Cinétique de transfert du nitrate d’uranyle et de plutonium par le TBP

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Avantages et inconvénients du phosphate de tributyle

Le tributyle phosphate présente une sélectivité importante vis-à-vis des degrés d’oxydation (IV) et (VI) des actinides (U(VI) et Pu(IV)). Cependant, en plus de son caractère non-incinérable dû à la présence d’un atome de phosphore dans la molécule, le TBP au cours du procédé génère des sous-produits par hydrolyse et radiolyse, comme le HDBP (acide dibutylphosphorique) et le H2MBP (acide monobutylphosphorique). Ces produits de dégradation compliquent la gestion du solvant dans l’usine et peuvent perturber le procédé en provoquant notamment la rétention d’uranium et de plutonium dans le solvant1. Par ailleurs, la nécessité de recourir à une réaction rédox pour séparer l’uranium et le plutonium complexifie le procédé. L’ajout d’hydrazine, qui empêche la réoxydation du plutonium (III) en consommant l’acide nitreux, forme un sous-produit, le HN3 instable sous certaines conditions. Enfin, la solubilité non négligeable du TBP en phase aqueuse impose la mise en œuvre d’étapes de lavage avec le diluant TPH. Dans ce contexte, des recherches ont été menées depuis les années 60 en vue de développer de nouvelles molécules extractantes comme substituts du TBP.

Les monoamides, une alternative au TBP

Les N,N-dialkylamides (ou monoamides) de formule RCONR’R’’ ont été largement étudiés, d’abord aux Etats-Unis puis en France, au CEA, dans les années 80 et s’avèrent être des extractants sélectifs de l’U(VI) et du Pu(IV) en milieu nitrique. Cette famille de molécules pourrait, sous certaines conditions, remplacer le TBP dans le procédé de retraitement du combustible irradié2–6. Grâce à l’influence des fonctions aliphatiques R, R’ et R’’, les propriétés extractantes des monoamides peuvent être améliorées et offrir la possibilité de coextraire l’uranium(VI) et le plutonium(IV) des produits de fission, lors d’une extraction à forte acidité, et de séparer le plutonium(IV) de l’uranium(VI), lors d’une désextraction à plus faible acidité (HNO3 ≈ 0,5 M), sans avoir recours à des réactifs redox. De plus, ces composés sont constitués uniquement d’atomes de C, H, O et N, permettant une incinération totale et une diminution des volumes de déchets secondaires produits. Plusieurs monoamides respectant ces critères ont été testés au CEA.
Les recherches approfondies menées au CEA ont sélectionné un mélange de deux monoamides, le DEHBA et le DEHiBA, respectivement le N,N-di (éthyl-2 hexyl) butanamide et N,N-di (éthyl-2 hexyl) isobutanamide5. Ce solvant « mixte » est capable d’assurer un procédé de retraitement adéquat, où la séparation U/Pu est effectuée sans rédox. Le DEHBA a été choisi pour sa faculté à coextraire quantitativement l’uranium et le plutonium à forte acidité et le DEHiBA, pour sa sélectivité pour l’uranium(VI) vis-à-vis du plutonium(IV) à plus faible acidité (0,1 – 0,5 M HNO3). La Figure 3 regroupe les trois monoamides principalement étudiés actuellement au CEA, le DEHBA, le DEHiBA et le DEHDMBA (N,N-di (éthyl-2 hexyl) tertiobutylacétamide).
Outre ses performances d’extraction, cette famille de molécules doit être compatible chimiquement et physiquement avec les installations de l’usine de La Hague. Certaines de leurs caractéristiques comme la tenue à la radiolyse, à l’hydrolyse ainsi que les produits de dégradation formés sont différents des caractéristiques de l’extractant TBP. De plus, la viscosité du solvant peut avoir un impact non négligeable sur la cinétique de transfert.

