Comment les principales parties prenantes aux processus décisionnel et d’exécution de l’octroi de la détention limitée perçoivent et se représentent cette mesure?

La loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine (ci-après « loi sur le statut externe ») organise la mesure de détention limitée. Celle-ci est définie à l’article 21 de cette loi comme « un mode d’exécution de la peine privative de liberté qui permet au condamné de quitter, de manière régulière, l’établissement pénitentiaire pour une durée déterminée de maximum seize heures par jour ». Cette modalité, instaurée depuis une décennie dans le champ pénal, est une mesure d’élargissement pouvant être accordée au détenu par le Tribunal de l’Application des Peines (TAP). Ce dernier a la compétence  de statuer sur les modalités d’exécution de la peine majeures pour les condamnés subissant une ou plusieurs peines privatives de liberté dont le total des peines à exécuter est supérieur à trois ans ou pour ceux étant mis à sa disposition (Vandermeersch, Beernaert & Bosly, 2014, p. 1575). Concernant les détenus condamnés à une peine dont le total n’excède pas trois ans d’emprisonnement, la compétence revient au Juge de l’Application des Peines, qui devrait entrer en vigueur au plus tard le 1er octobre 2019. Soulignons qu’avant la publication de cette loi sur le statut externe, il existait trois types de modes d’exécution de la peine ayant la même finalité, à savoir les arrêts de fin de semaine, la semi-détention et la semi liberté (Beernaert, 2007, p. 253). Le premier mode est tombé en désuétude et les deux autres ont fusionné en régime de détention limitée. Afin de percevoir l’objectif de cette mesure, référons-nous au projet de loi relatif au statut juridique externe des détenus :

La détention limitée peut être accordée au condamné en vue de servir des intérêts professionnels, familiaux ou de formation qui requièrent sa présence en dehors de la prison. Ainsi, cette modalité d’exécution de la peine permet, par exemple, au condamné de continuer à exercer sa profession, de commencer à exercer une activité professionnelle, de poursuivre ou d’entamer une formation. (Projet de loi, 2004-2005, p. 20).

Concrètement, « la détention limitée … permet au condamné de quitter la prison la journée pour travailler ou suivre une formation, tout en passant les nuits en prison » (Nederlandt & Moreau, 2017, p. 301). Notons que, depuis le récent arrêt de la Cour constitutionnelle du 21 décembre 2017, l’octroi d’une telle modalité, entre autres, est à nouveau possible pour les condamnés ne disposant pas d’un droit de séjour en Belgique. Précisons par ailleurs que la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement permet également aux chambres de protection sociale des TAP, exclusivement compétentes pour les affaires d’internement, d’accorder une mesure de détention limitée à la personne internée (articles 23 et suivants de la loi). Cette remarque est accessoire, la présente recherche se focalisant principalement sur la mesure de détention limitée des personnes condamnées.

