Caractérisation moléculaire de baumes de momies humaines d’Egypte ancienne

Caractérisation moléculaire de baumes de momies
humaines d’Egypte ancienne

L’Egypte ancienne et les pratiques de momification

Les croyances et les rituels 

La mort n’était pas une fin en soi mais une composante majeure de la vie, c’est-à-dire un passage entre deux formes d’existence, la vie terrestre et l’éternité dans l’au-delà. Pour que l’esprit du défunt puisse accéder à cette seconde vie, plusieurs conditions étaient nécessaires pour l’accompagner; pour exemple des offrandes de nourriture et de mobilier (Dunand et Lichtenberg 1998), mais aussi un rituel funéraire, appelé momification, pour conserver le corps (Fig. 1). Tandis que le cadavre est condamné à la putréfaction, la momie est un corps devenu inaltérable. Cette pratique faisait partie intégrante de la religion égyptienne (Dunand et Lichtenberg 1991). 

Les pratiques de momification à travers la chronologie

 Pendant plus de quatre millénaires, les techniques de momification ont évolué. Dans ce cadre, certains procédés n’ont pas ou peu été modifiés, d’autres ont connu plusieurs changements ou sont réapparus après leur abandon. Les connaissances actuelles sur les procédures de momification sont limitées car celles-ci reposent essentiellement sur l’écriture de deux auteurs grecs anciens, à savoir Hérodote et Diodore de Sicile. La momification était un procédé long d’une durée de sept décades, soit 70 jours. Durant ce délai, plusieurs séries d’opérations étaient réalisées. Tout d’abord l’excérébration, c’est-à-dire l’élimination du cerveau puis l’éviscération qui consistait à faire une entaille sur le flanc du défunt et retirer les organes à l’exception du cœur (Hérodote, L’Enquête, II, 86-88 ). Le corps était ensuite déshydraté à l’aide de natron ( sels de sodium Na2CO3,10H2O) pendant 30 à 40 jours (Mokhtar, Riad, et Iskander 1973). Ceci étant terminé, le corps était ensuite lavé et recouvert de différentes substances naturelles, l’ensemble appelé baume. La description de ce procédé de momification est celui utilisé à partir du Nouvel Empire (environ 1500 à 1000 avant J.-C., Fig. 2). A cette époque, la momification est encore réservée à une classe sociale élevée (Hornung et Lorton 1999; Cockburn, Cockburn, et Reyman 1998). Durant les périodes précédentes, l’embaumement était courant mais moins développé comme par exemple dans la période prédynastique où les défunts étaient simplement placés dans le sable du désert. Il s’agissait d’une momification dite naturelle. Durant l’Ancien Empire, la technique d’éviscération et l’application de tissus, qui étaient ensuite imprégnés de baumes, a commencé à être employée (Taylor 2001). Les périodes intermédiaires sont des périodes de troubles politiques et sociaux en Egypte et donc la momification pouvait être peu employée, comme par exemple, pendant la première période intermédiaire ; ce ne fut pas le cas de la Troisième Période Intermédiaire où de nombreuses innovations ont vu le jour (Dunand et Lichtenberg 1998). Pendant le Moyen Empire, c’était encore une pratique réservée à une classe sociale privilégiée (élite). Par contre, les textes funéraires sont apparus sur les cercueils et sarcophages ; ils n’étaient plus réservés à l’entourage royal. L’excérébration était au stade d’expérimentation, la technique étant alors mal maîtrisée (Perraud, 2014). Les pratiques de momification ont perduré jusqu’à la fin de la période dynastique de l’Egypte ancienne. L’époque Ptolémaïque et la période romaine, pendant lesquelles la momification s’est généralisée, du fait de sa démocratisation, a permis à un grand nombre de défunts d’accéder à la momification (Dunand et Lichtenberg 1998). L’emploi de baumes dans le processus de momification a été de mise durant des milliers d’années de l’histoire de l’Egypte ancienne. Compte-tenu de l’importance de cette pratique funéraire, l’étude et la caractérisation chimique des baumes prend tout son sens, mais également permet leur remise en contexte égyptologique. Il est donc intéressant d’étudier chaque substance utilisée dans la formulation du baume.