Objectifs

La connaissance des données relatives à la cinétique d’extraction des actinides se révèle indispensable pour modéliser correctement l’extraction de l’uranium(VI) et du plutonium(IV) par ces nouveaux solvants afin de pouvoir ensuite extrapoler le procédé à une échelle industrielle. En effet, les débits des phases injectées, la hauteur des colonnes pulsées ou le nombre d’étages des mélangeurs-décanteurs dépendent à la fois des caractéristiques physico-chimiques de l’extractant utilisé mais aussi des cinétiques de transfert des solutés entre les phases. Ce dernier paramètre peut conduire à définir le type d’extracteur industriel.
Dans le cadre de la thèse, nous nous sommes intéressés à l’étude cinétique d’extraction de l’uranium(VI) et du plutonium(IV) par un mélange de monoamides DEHiBA/DEHBA. Cette étude a notamment pour but d’évaluer différentes techniques cinétiques utilisées en extraction liquide-liquide.
Ce mémoire de thèse s’articule donc en plusieurs parties. La première partie est consacrée à une revue bibliographique où sont définies :
– les bases de la cinétique de transfert appliquée à l’extraction liquide-liquide,
– la cinétique du transfert du nitrate d’uranyle et de plutonium lors de l’extraction par les monoamides,
– la présentation des trois techniques cinétiques retenues pour ce travail de thèse permettant la mesure des coefficients de transfert de matière et l’identification d’un régime cinétique, la méthode de la goutte unique, la cellule de Nitsch et la cellule à membrane tournante ou Rotating Membrane Cell (RMC).
La deuxième partie est dédiée à l’étude expérimentale des cinétiques d’extraction de l’uranium et du plutonium par les différentes techniques expérimentales de cinétique en milieu biphasique ainsi qu’une étude portant sur la détermination des coefficients de diffusion de l’U(VI) en phases aqueuse et organique. La troisième partie est consacrée à l’identification des régimes cinétiques associés ainsi que la comparaison des techniques cinétiques entre elles, leur complémentarité et pertinence vis-à-vis des résultats cinétiques obtenus.

L’extraction liquide-liquide par les monoamides

L’extraction liquide-liquide

Définition

L’extraction liquide-liquide met en œuvre une phase aqueuse contenant le soluté et une phase organique contenant l’extractant. Le système extractant peut être composé d’une ou plusieurs molécules extractantes solubilisées dans un diluant destiné à diminuer la densité et la viscosité de l’extractant et à ajuster la concentration souhaitée. Le soluté à extraire est transféré d’une phase dans l’autre par agitation des phases (formation d’une émulsion) jusqu’à ce que s’établisse l’état d’équilibre thermodynamique.
Les performances extractantes du solvant sont évaluées par la mesure du coefficient de distribution D qui est égal au rapport des concentrations du soluté sous toutes ses formes entre la phase organique (Morg) et la phase aqueuse (Maq) à l’équilibre : D(M) = [Morgeq]
Ainsi, plus D(M) est élevé, plus l’extraction est importante.

Mécanismes d’extraction

Plusieurs modes d’extraction sont identifiés selon la nature des échanges qui contrôlent le transfert du cation vers la phase organique.

L’extraction par solvatation

L’extraction par solvatation est effectuée à l’aide d’extractants neutres. Les cations métalliques sont co-extraits sous forme de complexes neutres dans la phase organique en présence d’un anion dans les proportions stœchiométriques pour assurer la neutralité électrique des entités extraites :
n+ − ̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅ (2)
M + nX + dL ↔
MXn(L)d
avec Mn+ le cation de charge n, X- son contre-ion et L l’extractant organique.

L’extraction par échange cationique ou anionique

L’extraction par échange cationique ou anionique fait intervenir l’échange de deux ions de même signe entre les deux phases, tout en respectant l’électroneutralité. Dans le cas d’un échange cationique, un proton de l’acide HR, présent dans la phase organique, est échangé par un cation métallique, selon la réaction chimique suivante :
n+ ̅̅̅̅̅̅ + (3)
M + nHR ↔ + nH
MRn

L’extraction par mélange synergique

Il s’agit d’une extraction faisant intervenir deux extractants aux propriétés différentes, souvent un extractant neutre et un extractant acide. Si le coefficient de distribution avec le mélange des deux extractants est plus élevé que la somme des coefficients de distribution de chaque extractant seul, alors on parle de mélange synergique.

Les extractants monoamides

Généralités

Les monoamides possèdent un groupement amide polaire et des chaines alkyles suffisamment lipophiles pour leur assurer une bonne solubilité dans les diluants aliphatiques. Compte tenu de la très faible solubilité des monoamides en phase aqueuse et de leurs propriétés tensioactives, l’interface aqueux-organique est un site privilégié pour la réaction de complexation (Figure 4). Tout comme le TBP, le groupement fonctionnel des monoamides a un caractère nucléophile et joue le rôle de ligand des espèces déficientes en électrons et donc des cations métalliques comme le plutonium(IV) et l’uranium(VI)7.
L’uranium à extraire se trouve en solution aqueuse acide nitrique, sous la forme cationique la plus stable UO22+, soit un degré d’oxydation (VI). De même, le plutonium est stable chimiquement sous son degré d’oxydation (IV).
Différentes études structurales ont été réalisées sur des complexes nitrate d’uranyle-amide, l’extraction de l’uranium (VI) par les amides étant généralement présentée de la même manière que pour l’extraction d’U(VI) par le TBP8: 2+ − ̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅̅ (4) + 2Amide ↔ UO2 + 2NO3 UO2(NO3)2(Amide)2
La Figure 5 résume le transfert d’U(VI) par un solvant monoamide :
Figure 5 – Extraction d’U(VI) par un extractant de type amide sous la forme d’un complexe 1:2

