPI est également impliqué dans le transport rétrograde des enzymes golgiennes et permet également un transport de l’appareil de Golgi vers le réticulum endoplasmique. Il sera montré ensuite que ce manteau est capable de reconnaitre des protéines transmembranaires exposant dans leurs extrémités cytosoliques un motif consensus centré sur deux lysines. Ce motif contribue en retour à la stabilité du manteau sur les membranes (Cosson and Letourneur, 1994).

Il existe d’autres manteaux capables de générer des vésicules : les manteaux COPII et les manteaux à clathrine. Les manteaux COPII interviennent au niveau du réticulum endoplasmique et permettent le transport vésiculaire antérograde entre le réticulum endoplasmique et l’appareil de Golgi. Les manteaux à clathrine ont une distribution plus large comprenant le réseau trans-golgien, les endosomes et la membrane plasmique .

La formation des vésicules COPII est initiée par l’activation de la petite protéine G Sar1. Comme Arf1, Sar1 se lie aux membranes en présence de GTP. Sar1GTP recrute alors l’hétérodimère Sec23/24 qui lui-même recrute le complexe Sec13/31 . L’ensemble forme un manteau, c’est-à-dire un assemblage régulier provoquant le bourgeonnement d’une petite vésicule.

A la différence de celle du manteau COPI, la structure des manteaux COPII et des manteaux à clathrine est résolue à ce jour (cf figure 4). La cristallographie et la microscopie électronique révèlent que la structure du manteau COPII repose sur un cuboctaèdre, une forme géométrique avec 8 triangles et 6 carrés (Stagg et al., 2006). Cette géométrie permet d’expliquer la formation de vésicules de 60 nanomètres de diamètres telles que celles observées en microscopie électronique. D’autres études structurales suggèrent une certaine plasticité de l’architecture du manteau pouvant générer des vésicules de plus grand diamètre transportant par exemple les fibres de collagène. Quant aux manteaux à clathrine connus depuis longtemps (Vigers et al., 1986), ils reposent sur une géométrie d’hexagones et de pentagones dont l’unité de base est un triskèle. Leur assemblage fait intervenir de larges complexes appelés adaptateurs et éventuellement des petites protéines G.

Pendant des années, la formation des vésicules de transport a été présentée comme étant le résultat de la polymérisation de complexes protéiques (coatomer, clathrine, COPII) à la surface d’une membrane. Autrement dit, les manteaux sont comme des moules mécaniques qui imposent, par leur structure sphérique intrinsèque, une forte courbure à la membrane. Ce schéma a perduré jusqu’à la découverte du rôle d’hélices amphipathiques dans la genèse et le contrôle de la courbure membranaire. Ainsi, à la fin des années 1990, McMahon, de Camilli et Antonny révèlent indépendamment sur des protéines différentes que des hélices amphipathiques contribuent à la liaison des manteaux et éventuellement à la déformation des membranes. Depuis, la liste des hélices amphipathiques intervenant dans la courbure membranaire s’est étoffée.

L’epsine est une protéine impliquée dans l’endocytose à clathrine. Les différentes isoformes de l’epsine présentent un domaine commun appelé ENTH « Epsin NH2-terminal homology », conservé chez les mammifères et dans la levure. Ce domaine reconnait spécifiquement le phosphatidylinositol 4,5-bisphosphate (PIP2). Comme le révèlent des expériences de cosédimentation avec des liposomes de composition définie, la liaison de la protéine est spécifique du PIP2. La structure cristallographique en présence d’IP3, l’analogue soluble du PIP2, a permis d’élucider le mécanisme (Ford et al., 2002). Le domaine ENTH est constitué d’un domaine structuré en hélice alpha juxtaposé d’une séquence de 15 acides aminés intrinsèquement non-structurés. L’IP3 induit précisément la structuration en hélice alpha de ce motif (dite H0), hélice qui vient compléter la poche de reconnaissance de la tête polaire du phosphoinositide .