La détention limitée est accordée sur demande du condamné. En ce qui concerne les conditions d’accès à la modalité, l’article 23 de la loi sur le statut externe énonce que l’intéressé doit être dans les conditions de temps pour l’octroi d’une libération conditionnelle ou dans les six mois qui précèdent la date d’admissibilité à celle-ci ; ces conditions sont identiques pour la surveillance électronique. Précisons que le détenu peut tout à fait solliciter directement une libération conditionnelle, lorsqu’il y est admissible, ou avant celle-ci, demander une surveillance électronique ou une détention limitée. Le second paragraphe de l’article 23 précise que, quatre mois avant que le détenu se trouve dans les conditions de temps énoncées ci-dessus, le directeur l’informe par écrit de la possibilité d’introduire une demande. L’article 47 de la même loi, quant à lui, énonce de manière limitative les contre-indications que le TAP devra examiner : l’absence de perspectives de réinsertion sociale, le risque de perpétration de nouvelles infractions graves, le risque que l’intéressé importune les victimes, l’attitude de l’intéressé à l’égard des victimes des infractions qui ont donné lieu à sa condamnation et les efforts consentis pour indemniser les parties civiles. Dans son jugement, le tribunal indique différentes conditions et interdictions particulières susceptibles de tempérer ces contre-indications (article 56). Il est également requis que le dossier du condamné contienne un plan de réinsertion sociale indiquant ses projets de réinsertion (article 48). De plus, suite à l’introduction de la demande, le directeur doit rendre un avis motivé dans les deux mois, et le ministère public, dans le mois (articles 49 et 51). L’examen de l’affaire aura lieu à la première audience utile du TAP, après réception de l’avis du ministère public (article 52) ; le Tribunal prend alors la décision d’octroyer ou non la mesure de détention limitée. Cette mesure peut s’accompagner de congés pénitentiaires ; l’article 43 prévoit en effet que si le condamné sollicite un congé pénitentiaire lors de sa demande de détention limitée, le TAP statue à ce sujet. De plus, via l’article 59, le TAP peut exceptionnellement octroyer une autre modalité que celle demandée, notamment la détention limitée ; le but de cette disposition étant de permettre l’octroi à court terme de la modalité d’exécution de la peine sollicitée. Sur réquisition du ministère public, le TAP peut aussi décider de révoquer, suspendre ou réviser la mesure de détention limitée au condamné, après une saisine du ministère public (articles 64 et suivants). Si le TAP estime qu’une révocation ou une suspension n’est pas nécessaire dans l’intérêt de la société, de la victime, ou de la réinsertion sociale du condamné, il peut revoir la modalité en octroyant notamment une autre mesure, comme une détention limitée (article 67).

Comme précisé dans la définition de la détention limitée, le détenu passe ses nuits dans l’établissement pénitentiaire, celui-ci étant ainsi concerné par l’exécution de la mesure. À propos de la guidance des assistants de justice, l’article 62 de la loi sur le statut externe indique qu’un assistant de justice est chargé du suivi et du contrôle de l’ensemble des conditions imposées au condamné par le TAP. Cette disposition stipule que l’assistant de justice doit faire rapport au TAP dans le mois de l’octroi de la modalité, puis chaque fois qu’il l’estime utile ou que le TAP l’y invite, et au moins une fois tous les six mois. Ce rapport contient notamment les informations relatives au condamné dont dispose l’assistant de justice et qui sont pertinentes pour le TAP.

L’avant-projet de loi du 17 avril 2018 du Ministre de la Justice portant le Code de l’application des peines apporte diverses modifications à propos de la matière de l’exécution des peines ; la mesure de détention limitée étant concernée. Cette matière sera examinée dans la partie « Discussion ».

Portant précisément sur la modalité d’exécution de la peine privative de liberté qu’est la détention limitée, l’objectif de la présente étude est d’analyser comment les principales parties prenantes aux processus décisionnel et d’exécution de l’octroi de la mesure perçoivent et se représentent celle-ci. Une recherche qualitative exploratoire a ainsi été choisie étant donné que différentes études concernant les modalités d’exécution de la peine telles que la surveillance électronique et la libération conditionnelle ont déjà été menées antérieurement ; mais très peu d’études, voire aucune, analysent la détention limitée, d’où l’intérêt de cette recherche. La finalité de celle-ci est donc de récolter les différentes opinions quant à la détention limitée de la part d’intervenants concernés par cette mesure : le Tribunal de l’Application des Peines et les acteurs en lien avec celui-ci.

Table des matières

INTRODUCTION
Modalité de détention limitée
Processus décisionnel
Processus d’exécution
Projet de Code de l’application des peines
QUESTION DE RECHERCHE
MÉTHODOLOGIE
RÉSULTATS
Modalité de détention limitée
Principales difficultés
Intérêt de la mesure
Impact au niveau familial
Processus décisionnel
Critères pris en compte dans l’octroi de la mesure
Différentes possibilités d’octroi
Congés pénitentiaires pendant la mesure
Progressivité des TAP
Cas particulier des condamnés étrangers en séjour illégal
Décision de révocation
Personne internée
Processus d’exécution
Organisation concrète de la mesure en prison
Guidance des assistants de justice
Collaboration entre acteurs
Pistes d’amélioration
DISCUSSION-CONCLUSION

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