Caractérisation du comportement local de la dynamique : les exposants de Lyapunov

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Introduction

Cette thèse a été réalisée dans le domaine de l’étude du climat. La première chose à comprendre, pour quelqu’un (comme moi) qui n’avait jamais étudié le climat, est sa définition. Pour cela, j’ai besoin de définir le système climatique. Je reproduis ici celle qui est donnée par le glossaire du GIEC (IPCC, 2014).
Système extrêmement complexe comprenant cinq grands éléments : l’atmosphère, l’hydrosphère, la cryosphère, la lithosphère et la bio-sphère, et qui résulte de leurs interactions. Ce système évolue avec le temps sous l’effet de sa propre dynamique interne et en raison de forçages externes tels que les éruptions volcaniques, les varia-tions de l’activité solaire ou les forçages anthropiques (notamment les variations de la composition de l’atmosphère ou les changements d’affectation des terres).
Il est intéressant de voir que dans cette définition, nous avons deux grands objets distincts. D’une part, les différents éléments de notre planète que sont l’atmosphère, l’hy-drosphère, etc, qui existent en tant qu’objets propres ; et d’autres part, les interactions entre ces objets, et les éléments externes qui peuvent les altérer. Les éléments du sys-tème climatique sont autant de variables du système (des milliers de variables peuvent décrire un seul élément), tandis que les interactions sont les équations qui vont décrire les relations de ces éléments entre eux. Dans l’état actuel des connaissances, il n’est pas possible de décrire exactement le fonctionnement de ce système. Afin de comprendre ce qui fait la complexité du climat, je propose de décrire brièvement le fonctionnement de la dynamique atmosphérique.
L’élément qui engendre la dynamique atmosphérique est assez simple : le soleil chauffe notre planète, mais l’équateur et les pôles sont en déséquilibre. Ce phénomène est repré-senté sur la Fig. 1a). Les lignes rouges représentent les rayons du Soleil. La Terre étant (presque) sphérique, la quantité d’énergie reçue par la zone (A) est la même que celle de la zone (B), qui est deux fois plus grande. Autrement dit, la quantité d’énergie reçue par m2 est plus faible aux pôles qu’à l’équateur. Le bilan énergétique est donc en surplus à l’équateur, et en déficit aux pôles. Ce déséquilibre énergétique engendre un transfert de chaleur de l’équateur vers les pôles par un mouvement de l’atmosphère. Comme la Terre est en rotation, ce transfert est dévié vers l’Est au delà de 30○ de latitude par la force de Coriolis. Ceci engendre deux « cellules » dans les bandes 0 − 30○ N~S de latitude, nommées cellules de Hadley (1735), comme représenté sur la Fig. 1b). Au delà de 30○, la différence entre l’air « chaud » venant des tropiques, et l’air « froid » venant des pôles entraine un fort courant atmosphérique zonal appelé jet-stream. Ce courant est particuliè-rement instable à cause des perturbations de l’équilibre géostrophique à l’interface entre la cellule de Hadley (1735) et les moyennes latitudes (i.e. les vents horizontaux ne sont plus proportionnels au gradient de pression). Cette instabilité est chaotique (dans un sens qui sera précisé dans le premier chapitre), ce qui génère la variabilité climatique.
Ces instabilités dans l’atmosphère nous amènent à une définition du climat, comme les statistiques (dans un sens que je préciserai après) du système climatique. Pour pouvoir faire ces statistiques, il nous faut des données du système climatique.
Nous pouvons tout d’abord utiliser les données a posteriori, que sont les observations. Ces observations peuvent être directes pour l’état récent (i.e. les 40 dernières années) grâce aux satellites et aux stations réparties sur le globe, ou indirectes pour l’état lointain dans le passé, comme les carottes glacières qui permettent d’estimer la température et la composition de l’atmosphère par l’analyse des teneurs en isotopes de l’oxygène dans des bulles d’air qui sont emprisonnées. Ces données soulèvent de nombreux problèmes, comme leurs répartitions spatiales et temporelles, qui ne sont pas uniformes.
D’autre part, nous avons à notre disposition les modèles climatiques. Ce qui est ap-pelé modèle est en réalité le couplage de plusieurs modèles simulant les différents éléments du système climatique, et leurs interactions. Par exemple, les modèles atmosphériques et océaniques sont dérivés des équations de Navier Stokes. Ils peuvent être à l’échelle de la planète, comme les GCM (General Climate Model, e.g., Taylor et al., 2012), ou à des échelles régionales, comme les RCM (Regional Climate Model, e.g. le projet CORDEX). Ces modèles tentent de prédire une trajectoire du système climatique pour un (ou plu-sieurs) jeu (de données) de conditions initiales. Pourtant, leurs valeurs à un lieu / temps précis ne peuvent pas être interprétées comme une prédiction. Ces modèles cherchent en fait à simuler le climat, dont la définition, tirée du glossaire du GIEC (IPCC, 2014) est
Au sens étroit du terme, le climat désigne en général le temps moyen ou, plus précisément, se réfère à une description statistique fondée sur les moyennes et la variabilité de grandeurs pertinentes sur des périodes variant de quelques mois à des milliers, voire à des millions d’années (la période type, définie par l’Organisation mé-téorologique mondiale, est de 30 ans). Ces grandeurs sont le plus souvent des variables de surface telles que la température, la hau-teur de précipitation et le vent. Dans un sens plus large, le climat désigne l’état du système climatique, y compris sa description sta-tistique.
Ceci explique que les valeurs en elles-mêmes, données par les modèles, ne sont pas im-portantes. Ce sont leurs statistiques, et l’évolution de ces statistiques qui déterminent une simulation du climat. En particulier, je vais m’intéresser à la distribution de probabilité des variables climatiques (dont la moyenne et la variance ne sont que des indicateurs). Tout forçage externe entrainant l’altération des éléments du système climatique, ou de leurs dynamiques, engendre des modifications de cette distribution, et est donc quantifiable.
Prenons comme exemple une simulation de la température en Ile-de-France par le modèle de l’IPSL (Dufresne et al., 2013). Cette simulation est dite de contrôle, car au-cun forçage (autre que les forçages naturels) n’est appliqué. J’ai représenté sur la Figure 2 l’histogramme de 100 ans de données quotidiennes d’une telle simulation. Cet histo-gramme est une estimation de la distribution de probabilité du système climatique (pour la température, en Ile-de-France, sur une période de 100 ans, et pour une simulation). Une question naturelle est :
Cette distribution de probabilité représente-t-elle le système climatique ?
Figure 2 – Histogramme des températures quotidiennes en Ile-de-France issues d’une si-mulation de contrôle du modèle de l’IPSL (Dufresne et al., 2013). Le forçage radiatif est fixé à celui de l’ère pré-industrielle, i.e. avant 1850. La simulation fait 250 ans, correspon-dant à la période 1850-2100. Seules les valeurs de la période 2000-2100 ont été utilisées pour générer cet histogramme. Les deux modes (les bosses) correspondent à l’hiver et l’été.
La théorie des systèmes dynamiques fournit une réponse à cette question, au travers d’une notion mathématique nommée la mesure SRB (Sinai-Ruelle-Bowen). Cette mesure contient toute l’information du système sous jacent, et s’estime avec un histogramme. Pour la définir, j’ai eu besoin d’outils supplémentaires, que sont les attracteurs étranges.
Une fois les statistiques du climat définies, le problème est que cette mesure est soumise
à une déformation en temps. Ceci peut être dû à des événements naturels (variations du rayonnement solaire, volcans… etc), ou d’origine anthropogénique (i.e. le changement climatique). Il faut donc pouvoir mesurer cette déformation. Classiquement, des métriques basées sur la distance Euclidienne sont utilisées, mais représentent mal la dynamique sous jacente. Le problème qui m’a occupé a donc été :
Comment mesurer la déformation d’une distribution de probabilité en tenant compte de sa dynamique ?
De nombreux problèmes compliquent la situation. La quantité de données disponibles pour estimer une distribution de probabilité peut ne pas être suffisante. Les données peuvent être entachées de bruit. Les modèles sont biaisés. Ce dernier problème peut théo-
riquement être résolu par un outil capable de mesurer finement les différences entre dis-tributions de probabilités. La mesure de la différence offre la possibilité de la corriger. Ce domaine du climat se nomme la correction de biais. Je propose une réponse à ce problème dans ce mémoire.