Etat de l’art : analyse des baumes 

Diverses techniques analytiques sont employées pour l’analyse chimique de baumes de momies. Il est possible de distinguer deux types d’analyses : celle des matériaux inorganiques, tel que la spectroscopie Raman, la spectroscopie à rayons X à dispersion d’énergie, la diffraction de rayons X etc, et celle des matériaux organiques. Un focus va être fait sur les diverses techniques analytiques possible pour l’identification de la partie organique. Dans la littérature, deux méthodes d’analyses sont principalement utilisées : la spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier ainsi que la chromatographie en phase gazeuse couplée à un spectromètre de masse. Différents modes infrarouges sont cités dans la littérature, il est possible de voir notamment des analyses par pastilles de bromure de potassium avec un détecteur DTGS et des analyses par Réflectance totale atténuée avec un détecteur MCT . L’emploi de la chromatographie gazeuse couplée à un spectromètre de masse est souvent précédé de traitement préalable des échantillons, tel que des réactions de saponification, des extractions à monosolvant à l’hexane ou au dichlorométhane ou à l’éther diéthylique et des triméthylsilylations . Les substances généralement identifiées sont des huiles végétales, des graisses animales, de la cire d’abeille, de la résine de Conifère, de la résine mastic, de la poix et du bitume. Il est à noter qu’à partir du Nouvel Empire (-1500 BC) des mélanges de toutes ces substances sont identifiés dans les baumes de momies contrairement à la période Prédynastique où les baumes étaient composés principalement de corps gras et de traces de résines (Jones et al. 2018).

Matériaux principalement utilisés dans la formulation de baumes

 Une grande variété de substances naturelles a été utilisée dans la fabrication de baumes (Fig. 3), telles que les huiles végétales, les graisses animales, les résines, le bitume ou la cire d’abeille et même d’autres additifs tels que le henné ou des épices Ces substances possédaient certaines propriétés telles qu’être hydrophobes, antibactériennes ou odoriférantes, mais elles pouvaient aussi avoir un caractère sacré ou être simplement utilisées pour leur esthétisme (Buckley et Evershed 2001; Nicholson et Shaw 2000). Chaque matériau utilisé dans la formulation d’un baume est soumis à une succession de réactions chimiques liées à son évolution au cours du temps, depuis son obtention jusqu’au vieillissement du baume mais également il peut subir des réactions liées à la préparation, comme le chauffage. C’est le cas par exemple lors de l’exsudation d’une résine végétale qui est dans un premier temps extraite de sa matrice d’origine. Celle-ci peut ensuite être légèrement chauffée pour la rendre plus malléable et favoriser la formulation. Enfin, le passage du baume au travers des siècles entraîne également la poursuite de la vie chimique Résines diterpéniques Cire d’abeille Graisses animales Huiles végétales Gommes végétales Bitume Résines triterpéniques Epices, henné de la préparation. Ainsi, afin d’appréhender les modes de préparation et d’usage de chaque ingrédient, il est nécessaire de connaître et comprendre chacune des réactions mises en jeu. (Bailly 2015; Ménager, Azemard et Vieillescazes 2014; Vieillescazes et Coen 1993). Chacune de ces substances va donc être présentée par la suite, avec sa composition chimique ainsi que ses modes de dégradation possibles.