En microscopie électronique, la surprise a été de voir que l’interaction du domaine ENTH sur les liposomes PIP2 induit leur déformation en tubes de 19 nanomètres de diamètre . Autrement dit, non seulement la protéine lie le PIP2 sur la membrane mais cette liaison contribue également à déformer la membrane. Plusieurs résidus basiques de cette hélice, dite H0, sont déterminants dans la reconnaissance du PIP2. Sur l’autre face de l’hélice, se trouvent trois résidus hydrophobes dont la mutation entraine la perte de tubulation des liposomes. Il semble donc que l’hélice amphipathique, en se structurant à la surface de la membrane et en utilisant des résidus hydrophobes, courbe la membrane. Le mécanisme de déformation proposé est dit mécanisme bilame. Les acides aminés hydrophobes s’inséreraient dans le feuillet exposé de la membrane, ce qui accroitrait sa surface au détriment du feuillet opposé. Par conséquent, pour concilier cet écart de surface, la membrane se courbe. Dans ces expériences in vitro, l’epsine se retrouve à forte densité à la surface des liposomes. L’insertion de chaque hélice crée une courbure positive, l’effet de l’ensemble de ces hélices conduit à transformer un liposome en tube. Dans le processus d’endocytose, c’est bien entendu la clathrine par sa structure en cage qui est responsable de la formation de la vésicule mais l’étude réalisée par l’équipe de McMahon montre que l’epsine par son hélice amphipathique est capable d’induire la courbure de la membrane et donc de contribuer à l’invagination de la membrane.

Table des matières

I Bref historique sur les manteaux protéiques
II Les premières hélices amphipathiques associées aux manteaux protéiques
III Généralités sur les interactions entre hélices amphipathiques et membranes
A) Introduction
B) Rappel sur les membranes lipidiques
C) Interactions spécifiques entre protéines et lipides
D) Electrostatique des membranes
E) Géométrie des lipides et adsorption des hélices amphipathiques
IV Les hélices amphipathiques dans le système COPI et la découverte du motif ALPS
A) La petite protéine G Arf1
B) Bascule de l’hélice N-terminale d’Arf1 lors de l’échange GDP/GTP catalysé par des facteurs d’échange
C) ArfGAP1 et la découverte d’une hélice sensible à la courbure membranaire
1) Hypersensibilité de la protéine ArfGAP1 à la courbure membranaire
2) ArfGAP1 est capable de reconnaitre la courbure des membranes lipidiques
3) Mécanisme de reconnaissance de la courbure membranaire par le motif ALPS
D) La bioinformatique, un tournant déterminant
V La corde moléculaire GMAP-210 : un jeu à plusieurs hélices amphipathiques
A) Introduction
1) Historique de GMAP-210
2) Un motif ALPS à l’extrémité N-terminale de GMAP-210
B) Matériel et méthodes
1) Lipides et liposomes
2) Purification des protéines et marquage
3) Dichroïsme circulaire
4) Flottaison
5) Fluorescence NBD et FRET entre rhodamine et NBD
6) Diffusion statique
C) Résultats
1) L’extrémité C-terminale de GMAP-210 interagit directement avec Arf1GTP
2) Rôle de la courbure membranaire sur la stabilité de l’interaction entre GMAP-210 et Arf1GTP
3) Démonstration des capacités de connexion hétérotypique de GMAP-210
4) Questions sur le modèle
VI Interactions GMAP-210 / membranes : durées de vie et compatibilité avec le manteau COPI
1) Compatibilité entre les extrémités N- et C-terminales de GMAP-210 avec le coatomer
2) Durée de vie des interactions des deux extrémités de la corde avec leurs membranes
3) Nouvelles questions sur GMAP-210
VII Comparaison du motif ALPS et de l’α-synucléine pour la reconnaissance de la courbure membranaire
A) Introduction
1) α-synucléine et pathologie
2) Interaction α-synucléine – membrane lipidique
3) α-synucléine exprimée dans un microorganisme
4) Pourquoi comparer GMAP-210 et α-synucléine ?
B) Résultats
1) Titration de l’α-synucléine et de GMAP-210 sur liposomes
2) Le motif ALPS de GMAP-210 et l’α-synucléine sont sensibles à la courbure membranaire
3) Effet de la charge
4) Effet de la géométrie des lipides
5) Phospholipides polyinsaturés et cholestérol
C) Questions sur les hélices amphipathiques
VIII Conclusion

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