Table des matières

1 Description du climat comme un système dynamique
1.1 L’attracteur de Lorenz
1.1.1 Histoire et définition
1.1.2 Sensibilité aux conditions initiales : la source du chaos
1.1.3 Caractérisation du chaos par la dimension de l’attracteur
1.1.4 Les statistiques du modèle de Lorenz (1963)
1.1.5 Résumé
1.2 Systèmes dynamiques autonomes
1.2.1 Définition des systèmes dynamiques
1.2.2 Déterminer la dimension d’un attracteur
1.2.3 Caractérisation du comportement local de la dynamique : les exposants
de Lyapunov
1.2.4 Statistiques d’un système dynamique : la mesure SRB
1.2.5 Résumé
1.3 Attracteur climatique
1.3.1 Existence d’un attracteur étrange climatique
1.3.2 Déformation de l’attracteur climatique
1.4 Dynamique non autonome
1.4.1 Système de Lorenz (1984)
1.4.2 Vision Lagrangienne et Eulerienne : des équations différentielles aux
équations de transports
1.4.3 L’équivalent des orbites en dynamique non autonome : les snapshots
attractors
1.5 Résumé et mise en place du problème
2 Transport Optimal
2.1 Introduction au transport optimal : le problème de Monge
2.2 Transport optimal de mesures empiriques
2.2.1 Formulation en terme de mesure de probabilité
2.2.2 Problème de Monge-Kantorovich
2.3 Distance de Wasserstein
2.4 Lien entre les systèmes dynamiques et le transport optimal
2.5 Intuitions des mécanismes d’action du transport optimal
2.5.1 Représentation du plan de transport comme mesure de probabilité
2.5.2 Visualisation dynamique du plan de transport
2.5.3 Résistance au bruit et influence de l’histogramme
2.6 Exemple d’utilisation de la distance de Wasserstein dans le climat
2.7 Résumé
3 Application à des systèmes dynamiques chaotiques non autonomes
3.1 Abstract (Robin et al., 2017)
3.2 Detecting changes in forced climate attractors with Wasserstein distance
3.3 Compléments : Détection des scénarios RCP dans CMIP5
3.3.1 Application aux températures
3.3.2 Application aux précipitations
3.4 Résumé
4 Correction de biais multivarié
4.1 Abstract
4.2 Multivariate stochastic bias corrections with optimal transport
4.3 Résumé
Conclusion et perspectives
A Utilisation de la distance de Wasserstein pour valider un indicateur
A.1 Abstract (Rodrigues et al., 2017, accepted in J. Clim.)
A.2 Dynamical properties of the North Atlantic atmospheric circulation in the
past 150 years in CMIP5 models and the 20CRv2c Reanalysis
Bibliographie
Liste des figures
Index

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