Table des matières

Liste des figures
Liste des tableaux
Liste des abréviations
Introduction et problématique
Chapitre 1. Généralités sur l’Egypte antique et les divers matériaux utilisés dans la formulation de baumes
1. L’Egypte ancienne et les pratiques de momification
1.1. Les croyances et les rituels
1.2. Les pratiques de momification à travers la chronologie
2. Etat de l’art : analyse des baumes
3. Matériaux principalement utilisés dans la formulation de baumes
3.1. Les huiles végétales et les graisses animales : composition chimique et dégradation
3.1.1. Les triglycérides et les acides gras
3.1.2. Dégradation des acides gras libres
3.1.2.1. Autoxydation des acides gras insaturés
3.1.2.2. La β oxydation
3.1.2.3. Formation des dihydroxyacides
3.1.3. Autres marqueurs : les stérols
3.2. La cire d’abeille
3.3. Les résines
3.3.1. Résines diterpéniques
3.3.1.1. Chimie des diterpènes
3.3.1.2. Dégradation des abiétanes
3.3.2. Résines triterpéniques
3.3.2.1. Chimie des triterpènes
3.4. Le bitume
3.5. Les gommes et polysaccharides
3.6. Autres
3.7. Résumé
Chapitre 2. Présentation des échantillons archéologiques
Chapitre 3. Méthodologie, démarche expérimentale et techniques
1. Echantillonnage
2. Observation macroscopique et microscopique des échantillons
3. Traitement des échantillons
3.1. Réactifs et solvants
3.3. Protocoles expérimentaux
3.3.1. Formation de dérivés triméthylsilylés
3.3.2. Ultrasons
3.3.3. Extraction au dichlorométhane
3.3.4. Extraction en Phase Solide (SPE)
3.3.5. Saponification
3.3.6. Extraction spécifique des résines diterpéniques
4. Techniques analytiques
4.1. Infrarouge à transformée de Fourier
4.1.1. Principe de l’infrarouge
4.1.2. Appareillages
4.1.3. Acquisition des données
4.1.3.1. Mode transmission avec pastilles de KBr
4.1.3.2. Mode transmission avec micro-compression diamant et mapping
4.1.3.3. Réflectance totale atténuée (ATR)
4.2. Extraction en phase solide (Solid Phase Extraction, angl., SPE)
4.3. Chromatographie en Phase gazeuse couplée à la Spectrométrie de Masse
4.3.1. Principe de la chromatographie en phase gazeuse
4.3.2. Principe de la spectrométrie de masse
4.3.3. Appareillage
4.3.4. Gradient de température
4.3.4.1. Pour le protocole d’extraction globale et saponification
4.3.4.2. Pour le protocole d’extraction spécifique par SPE
Chapitre 4. Observation et analyses spectroscopiques par IR-TF et traitements statistiques des données
1. Observation macroscopique des échantillons archéologiques
2. Traitement des échantillons amorphes par IR-TF
2.1. Choix du module et du détecteur adéquat
2.2. Etude des substances naturelles contemporaines par IR-TF
2.2.1. Caractérisation des corps gras
2.2.2. Caractérisation de la cire d’abeille
2.2.3. Caractérisation des résines
2.2.4. Caractérisation du bitume
2.2.5. Caractérisation de la gomme arabique
2.2.6. Récapitulatif des bandes de chaque substance
2.3. Application aux échantillons archéologiques
2.3.1. Classification Ascendante Hiérarchique
2.3.2. Clusters et spectres infrarouge
2.3.2.1. Analyse du cluster 1
2.3.2.2. Analyse du cluster 2
2.3.2.3. Analyse du cluster 3
2.3.2.4. Analyse du cluster 4
2.3.2.5. Analyse du cluster 5
2.3.3. Analyse en Composantes Principales (ACP)
3. Traitement des échantillons d’aspect sableux
3.1. Observation par microscopie optique à lumière polarisée
3.2. Analyse par IR-TF par micro-compression diamant
4. Conclusion de l’étude spectroscopique
Chapitre 5. Etude par chromatographie en phase gazeuse couplée à un spectromètre de masse
1. Etude des substances naturelles contemporaines
1.1. Caractérisation des corps gras
1.2. Caractérisation de la cire d’abeille
1.3. Caractérisation des résines
1.3.1. Résine diterpénique
1.3.2. Résine triterpénique
1.4. Caractérisation du bitume
2. Application aux échantillons archéologiques : approche conventionnelle
2.1. Résultats : Composés identifiés par CPG-SM
2.1.1. Composés identifiés dans les échantillons du cluster
2.1.2. Composés identifiés dans les échantillons du cluster
2.1.3. Composés identifiés dans les échantillons du cluster
2.1.4. Composés identifiés dans les échantillons du cluster
2.1.5. Composés identifiés dans les échantillons du cluster
2.2. Discussion : apport de la chromatographie gazeuse
2.2.1. Corps gras
2.2.2. Cire d’abeille
2.2.3. Résines et dégradation des diterpènes : utilisation de traitements statistiques de données
2.2.4. Bitume
2.2.5. HAP
2.3. Conclusion de l’approche conventionnelle
3. Développement analytique d’un protocole d’extraction en phase solide
3.1. Mise au point du protocole par Extraction en Phase Solide (SPE) 1²
3.1.1. Choix de la cartouche
3.1.2. Choix du solvant d’extraction
3.1.3. Choix des solvants d’élution
3.1.4. Théorie de l’élution des différents composés
3.2. Application du protocole de SPE sur les échantillons archéologiques
3.2.1. Fraction 1
3.2.2. Fraction 2
3.3. Comparaison de l’extraction conventionnelle à la SPE
3.4. Conclusion de l’extraction par SPE
4. Conclusion de l’étude chromatographique
Conclusion générale et perspectives
Bibliographie
Annexes

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