Choix d’un nouveau solvant

Suite aux travaux CEA de Musikas sur les monoamides5 poursuivis depuis par les équipes du CEA Marcoule10–12, le mélange DEHBA/DEHiBA a été choisi pour sa sélectivité vis-à-vis du nitrate d’uranyle et de plutonium. La composition du mélange s’explique par les deux caractéristiques suivantes :
– le DEHBA possède un groupement alkyle linéaire butyl du côté de la fonction carbonyle qui permet de coextraire l’U(VI) et le Pu(IV) à forte acidité nitrique mais ne possède pas une sélectivité suffisante pour réaliser une partition sans redox,
– le DEHiBA contenant un groupement alkyle ramifié isobutyl du côté de la fonction carbonyle montre une forte sélectivité de l’U(VI) vis-à-vis du Pu(IV) mais n’extrait pas suffisamment ce dernier, même à forte acidité.
Le mélange des deux extractants en optimisant le rapport DEHiBA/DEHBA (0,9 M / 0,5 M dans notre cas) permet donc à la fois de coextraire U(VI) et Pu(IV) à 4 M HNO3 puis de désextraire sélectivement Pu(IV) à 0,5 HNO3.

Théorie sur la cinétique de transfert de matière

La cinétique de transfert peut dépendre de plusieurs phénomènes comme la diffusion moléculaire, la convection, la turbulence mais aussi l’intervention d’une éventuelle réaction chimique. La nature du transfert est un paramètre majeur de toute étude cinétique d’extraction, qui conduit à une meilleure compréhension du mécanisme réactionnel intervenant. Selon le type de transfert considéré, il est possible de le caractériser mathématiquement en étudiant le flux de matière mis en jeu au cours de l’extraction.

Modélisation du phénomène de transfert de matière

Définition du flux de transfert

Soit, ⃗J le terme désignant le flux de matière. Dans le cas où le soluté est présent dans un liquide immobile, la loi de Fick décrit le flux de matière : J = − . ∇C avec , le coefficient de diffusion du soluté dans la phase considérée et C, la concentration au point considéré. Cette relation indique que le déplacement de matière, caractéristique par diffusion moléculaire, s’effectue d’un milieu plus concentré vers un milieu moins concentré.
Lorsque la diffusion s’effectue dans un liquide en mouvement, un terme convectif s’ajoute au terme précédent. Il s’agit de la concentration en soluté multipliée par la vitesse du fluide en mouvement : J = − . ∇C + Cν⃗⃗
En effectuant le bilan de transfert de matière à travers une surface dS pour un élément de volume dV pendant un temps dt, le théorème d’Ostrogradsky permet de traduire mathématiquement le flux : ∂C ⃗ ⃗⃗ (7)
∭v ∂t dV = − ∯s J. dS
D’où, après intégration pour un liquide incompressible (div⃗⃗⃗ν = 0) :
∂C∂t − . ∆C + ⃗⃗∇ν⃗⃗C = 0

Les différents modèles de transfert de matière

Afin de modéliser au mieux le transfert de matière entre deux phases supposées immiscibles, plusieurs théories ont été utilisées :
1. le modèle de la pénétration,
2. le modèle de renouvellement de surface,
3. le modèle du double film ou de la couche limite.
Le flux transféré représenté dans ces modèles revêt toujours la forme du produit du coefficient de transfert par un potentiel de transfert. La signification de ce coefficient de transfert de matière est différente en fonction des modèles et des hypothèses supposées : J = k . (Ci − C) (9)
D’après le modèle du double film proposé par Nernst en 1904 puis Lewis et Whitman en 1924, le transfert diffusionnel d’une phase aqueuse vers une phase organique repose sur les deux étapes suivantes :
[i] la diffusion en phase aqueuse amène le soluté à extraire près de l’interface. Ce phénomène se traduit par une couche limite située en phase aqueuse, d’épaisseur δa,
[ii] la diffusion en phase organique du soluté se traduit par une couche limite située en phase organique d’épaisseur δo.
Le transfert intervient jusqu’à l’obtention d’un équilibre thermodynamique entre les deux phases (Figure 6). L’interface i est supposée plane (représentée par une ligne verticale dans notre cas), le transfert se réalise selon l’axe z. Les concentrations Ca et Co sont les concentrations respectives en phases aqueuse et organique. Les concentrations Cai et Coi correspondent aux concentrations à l’interface, en phases aqueuse et organique, respectivement.
Le modèle du double film s’appuie sur deux hypothèses :
1. chacune des phases est suffisamment agitée pour qu’il n’existe aucun gradient de concentration en dehors des couches limites,
2. le profil de concentration à l’intérieur des films diffusionnels est stationnaire.

Table des matières

INTRODUCTION
1. Le procédé PUREX
2. Avantages et inconvénients du phosphate de tributyle
3. Les monoamides, une alternative au TBP
4. Objectifs
CHAPITRE I – CINETIQUE EN EXTRACTION LIQUIDE-LIQUIDE
1 L’extraction liquide-liquide par les monoamides
1.1 L’extraction liquide-liquide
1.2 Les extractants monoamides
2 Théorie sur la cinétique de transfert de matière
2.1 Modélisation du phénomène de transfert de matière
2.2 Détermination des résistances de transfert
2.3 Identification des régimes de transfert en extraction liquide-liquide
2.4 Influence de la température
3 Présentation des techniques de mesure de cinétique
3.1 Technique de la goutte unique
3.2 Les cellules d’extraction à aire interfaciale constante
3.3 Cellule à membrane tournante
3.4 Choix des techniques pour la cinétique
CHAPITRE II – APPLICATION A LA CINETIQUE D’EXTRACTION DES NITRATES D’ACTINIDES PAR LE TBP ET LES EXTRACTANTS A FONCTION AMIDE.
1 Cinétique de transfert du nitrate d’uranyle et de plutonium par le TBP
1.1 Principales données cinétiques d’extraction du nitrate d’U(VI) et Pu(IV) par le TBP
1.2 Paramètres d’étude du transfert
2 Cinétique de transfert par les extractants à fonction amide
2.1 Cinétique d’extraction des lanthanides(III) et actinides(III) par les diamides
2.2 Cinétique d’extraction du nitrate d’uranyle par les monoamides
3 Conclusion
CHAPITRE III – DETERMINATION DU COEFFICIENT DE DIFFUSION DE L’U(VI) PAR UNE METHODE SPECTROPHOTOMETRIQUE
1 Introduction
2 Démarche expérimentale
2.1 Description de la méthode du capillaire fermé
2.2 Version spectrophotométrique UV-visible de la méthode du capillaire
2.3 Choix des conditions chimiques
3 Résultats et discussion
3.1 Diffusion du nitrate d’uranyle en milieu aqueux nitrique
3.2 Diffusion du nitrate d’uranyle en milieu organique monoamides et TBP
3.3 Conclusion
CHAPITRE IV – CINETIQUES D’EXTRACTION D’U(VI) ET PU(IV)
1 Etude paramétrique de la cinétique d’extraction par la technique de la goutte unique.
1.1 Description et modes opératoires
1.2 Influence de la taille de goutte sur le transfert
1.3 Influence de la concentration d’U(VI) initiale dans le solvant monoamide sur le transfert d’U(VI) et Pu(IV)
1.4 Influence de l’acidité nitrique sur la cinétique d’extraction de Pu(IV)
1.5 Comparaison avec le transfert par le TBP
1.6 Etude hydrodynamique de la goutte : application à la cinétique de transfert d’U(VI)
1.7 Conclusion
2 Cinétique d’extraction d’U(VI) par la cellule de Nitsch
2.1 Description et hydrodynamique de la cellule
2.2 Extraction d’U(VI) : résultats préliminaires
2.3 Etude de localisation des résistances au transfert d’U(VI) lors de l’extraction
2.4 Comparaison avec le transfert d’U(VI) par le TBP
2.5 Conclusion
3 Cinétique d’extraction d’U(VI) et Pu(IV) par la cellule à membrane tournante (RMC).
3.1 Description et modes opératoires
3.2 Extraction d’U(VI) par le DEHiBA/DEHBA
3.3 Extraction d’U(VI) par le TBP 30 %
3.4 Extraction de Pu(IV) par le DEHiBA/DEHBA
3.5 Conclusion
CHAPITRE V – BILAN ET RECOUPEMENT DES TECHNIQUES CINETIQUES
1 Evaluation des techniques
1.1 Bilan expérimental
1.2 Inconvénients majeurs
1.3 Conclusion
2 Régime de transfert par le DEHiBA/DEHBA
2.1 Extraction d’U(VI) avec la cellule de Nitsch et la RMC
2.2 Extraction d’U(VI) avec la technique de la goutte unique : modélisation du transfert
2.3 Extraction de Pu(IV)
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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